Le quotidien d’un jeûneur annabi
Les «sahrate» ou soirées se résument, pour l’heure, aux sorties nocturnes pour nos ménagères qui peuvent, enfin, souffler au bord de la mer, soit à Chapuis ou à Saint-Cloud ou encore au pied du phare de Ras El Hamra.
Se faire violence pendant quinze heures n’est pas du tout une sinécure. Plus que la faim, la plupart avouent la supporter sans effort parti-culier; c’est la soif qui pose problème au point de constituer une véritable torture physique. Ceux qui parlent d’un été indien seraient bien avisés de faire un effort de mémoire pour se rappeler que l’été tout court n’est pas encore fini. Il s’agit, bien entendu, de l’été du calendrier pas de celui que les hommes ont imposé à tous, réussissant ainsi à inverser le cours des saisons.Cette première semaine du mois de Ramadhan se caractérise par la conjugaison de deux facteurs extrêmement favorables: la disponibilité des produits et leurs prix relativement abordables. Passée la tornade d’avant Ramadhan et sa pénurie provoquée et des prix artificiellement gonflés, les marchés regorgent de tout, mais à des prix plus ou moins abordables. Volaille, poisson, c’est la grande surprise, le merlan, qui était à plus de 1000 DA, se vend au prix incroyable de 750 DA le kg et la tomate à 60 DA le kg.Deux indicateurs on ne peut plus éloquents. Qui l’eut cru! Il n’y a que la reine des crustacés «crevette», peu prisée certes, pendant le carême, qui continue à afficher cherté et insolence avec 1800 DA le kg, la zlabia, le kalbelouze appelé communément à Annaba «harissa» s’offrent les plus grandes artères du centre-ville, avec des prix pouvant aller de 10 DA à 50 DA le morceau. Mais bon! le jeûne est pénible, il vaut bien tous les sacrifices. Les appréhensions des pères de famille, quant à un Ramadhan très dispendieux, ont été surmontées.Tant mieux et ce n’est certes pas le consommateur, habitué des marchés qui va faire la fine bouche. Si la nourriture du corps est présente en qualité et en quantité, celle de l’esprit reflète a contrario, un état d’extrême fatigue. Les «sahrate» ou soirées se résument, pour l’heure, aux sorties nocturnes pour nos ménagères qui peuvent, enfin, souffler au bord de la mer, soit à Chapuis ou à Saint-Cloud ou encore au pied du phare de Ras El Hamra.D’autres, par contre, s’adonnent au rituel du safa wal marwa, une pratique très répandue et connue à Annaba, où le grand boulevard est soumis à la parade des cent pas pratiquée par les habitués du boulevard.Monsieur, lui, son f’tour est avalé plus tôt, se rend à son endroit de prédilection, le café bruyant et enfumé, souvent à deux pas de son «home». Les amateurs du carton des cartes ou du loto sont ainsi partis pour une longue veillée. Les autres commentent l’actualité sportive surtout, et ils sont nombreux à faire profession de foi, la main sur le coeur, avouent n’avoir qu’un intérêt somme toute relatif, pour la politique.L’actualité pourtant, ils la font et la défont à leur manière. Il y a aussi un phénomène d’apparition récente qui, sans aucune assise religieuse, n’en arrive pas moins à diviser les fidèles. Il s’agit de l’évaluation empirique du charisme et des mérites de l’imam qui conduit la grande prière du soir. Les jugements, prononcés par les ouailles, sont sans appel et la réputation de telle ou telle mosquée est ainsi mise en jeu sur une échelle des valeurs douteuse. C’est la forme que prend la néo-guerre des minarêts! Le tout dans une cacophonie indescriptible que la proximité de plusieurs mosquées rend encore plus insupportable. Dieu seul reconnaîtra les siens.Une chose est sûre: ces divisions reflètent la lutte sourde pour le contrôle du culte, l’antagonisme sourd par mosquées interposées. Dans la moiteur nocturne, les nuits s’égrènent, traînant ennui et mal-être. Le sablier cosmique, maître du temps, se renverse. Et voilà les Annabis partis pour un nouveau jour ramadhanesque très chaud, voire caniculaire.
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Posté par : sofiane
Ecrit par : Wahida BAHRI
Source : www.lexpressiondz.com