Algérie - Revue de Presse

Wassila. Traductrice malgré elle



Une Chinoise bien de chez nous « Demandez le savoir, même si c?est en Chine. » Le Prophète Mohamed (QSSSL) Apprendre une langue comme le chinois en moins de trois mois, voilà de quoi rendre jaloux des concepteurs de la méthode Assimil. Aujourd?hui, on appelle Wassila de Pékin ou de Shanghai pour solliciter ses services de traductrice. La trentaine, dynamique, on lui donnerait volontiers dix ans de moins. Elle accompagne souvent, pour ne pas dire tout le temps, des hommes d?affaires ou des cadres d?entreprise chinois dans leurs pérégrinations à travers l?administration, les banques à Alger et dans les environs... A l?entendre traduire avec force et passion à ses interlocuteurs les « subtilités » de nos arcanes bureaucratiques auxquelles ils ne sont pas habitués, on croirait assister à une scène de ménage. Elle met du c?ur à expliquer, aux représentants de l?entreprise qui l?emploie, qu?en Algérie rien ne se passe comme à Pékin ou à Shanghai ; et aux curieux autochtones qui l?entendent manier la langue de Confucius avec une facilité déconcertante, elle se justifie en expliquant que ce décalage de la réalité a, pour ses « employeurs », quelque chose d?incompréhensible, de kafkaïen, lesquels ne manquent pas d?exprimer leur étonnement par de gros yeux ronds. Combien de fois elle n?a manqué de « péter les boulons », comme on dit, face à l?imperméabilité des arguments présentés à des employeurs incrédules sous le regard amusé de bureaucrates ou d?agents administratifs. De guerre lasse, elle préfère de temps en temps, battre en retraite et entraîner son ou ses collègues chinois à l?écart pour expliquer et clarifier beaucoup de choses. Dur d?être interprète auprès de Chinois, peu familiers de la nonchalance méditerranéenne en général et du laisser-aller qui nous caractérise en particulier. Parler chinois en 3 mois Pourtant, rien au départ ne prédestinait cette jeune femme, technicienne en aménagement et urbanisme, originaire de la région d?Azzefoun, en Grande Kabylie, à devenir traductrice en chinois. Rien ou presque, si ce n?est de vagues souvenirs d?enfance. Après avoir « bourlingué » dans deux ou trois bureaux d?études, un beau jour une de ses connaissances la présente à un représentant d?une entreprise chinoise de construction travaillant en Algérie. On lui propose un poste d?assistante de direction, mieux rémunéré et qui, pensait-elle, convenait davantage à son tempérament. A l?époque, c?est-à-dire il y a trois ans, elle ne connaissait pas le moindre mot en chinois. Assistante de direction au sein de la CSCE qui allait décrocher d?importants chantiers à Alger et dans les environs, elle pensait qu?elle n?allait pas être tellement « dépaysée » parce que le boulot qu?on lui proposait était en rapport avec sa formation de technicienne en urbanisme et architecture. Tout allait bien, ses chefs et responsables étaient, en ce temps-là, satisfaits de son travail et la communication se faisait soit en français soit en anglais. En entendant ses collègues chinois discuter entre eux dans leur langue maternelle, elle était sans doute loin de se douter qu?un jour elle la parlerait couramment elle aussi. Jusqu?au jour où elle entendit son chef prononcer au milieu d?une phrase le mot « laila ». Leila, c?est tout simplement son deuxième prénom, et cela doit signifier dans la langue de Mao Tsé-toung quelque chose comme « Viens ici ». Cela fit tilt dans sa tête : pourquoi ne pas essayer d?apprendre le chinois, du moins les mots usuels et expressions les plus utilisées ? Grâce à l?assistance d?une interprète chinoise Mme Wang Ping Jang qui l?aide dans ses premiers cours de linguistique « sur le tas » et au travers de discussions avec ses collègues asiatiques, la voilà au bout de trois mois sur les chantiers pour servir de traductrice aux côtés des ouvriers et techniciens chinois ! Le travail en free-lance Très vite, Leila va montrer des capacités remarquables de maîtrise de langue au point d?étonner ses responsables qui ne tarderont pas à lui décerner la distinction d?employée modèle parmi la centaine d?agents que comptait l?entreprise à l?époque et dont la plupart viennent de Chine ! Tout au long de ces trois années, elle va parfaire la maîtrise de la langue, dont elle a acquis les rudiments avec l?aide de Mme Wang, et surtout découvrir les subtilités du parler chinois. Au fur et à mesure des discussions au bureau et sur les chantiers, Wassila passe des propos communs aux termes techniques et au jargon spécialisé au point de servir d?intermédiaire dans les discussions entre ses patrons et leurs interlocuteurs algériens. Malheureusement, le travail sur chantier est trop contraignant et sa famille supporte difficilement qu?elle rentre tard le soir à la maison. Comme par exemple, le jour où elle a été obligée de rester jusqu?à minuit passée au chevet d?un ouvrier asiatique hospitalisé à la suite d?un traumatisme dû à une chute sur un chantier, pour servir d?interprète entre les médecins et l?accidenté. Au vu du travail sur chantier trop contraignant, elle quitte la CSCE pour une meilleure offre dans le secteur des télécommunications. Le groupe Huawei est en effet connu sur le plan international dans le domaine des nouvelles technologies de la communication, et l?occasion lui est ainsi offerte de parfaire davantage son répertoire de termes techniques en chinois. Malheureusement, elle n?y restera que trois mois. Des employés algériens voyaient d?un mauvais ?il son ascension rapide au sein de l?entreprise, trop rapide même pour certains. Forte de son expérience acquise dans deux « boîtes » asiatiques, intervenant dans des domaines très diversifiés et d?un tempérament de battante, elle ne chôme pour autant. Elle est rapidement contactée par des exportateurs chinois attirés par le marché algérien, mais ignorant tout des rouages administratifs et ne connaissant pas un traître mot d?arabe ou de français, ne s?exprimant que dans leur langue maternelle. C?est pour elle, une fois de plus, la possibilité d?effectuer « des immersions totales » dans la langue de Confucius. Elle devient alors en quelque sorte interprète en free-lance, c?est-à-dire travaillant à son propre compte. Les opérateurs économiques hommes d?affaires et exportateurs chinois se la recommandent de « bouche à oreille ». « Aujourd?hui, on m?appelle de Shanghai, de Pékin ou d?ailleurs pour me demander de travailler pour une délégation qui doit se rendre sur Alger. C?est mieux rémunéré. » Pour l?instant, elle ne se plaint pas de travailler ainsi, mais elle aurait aimé avoir plus de contacts, être connue par d?autres biais que le bouche à oreille. Elle préfère, dit-elle, travailler ainsi et ne pas être liée par un contrat de travail en échange d?un salaire. Cela lui laisse toute la latitude d?organiser ses « public relations » comme elle l?entend en fonction du domaine d?intérêt et des préoccupations de ceux qui font appel à ses services. Elle s?occupe de tout, dit-elle, cela va des démarches administratives et/ou bancaires avec les institutions algériennes jusqu?à la billetterie et autres questions d?intendance, comme les déplacements sur le territoire national, l?hébergement ou l?hospitalisation, etc. Mais le plus étonnant, c?est qu?elle n?écrit pas et ne lit pas couramment le chinois. Une question brûle les lèvres : comment peut-elle travailler dans ces conditions et préparer le terrain à ses clients chinois intéressés par le marché algérien et désirant commercer avec des opérateurs algériens ? « Avant d?entamer des démarches quelles qu?elles soient, je prends soin de consulter mon lexique de termes chinois transcrit en français, tient-elle à préciser, et la phonétique qui l?accompagne, mais je peux dire aujourd?hui que je connais les mots les plus fréquents dans l?activité bancaire et commerciale et même dans certains domaines des techniques de pointe... » Cependant, même si en plus du chinois elle parle un peu le coréen, elle regrette de ne pouvoir ni lire ni écrire couramment. Pour l?instant, elle ne connaît qu?une dizaine de caractères sur un peu plus d?un millier, juste de quoi écrire son nom, ses prénoms et son état civil sur les imprimés officiels et ce dans la perspective d?un prochain voyage au pays dont elle ne connaît pour l?instant que la langue et qui ne compte pas moins d?un vingtaine de dialectes et de langues vernaculaires ! Des études en Chine ? Elle souhaite trouver une entreprise ou une institution qui pourrait prendre en charge des études poussées en Chine pour apprendre l?écriture et parfaire la maîtrise de la langue. D?ores et déjà, une entreprise s?est proposée de la prendre en charge pour une formation de courte durée dans le Henan pour six mois, à partir de mai prochain. Entre-temps, elle compte se rendre en mission avant la fin de l?année dans ce pays. Mais d?ici là, il lui faudra convaincre sa famille de la laisser faire un aussi long voyage avec un séjour prolongé - peut-être de plusieurs années - tout aussi long à clé. Et pourtant, Dieu sait combien elle tient énormément à cette formation en Chine. Elle espère que d?ici six mois, elle pourra convaincre sa famille de la laisser partir pour le Henan. Sa ténacité à vouloir se rendre en Chine ne s?explique que par la volonté manifestée tout à fait au début d?apprendre une langue, dont elle appréhendait les difficultés avant de « se jeter à l?eau ». « En réalité, elle est assez facile à étudier. Il suffit d?avoir de la volonté. La preuve, en trois mois, j?ai appris, au bureau, avec mes collègues : les jours de la semaine, les mois de l?année, les saisons, à compter... Pour la prononciation, on retrouve les mêmes sons dans l?arabe ou le kabyle. D?ailleurs, je connais aussi un Algérien qui sert de traducteur chez Huawei et qui, lui aussi, a appris sur le tas. Il se débrouille pas mal », insiste-elle. « Les interprètes, qui maîtrisent le français et qu?on ramène de Chine, sont de plus en plus âgés », affirme-t-elle sur la base de ce qu?elle a pu constater dans son travail de tous les jours. L?attrait du marché algérien sur les opérateurs chinois va accentuer la demande en traducteurs recrutés localement, d?autant qu?en Chine les interprètes qui maîtrisent à la fois le français et l?arabe sont très sollicités. D?une pierre deux coups, les entreprises qui doivent opérer en Algérie réduisent le nombre d?employés expatriés et allègent par la même les charges et les frais spécifiques de personnel. Ce qu?elle pense de l?ouverture ou plus exactement de la réouverture de la chaire de la langue chinoise à l?université d?Alger ; ne serait-ce pas une bonne chose d?autant qu?en apparence la demande en traducteurs va en augmentant avec l?afflux d?hommes d?affaires asiatiques ? Elle se dit plutôt sceptique, de plus en plus d?opérateurs chinois se découragent devant les difficultés rencontrées sur le marché algérien, la bureaucratie, la corruption... Certains d?entre eux auraient déjà plié bagage pour aller tenter leur chance ailleurs chez nos voisins. Elle tient cependant à nuancer ses propos car il se trouve que parmi ceux-ci quelques uns ne jouent pas le jeu. Sans se vanter et sans fausse modestie, elle affirme que tous ceux qui ont fait appel à ses services sont satisfaits par la qualité de l?assistance qu?elle leur a apportée dans leur travail en Algérie. On lui aurait même proposé des postes de responsabilité comme la gestion de représentation commerciale soit en Algérie ou dans un pays du Maghreb. Elle a dû, à chaque fois, décliner l?offre. « Vous savez les parents admettent mal chez nous que leur fille célibataire aille travailler sous d?autres cieux. Quelquefois, je me surprends à regretter de ne pas être une simple secrétaire qui ferait ses huit heures de bureau. » Elle se reprend juste après en se justifiant : « Mais c?est vrai que c?est très mal payé, alors qu?actuellement je gagne en une journée ce que percevrait une fonctionnaire en dix jours. » Mais au-delà de ces aspects matériels, cette jeune femme n?est pas près de renoncer à ce métier qu?elle exerce avec passion en dépit des tabous et des préjugés de l?entourage familial, du voisinage. Bref, un contexte qui n?encourage pas l?initiative, les compétences et les talents chez la gent féminine. Et c?est très dommage. En attendant, Wassila aimerait pouvoir se rendre en mission en Chine, un voyage prévu pour la mi-novembre. Et que surtout elle ait le feu vert de ses parents. « Cela lui ouvrirait beaucoup de portes », comme elle se plaît à le répéter. Parcours Juin 2000 : diplôme de technicienne supérieure en architecture et urbanisme. Recrutée juste après par un bureau d?études privé. Puis dans un cabinet d?architecte. Elle entre chez CSCE en qualité d?assistante de direction. Première initiation au chinois. Passage de trois mois au sein de l?entreprise Huawei à Alger...


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