Algérie

Ya kho, mon frère



Ya kho, mon frère
Paradoxalement en cette période de jeûne, les prix des taxis sont correctsNotre religion, c'est dans les coeurs qu'elle se cultive et non face aux miroirs pour arranger un hidjab.Pour éviter les affres du stationnement, je préférai prendre un taxi afin de me rendre à la rue Didouche où j'avais encore quelques courses à faire pour la journée.Trois taxis refusèrent de me prendre sous différents prétextes mais le quatrième accepta de le faire. «Combien'» demandai-je. Il me regarda avant de me lancer un foudroyant: «Il y a un compteur, je ne vole pas mes clients» qui me laissa figé. J'eus un peu honte d'avoir posé cette question et je lui expliquai alors que cela faisait longtemps que je n'avais pas pris un taxi à Alger et que, la dernière fois que j'en avais pris un, les compteurs n'étaient pas pris en considération par les chauffeurs. «Vous allez où exactement à Didouche'» me demanda-t-il ignorant mon explication. Je lui donnai le numéro mais il ne vit pas où c'était, alors je voulus lui donner un repère facile. «En face du siège du RCD!» dis-je. Il me regarda brièvement. Je vis alors distinctement son visage. Il était jeune, la trentaine à tout casser et portait une petite barbe rousse pas très fournie. Son visage était parsemé de points de rousseur et il était vêtu d'un kamis marron clair aux motifs blancs autour du col et sur la petite poche au niveau de la poitrine.La catégorisation des autres«Vous allez au RCD'» me demanda-t-il, après un court silence, d'un air plutôt réprobateur. «Non, dis-je, mais est-ce un mal que d'y aller'» Il démarra car le feu passa au vert. Un instant après avoir pris le virage à droite, il se tourna vers moi. «Ils se disent laïques!» laissa-t-il tomber d'un de ces airs d'autosatisfaction déplacée, mi-ironique, mi-méprisant. «C'est leur affaire, répondis-je surpris, s'ils veulent être laïques cela les regarde. Mais qu'est-ce que la laïcité d'abord'» ajoutai-je à mon tour, soucieux de ne pas rater cette occasion d'avoir au moins une explication.Le jeune chauffeur esquissa un sourire qui laissa voir clairement qu'il voulait prendre les choses, et me prendre moi-même, de haut. «Ils se moquent de la religion!» balança-t-il tout content. «Non, je ne crois pas qu'ils se moquent de la religion» répliquai-je en prenant soin de noter l'amalgame ahurissant que faisait mon interlocuteur. Mes paroles n'avaient pas plu au jeune chauffeur qui me foudroya alors d'un regard chargé d'une violence à peine retenue. «Je vous dis qu'ils le font, fit-il sur un ton un peu plus élevé et grave, pourquoi refusez-vous de comprendre'»Cela fait longtemps que j'ai compris que ce genre d'individus n'admet pas d'être contredit. Il refuse le débat contradictoire et exige simplement d'être cru sur parole même lorsqu'il débite des insanités ou d'incroyables aberrations. «Vous êtes des leurs'» demanda-t-il, un sourire en coin comme s'il m'avait pris en faute. «Non», fis-je en toute sincérité. Il me regarda étonné avant d'ajouter «Alors pourquoi les défendez-vous'». Je me rappelai alors du recours systématique à la catégorisation qui caractérise ce type d'individus. «Je ne les défends pas, ils sont capables de le faire tout seuls, mais je défends leur droit à être ce qu'ils sont», laissai-je tomber sèchement. Il n'apprécia pas mes propos. Je le compris au bref regard distant qu'il me jeta alors. «Et si on revenait à la laïcité'» fis-je pour l'acculer. Mon interlocuteur refusa de me suivre. Il se tut un instant faisant semblant de ne pas m'avoir entendu.On s'arrêta dans la circulation. «Vous êtes d'accord avec ce qui se passe de nos jours' Cette perte des valeurs, cette dégradation quotidienne du tissu social, cette misère morale qui nous frappe...tout cela est inadmissible!» Je gardais le silence car je sentais qu'il voulait m'entraîner dans un autre sujet de discussion. Je le laissai venir. «Il est impossible de vivre avec autant de tabarroudj et d'éloignement de la religion» ajouta-t-il aussitôt! Le mot est finalement lâché. «Tabarroudj»! Cet argument passe-partout qu'ils brandissent comme la cause essentielle de la misère du monde et, bien entendu, le hidjab qu'ils présentent comme la solution et la clé du bien-être de l'humanité. Franchement, cet argumentaire et ce discours me dégoûtent autant que ceux qui en font leur cheval de bataille. «Je n'ai pas compris», fis-je en guise de réponse pour le pousser à s'exprimer plus. «Nous vivons dans une société qui ne respecte plus la religion, yakho, enchaîna-t-il alors. Si nos femmes étaient voilées comme il faut nous aurions moins de tentations et moins de mounkar et tout le monde serait heureux!». Quelle logique me dis-je décidé de passer à l'attaque car ce type de discours m'irrite.«Pouvez-vous me dire les piliers de l'Islam'» demandai-je. Il ne comprit rien à la question car il ne s'y attendait point. Je repartis à la charge: «Les cinq piliers de l'Islam, vous connaissez'» Tout content, il me les récita d'un trait «les deux attestations de foi, la prière, la zakat, le jeûne de Ramadhan et le pèlerinage pour qui en est apte». Je constatai la rapidité avec laquelle il m'avait tout débité et j'en souriais discrètement. «Parfait, fis-je avant de poursuivre: et les grands péchés qu'on appelle moubikate, pouvez-vous m'en dire quelques-uns'» Il eut l'air désarçonné. «Pourquoi'» demanda-t-il confirmant son incapacité à voir venir les choses. «S'il vous plaît, fis-je, les plus importants seulement». Il m'en récita les plus grands: «Le chirk, le crime, le faux témoignage, etc.» Je le regardai alors un moment avant de lui dire: «Vous ne m'avez cité le hidjab ni parmi les piliers de l'Islam, ni parmi les moubikate, n'est-ce pas' Alors pourquoi tenez-vous tant à expliquer la misère du monde par le tabarroudj et pourquoi donnez-vous à l'Islam le hidjab commesynonyme'»La femme, source des malheurs du mondeL'homme devint furieux. A court d'arguments, il devint violent et éleva le ton. Il criait, il ne parlait plus. «C'est une obligation, je jure par Dieu et par son prophète que c'est une obligation qu'aucun musulman ne doit ignorer.» «Voilà, me dis-je, qu'il se met à jurer, une autre manière de demander aux autres de se contenter d'écouter et de croire.» En fait, dans ce genre de discussion, il y a lieu de comprendre que la véracité des propos ne découle pas de la raison mais des sentiments. Selon ce genre d'individus, la vérité n'est pas dans ce qui ne contredit pas la raison mais plutôt dans ce qui ne s'oppose pas aux croyances personnelles. Autant dire qu'il ne sert absolument à rien de discuter lorsqu'on n'est pas dans la même logique que son interlocuteur dans ce cas.Dans un ultime désir de reprendre la main dans la discussion, il essaya de me sortir un hadith. Je constatai qu'il n'apprenait pas le hadith correctement et le lui corrigeai, ce qui le mit hors de lui. «C'est une autre riwaya» me fit-il pour réfuter la critique. Je constatai, non sans contentement, qu'il était coincé, je décide de l'enfoncer encore un peu plus. Je demandai alors le rawi (le rapporteur du hadith) et comme il l'ignorait, exactement comme je m'y attendais, alors il n'hésita pas un instant à recourir à la réponse classique dans ce cas «El Boukhari et Mouslim!», fit-il tout fier d'avoir trouvé une échappatoire. Décidé à ne pas le lâcher, je lui coupai la parole: «El Boukhari et Muslim ne sont pas des rapporteurs des hadiths ils n'ont fait que les rassembler... Qui a rapporté ce hadith'» reposai-je ma question. Il se tut un instant.Je ne sus s'il comprit sa bêtise ou s'il voulut changer de stratégie. En tout cas, et après ce silence, il me sortit un verset du Coran qu'il récita sans faute cette fois: «Ô Prophète, dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants...» (verset 59 de Sourat el Ahzab). Je souris: «Ce verset, dis-je, est adressé au Prophète Mohamed (Qsssl), mais rien n'indique qu'il soit adressé à tout un chacun.» Il était hors de lui. Il hurlait. Je voulais parler, il me coupa «Laissez-moi parler!», fit-il en hurlant. Je le laissai hurler. «Tout musulman se doit de faire de la da'wa. Il doit appeler les autres au chemin de Dieu. Lorsqu'il voit un mounkar, il est obligé de le changer et il doit appeler au khayr! Le hidjab est un khayr et le tabarroudj un mounkar que le musulman se doit de réfuter!». Je savais que ce type de gens versent dans les généralités lorsqu'ils sont coincés car ils peuvent y trouver une idée ou un prétexte à entente mais je me refusai de lâcher prise. «Qui a le droit de faire cette da'wa' Et au nom de quoi d'abord'» demandai-je. Il ne répondit pas. Je poursuivis alors: «Nul n'a le droit de s'immiscer dans la vie des autres. Surtout lorsqu'il est incapable de reconnaître un rawi d'un rassembleur de hadiths. Vous êtes responsable de votre vie et de votre famille et vous n'avez aucunement le droit de vous occuper de la manière dont s'habille la femme de l'autre, sa fille ou sa soeur. Habillez-vous comme bon vous semble et habillez les vôtres à votre guise mais ne vous intéressez pas à ma manière de m'habiller ni à celle des miens. Notre religion n'a jamais été une effraction dans la vie des autres. Notre religion, c'est dans les coeurs qu'elle se cultive et non face aux miroirs pour arranger un hidjab, une barbe ou pour s'admirer passer et repasser un bâtonnet de siwak.»Il s'arrêta. Nous étions arrivés. Je poursuivis mes propos avant de lui demander son dû et le payer. Lorsque je refermai la portière, il démarra en vitesse avant de me jeter un dernier regard dans le rétroviseur. Il devait me maudire en ce jour de Ramadhan. Je souriais en hochant la tête, certain qu'il allait mal manger au ftour ce soir. Saha leftour quand même ya kho, saha leftour, mon frère!





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