Algérie

Zahia Rahmani : quand l’écriture devient orfèvrerie



Avec une écriture minimaliste, Zahia Rhamani donne corps à des récits toujours denses et riches. Rencontre avec une écrivaine complexe qui offre à la littérature actuelle du caractère.

Zone : Dans votre travail, vous avez recours à une langue simple, épurée. Qu’est-ce qui motive votre écriture ?

Zahia Rahmani: Il y a deux choses, l’exercice formel et le sujet. Le soin que j’attache à la forme résulte de mon intérêt pour l’art abstrait et pour une littérature fine, celle capable de saisir ce que la photographie et le cinéma ne peuvent toucher. Dans mon écriture, j’utilise peu d’adjectifs, de descriptions et de mouvements de corps. Je me concentre surtout sur la voix et le dialogue. J’ai expérimenté cette dimension là sur mes trois derniers romans. Le rythme est important, il crée la musicalité. Mon rapport à la musique est liée au fait que je parle aussi le berbère : une langue fondée sur l’oralité. Mais j’ai peu de vocabulaire, et je la maîtrise davantage sous l’aspect poétique. Par ailleurs, je suis nourrie par la littérature du XXème siècle : Nathalie Sarraute, Marguerite Duras, Samuel Beckett… Ainsi que par les écrivains américains des années 20-30. Chez tous , le dialogue est très présent.
L’idée de pouvoir lire un roman avec l’impression d’être entourée de voix m’intéresse beaucoup. Ainsi lorsque je travaille, je passe du temps à répéter mes textes à haute voix. De cette façon, ils ne sont pas déterminés et peuvent aussi être destinés à la scène. J’aime jouer une musique avec peu d’instruments, sans piano ni violon.

Vous ne semblez pas vouloir ancrer vos récits dans un temps donné ?

Oui et non. En réalité, j’essaie de travailler à la fois sur le présent et l’intemporel : cette « permanence tragique » propre au théâtre grecque et shakespearien.

La généalogie, la filiation et le rapport à la terre sont des thèmes récurrents dans vos ouvrages. Pourquoi ?

Quand ma famille est arrivée en France, nous avons d’abord vécu à Paris. Puis nous avons déménagé à la campagne. J’ai découvert la violence du milieu rural des années 60. J’ai découvert des gens abandonnés par la culture, en lévitation, dans la répétition d’un même geste : le travail de la terre. Seule cette dernière leur apportait un ancrage dans leur monde réel. Ce lien me passionne. Ces gens qui étaient installés là, de génération en génération, depuis des décennies, n’avaient jamais lu un livre, n’étaient jamais allés au théâtre, ni n’avaient jamais écouté de musique. Cela m’étonnait. Moi qui étais parachutée dans leur histoire et leur généalogie, j’avais une curiosité plus grande.
Je n’étais pas d’eux, je ne pouvais pas être comme eux, il fallait donc que je me construise un univers plus large qui me soit propre.
L’Algérie nous était interdite, car nous n’allions pas y retourner. Il s’agissait donc de réinventer sa vie. Ma mère avait compris qu’il fallait que nous soyons ancrés dans une histoire. Si bien qu’elle nous a raconté des contes jusqu’à l’adolescence. Non ceux que l’on trouve dans les livres, mais ceux de la tradition orale berbère qu’elle avait en mémoire. Ils m’ont d’ailleurs imprégnée.


D’ailleurs, dans votre dernier livre : Récit d’une enfance en France, vous lui rendez hommage en parcourant vos souvenirs et tout ce qu'elle vous a transmis…

Oui effectivement. J’ai voulu donner à lire un livre sur la construction de soi. Je l’ai écrit très vite. C’était en novembre dernier au moment des émeutes. Je ne regardais pas la télévision ni ne lisais la presse tant je trouvais les discours véhiculés infâmes.
Ma mère était mourante. D’un coup j’ai eu peur. Tant que votre mère est vivante, vous avez un point de repère, une matrice. Je ne me voyais pas partir. Mais face à tout cela, je me suis posée la question de savoir où j’allais vivre.
Je refuse le discours communautariste mais il n’y a pas d’indices ni de place faite à notre histoire. C’est violent pour ces enfants.
Dans ce livre, j’ai pu travailler sur quelque chose que je voulais faire depuis longtemps : la Mémoire. J’ai été structurée par la lecture de la Shoah. A partir du moment où j’en ai eu connaissance, par le biais du film d’Alain Resnais Nuit et Brouillard, j’ai beaucoup lu sur le sujet et j’ai beaucoup réfléchi à la question du témoin.
Je ne ferais pas ce que je fais aujourd’hui en littérature sans la lecture de Primo Lévi et celle de la philosophie. J’ai passé une partie de ma vie à lire et à travailler, mon écriture n’est pas arrivée par hasard.
Aujourd’hui, je me sens libre de dire ce que je veux sur les penseurs comme sur les Algériens. C’est la chose la plus difficile à acquérir. Etre mal jugé par les siens, il faut savoir l’assumer.



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