Algérie

Verbe et chromatisme


«Abruti de soleil à Tipasa», le philosophe et écrivain, Albert Camus (1913-1960), se fait poète et peintre à la fois. Pour lui, l’éternelle montagne Chenoua est «une masse noire» par l’effet de ce même soleil typiquement algérien auquel il faut ajouter une touche bien camusienne. «Voir équivaut à croire», écrit-il en toute confiance, et voici que les montagnes environnant la vieille ville grandissent à la tombée du soir, «en devenant violettes».
Camus n’explique pas cette alchimie soudaine qui se fait en lui, et qui l’autorise à voir la campagne se draper de noir, en plein jour, avant de basculer vers la couleur mauve en fin d’après-midi. Ce qui est regardable n’est pas toujours la vérité, ou du moins, celle-ci nous parvient par des chemins de traverse au point de nous dérouter. Le grand prosateur égyptien, Taha Hussein (1889-1973), frappé de cécité dès sa tendre enfance, n’avait de cesse de répéter à son entourage direct qu’il ne voyait pas uniquement du noir, mais, pouvait percevoir certaines couleurs.
Cinq siècles avant Albert Camus, Léonard de Vinci (1452-1519), sans s’attarder sur quelque explication, ne s’est pas contenté de peindre une belle dame de la Renaissance, mais, c’est là l’essentiel, de donner naissance à une nouvelle technique permettant de mettre en relief la profondeur du champ bleu-gris dans tout l’art pictural. Cette technique, de l’avis de tous les experts, devait révolutionner tout ce qui a trait à la perspective, et à la couleur bien sûr. Depuis, les artistes-peintres ont tenu à suivre pas à pas le maître de Florence qui avait réussi à aller au-delà de tout un héritage pictural depuis les Coptes au premier siècle, en passant par l’art byzantin jusqu’à la Renaissance.
Touche après touche, De Vinci, on le sait aujourd’hui, avait mis une vingtaine d’années pour terminer sa Joconde. Entretemps, la profondeur du champ avait changé des milliards de fois. Toutefois, le fond bleu-gris de son tableau est resté le même. Camus, lui, a contemplé le ciel de Tipasa à certaines heures du jour, et il en est sorti, par l’effet de sa propre alchimie, avec une nette impression que la montagne Chenoua et les environs directs de la ville étaient vraiment noirs ou portant sur le mauve. La vitesse du verbe serait-elle donc plus élevée que celle du pinceau'
«De la mort et des couleurs, nous ne savons pas discuter», nous déroute encore Albert Camus. Or, et c’est là le hic, il se montre ailleurs catégorique à propos des couleurs et aussi tranchant qu’un peintre qui se dit que telle couleur, ou ce mélange de couleurs, sied bien à telle partie de son tableau !
Pourtant, le caractère fulgurant des couleurs nous laisse pantois et émerveillé à la fois, tel qu’on peut le considérer dans l’œuvre d’un Claude Monet (1840-1926). Quelques secondes, et le paysage change infiniment, au point de nous interroger si telle partie du ciel cadre bien avec le reste de tel tableau.
Ce besoin de «raconter ce qui est différent», de voir telle couleur plutôt qu’une autre, selon Camus, ne ressemble-t-il pas à s’y méprendre à l’entreprise rimbaldienne, celle de donner des couleurs spécifiques aux voyelles comme pour les numériser dans son subconscient et en faire une propriété à part ' Faut-il conclure que le verbe de l’écrivain s’éloigne toujours du pinceau du peintre, même si celui-ci se trouve la plupart du temps obligé de faire usage de l’attirail du premier '
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