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Village Nord, le quartier oublié



Village Nord, le quartier oublié
Dans le génie populaire local, le village est synonyme d'éloignement, d'enclavement, de «mal-vie» et d'oubli. Quelque part aux abords de Bordj Bou-Arréridj, tout un quartier, presque une ville, de 7 000 âmes, est désormais connu sous le nom de village Nord.
Autrefois, l'endroit était un champ agricole très cultivé et on trouvait tout. Le jour de «Chaw Rabie» (premier jour du printemps), on venait de loin pour s'y divertir. Pour les anciens de Bordj Bou Arréridj, cette époque semble lointaine' car cet espace est devenu, depuis 1989, une cité qui a regroupé les habitants qui ont été délogés des bidonvilles des Combattants et du Douar Souk. Dans une déclaration transmise au wali et lue par le P/APW, à la fin de la dernière session de l'APW, la semaine passée, les habitants de ce quartier, qui sont venus voir les élus s'insurgent contre leur cadre de vie qui n'a pas changé depuis 1996. Ils vivent, précisent-ils, le calvaire au quotidien. Pas moins de 1 273 habitations sans acte de propriété, pollution, dégradation de l'environnement générée par les poubelles, nuisances causées par les camions de gros tonnagee, infrastructures de base inexistantes ou à l'abandon, chômage, délinquance'», tels sont les points noirs recensés par les habitants du quartier «village Nord». Ce quartier situé maintenant à la sortie nord de Bordj Bou Arréridj, limitrophe de l'autoroute, est laissé dans l'oubli par les autorités municipales de la commune de Bordj Bou Arréridj. «Arrêtez-vous dans n'importe quelle rue d'une ville assez mouvementée et vous constaterez que le trafic y est dense et que les gens passent leur chemin machinalement. Mais si on prend le temps de s'attarder quelques instants, on découvre parfois des particularités à ces artères », disent les sociologues. C'est le cas pour ce quartier où nous avons fait une halte pour mieux nous imprégner des besoins des habitants. Il est dix heures du matin, le temps est maussade. La première impression offre un quartier triste. «C'est le quartier le plus défavorisé de la commune. Il manque de tout. Les habitants sont laissés à eux-mêmes», disent ceux avec qui nous avons parlé. Un quartier, note-t-on, qui n'a bénéficié d'aucune infrastructure ni d'aucune commodité à même d'améliorer les conditions de vie de la population qui y habite. La principale revendication des habitants de ce quartier est l'acte de propriété. «Nous avons payé tous les droits, et le directeur de l'agence foncière, M. Lies Zeouaoui, a tout fait pour régulariser la situation», disent les 1 273 habitants qui attendent leurs actes de propriété. «Malgré les directives du wali, pour accélérer les procédures de régularisation, certaines administrations bloquent toujours nos dossiers», ajoutent-ils. En effet, sur ce point, le wali, M. Azzedine Mecheri, dès son installation l'année passée, avait reçu les représentants de ce quartier et donné des instructions pour accélérer les procédures de régularisation. Du côté de l'agence foncière, M. Liès Zeouaoui a finalisé tous les dossiers mais ils restent toujours coincés dans des tiroirs de la machine administrative. «On ne sait pas à quel niveau », affirment les habitants. Ceux-ci ont le sentiment qu'avec ce document, beaucoup de portes s'ouvriraient pour eux. «Le fait d'assurer quelque chose pour soi et sa famille, c'est déjà un pas vers la stabilité», dira ce vieil homme, ancien refugié en Tunisie. «On a été délogé la première fois de nos anciens quartiers. Alors la peur d'être chassé une fois encore est toujours présente dans nos esprit sans ces actes de propriété», explique-t-il. Après y avoir fait quelques pas, on entre dans l'une de ces rues qui abrite quelques maisons appelées, «Village blanc». Un peu plus loin, un autre pâté de maisons appelé «El Merabta» avant le centre du quartier où une grande mosquée est en construction. «Ce que je déteste le plus, c'est le vacarme provoqué par les bagarres et les attroupements incessants autour de chômeurs jouant aux cartes, aux dominos et parfois espionnant le voisin», nous dira une passante sans même nous regarder. Mais après quelques pas, on se rend compte que les habitations sont pour la plupart bien entretenues par leurs propriétaires. Façades rénovées, fleurs sur le bord des fenêtres... Des lots de terrain marginaux, non encore bâtis. Des logements se rénovent, se construisent même, mais il est certain que le village Nord n'est pas un quartier qui fait l'unanimité auprès des jeunes. Dans une des maisons à l'ouest du quartier, habite Mourad. L'homme, d'une quarantaine d'années, invite tout passant à entrer d'une façon si amicale que l'on a l'impression de le connaître depuis toujours. «Cette maison et celle d'à côté ont été habitées par trois générations de ma famille. C'est dire si on y est attaché ! Plus jeune, je me souviens que mon père avait trouvé une autre maison dans un autre quartier, mais ma mère n'a jamais voulu déménager. Aujourd'hui, je ne pense pas que je pourrais partir non plus ». Mourad n'habite pas seulement le village Nord, il le vit. Il fait partie de ces personnes qui n'oublient pas d'où elles viennent, non parce que cela s'impose à elles, mais parce qu'elles le veulent. Certes, de nombreux commerces ont investi le quartier, mais il est important de souligner qu'à côté de cela, la majorité des jeunes souffrent encore du chômage. Beaucoup de familles sont en situation difficile, voire précaire. «Le seul commerce florissant dans le quartier est celui de la drogue sous toutes ses formes, et des téléphones portables, volés dans la ville », dira Mourad. En effet, au fond du village, on retrouve les locaux professionnels, tous fermés, délaissés, dégradés, vandalisés et utilisés pour d'autres professions. Selon un jeune hom-me rencontré sur les lieux, ces locaux sont devenus des maisons closes et de rendez-vous amoureux, le jour, et des débits de boissons la nuit. «Il est impossible de passer à proximité sans être agressé», ajoute-t-il avant de s'éclipser parce que repéréré par un gang et décide de quitter les lieux rapidement sans se retourner. Les habitants du village Nord rappellent qu'ils ont entrepris, par le passé, plusieurs démarches pour se faire entendre, mais, regrettent-ils, rien n'a été fait par les autorités pour atténuer, un tant soit peu, leur souffrance. «Il s'agit d'un mépris !» estime-t-on. Et pourtant, ajoutent-ils, «les ressources de la commune sont abondantes. Mais force est de constater qu'elles ne sont ni utilisées rationnellement ni distribuées équitablement, servant plus à contenter les appétits de certains et à entretenir le clientélisme qu'à améliorer le cadre de vie des citoyens». Malgré la disponibilité de terrain vague, le quartier est privé d'infrastructures pour les jeunes. Ces derniers, en plus du chômage, errent dans les rues toute la journée et se regroupent la nuit sous les quelques poteaux qui éclairent les rues. L'école primaire du quartier, du nom du chahid Bouaziz-Khaled, avec ses 11 salles et 593 élèves, est encerclée par la boue. Tout autour, les trottoirs sont restés à l'état naturel. «Même à l'intérieur, la moitié de la cour est en terre», dira un parent d'élève. Ce dernier se demande pourquoi l'école d'en face, a toutes les commodités : trottoir en carrelages, cour et maticos, et pas celle de leur cité. Quand on se balade dans le quartier, on remarque de nombreux gros tuyaux qui sortent des murs de maisons. Ce sont des particuliers qui vendent de l'eau sondée sans autorisation. «A long terme, c'est un risque pour le quartier», dira un habitant. Avant de sortir du quartier, le jeune qui nous a accompagnés a tenu à nous rappeler que le quartier par le nombre de ses habitants devient à chaque campagne électorale, La Mecque des candidats. «Pour être élu à l'APC, à l'APW ou à l'APN, il faut passer par là», se disent les candidats. Mais au lendemain des élections, le quartier est oublié par les courtisans et toutes les promesses partent en fumée. «Les citoyens en ont marre des promesses électorales et exigent la prise en charge immédiate, et sans conditions, de toutes les préoccupations contenues dans les divers écrits et plates-formes remis aux autorités locales et le respect des engagements pris», conclut-il. Les habitants menacent de hausser le ton et de battre le macadam sous peu si leurs doléances ne sont pas satisfaites. Ils ont même menacé de boycotter l'élection de 2012 ou de renvoyer tout politicien qui mettra les pieds dans leur fief.
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