Algérie - A la une

«Une télé binationale, une chance de nous réunir autour d'un idéal commun»



«Une télé binationale, une chance de nous réunir autour d'un idéal commun»
Pionnier sans le revendiquer, il était le premier journaliste français d'orignie algérienne à trôner sur le JT de France 2 au début des années 1990.Après une longue carrière à la télévision suivie d'un mandat de six ans au CSA, vous signé Pourquoi on ne vous voit plus ', un livre qui retrace un parcours atypique d'un enfant parti de Larbaâ Nath Irathen (Tizi Ouzou).Pourquoi avez-vous ressenti le besoin d'écrire ce livre 'C'est parce que j'ai toujours eu un parcours atypique que j'ai éprouvé le besoin de l'écrire. En plongeant au fond de mes souvenirs personnels et professionnels, je me suis rendu compte que toute ma carrière a été portée positivement par mes origines, que dans les bons et les mauvais moments de ma carrière le regard du petit garçon né en Kabylie a aidé l'homme à tracer des lignes reposant sur les valeurs acquises dès mes premières années de vie au sein d'une famille qui m'a inculqué la droiture et le respect des autres.J'ai écrit dans le livre que «l'Algérie est mon inné et la France mon acquis». J'ai écrit ma vie à partir des préceptes portés par ma culture d'origine. J'ai fait fructifier ces atouts en me souvenant toujours d'où je venais.Ce livre est la synthèse d'un parcours professionnel différent parce que j'ai fait accepter mes différences par le travail et l'honnêteté inscrite dans mes gènes algériens. Jamais personne ne m'enlèvera ces forces issues de la transmission de mon histoire familiale ; à mon tour, j'ai essayé de transmettre par écrit ce que j'ai appris oralement de ma grand-mère dans sa maison de Larbâa Nath Irathen. Se retourner sur son parcours à 60 ans donne de l'énergie pour la suite...Vous étiez le premier journaliste «beur» à apparaître sur l'écran de la télévision publique française. Un précurseur. Comment avez-vous vécu trois décennies à France télévisions ' Une expérience au bilan plutôt positif, malgré une mise au placard 'Je n'aime pas le mot «beur». Il n'a aucune signification pour moi. Je suis un Français d'origine algérienne. Je ne renie rien de mon histoire personnelle et j'ai toujours refusé d'être enfermé dans une étiquette apposée par le regard des autres.A mes yeux, seules comptent les attitudes face à une histoire complexe entre les deux pays. Avec l'âge, les deux visages de mon identité se sont complétés et apaisés. «Précurseur» ' J'ai longtemps refusé cette étiquette.J'avais peur d'être enfermé dans le rôle de l'«Arhab de service»... Et puis, le temps aidant, j'accepte d'avoir joué le rôle de pionnier sans le revendiquer.J'ai ouvert des brèches pour lutter contre les stéréotypes dont souffrent encore les Maghrébins en général. J'ai démontré au jour le jour dans mon travail et dans mon comportement personnel que nous n'avons rien à envier à ceux qui veulent nous rabaisser au rang d'alibis ou d'humains de deuxième catégorie, incapables de nous réaliser avec une vision du futur.Mes 30 ans à France télévisions ont été extrêmement riches. Les hauts ont été plus nombreux que les bas. Les placards m'ont renforcé au lieu de m'affaiblir. A chaque obstacle, je suis allé de l'avant en créant de nouvelles émissions au lieu de me lamenter...Quand c'était vraiment trop dur, mon jardin secret, les paysages du Djurdjura m'ont donné la force de dépasser les oppositions. On peut essayer de détruire un homme, pas une âme.Votre arrivée au CSA en 2007 était-elle une consécration 'Oui, le CSA a été une consécration, mais aussi un nouveau défi. Etre choisi pour entrer dans une des plus hautes institutions est le signe de reconnaissance du travail accompli et du comportement exemplaire dans un milieu qui ne l'est pas toujours ! Mais la charge de faire partie de l'Autorité de régulation c'est aussi un nombre incalculable d'obligations pour lesquelles il faut se montrer à la hauteur. J'ai accompli ce devoir avec deux mots-clés : honnêteté et responsabilité.Je suis fier du travail accompli pendant mon mandat de six ans à essayer d'imposer mes convictions sur l'obligation qui pèse sur les journalistes : être toujours au service du public. Ma plus grande fierté restera d'avoir imposé l'idée que d'autres Rachid Arhab soient visibles sur les écrans. Pas encore assez, mais la porte est ouverte...Le paysage médiatique a profondément changé depuis. L'éclatement des chaînes d'info, l'arrivée en «masse» de journalistes issus de l'immigration? quel regard portez-vous sur l'audiovisuel d'aujourd'hui 'J'observe avec attention l'évolution de l'audiovisuel et de l'information en particulier. Je suis assez critique parce que la multiplication des sources d'actualité ne signifie pas forcément une meilleure information.L'info en continu est un progrès à suivre avec attention : vouloir informer sans jamais prendre le temps de réfléchir peut amener à de réels dérapages. Je les ai traquées comme responsable des questions de déontologie au CSA. Je reste un téléspectateur attentif aux risques d'une information parfois trop rapide qui crée une réalité très passagère n'ayant rien à voir avec la vérité.C'est un beau défi d'accompagner la liberté d'informer en rappelant que le corollaire est la responsabilité des journalistes : liberté de la presse ne signifie pas le pouvoir de dire n'importe quoi.La meilleure protection des journalistes reste leur propre déontologie. Avec la révolution internet, il y a tant à faire pour distinguer l'information vérifiée des rumeurs qui finissent par nous envahir et laissent des traces négatives dans l'opinion publique...Vous travaillez en ce moment à lancer une chaîne de télévision franco-algérienne ou algéro-française sur le modèle ARTE. Pourquoi un tel projet, et quelles en sont les motivations 'J'ose dire que cette idée est le projet de ma vie ! J'y mettrai le temps nécessaire pour lui donner ses chances d'aboutir. L'idée principale est de mettre en valeur les cultures des deux pays... sans ordre de préférence ! A l'image de l'ARTE franco-allemande, il s'agira d'une chaîne binationale créée à parité par les deux Etats en faisant appel aux investisseurs privés. La culture, c'est le patrimoine historique et actuel des deux pays trop méconnu, patrimoine culturel, cultuel, artistique algérien qui mérite une meilleure exposition.La vie intellectuelle et sociale, les promesses de l'économie sont autant d'atouts qu'il faut mettre en valeur pour en finir avec les images stéréotypées. La récente diffusion de L'Algérie vue du ciel et de Thalassa consacrés aux côtes algériennes a déclenché autour de moi des réactions enthousiastes : «On ne savait pas que ton pays natal était aussi divers et magnifique», m'ont dit de nombreux amis ! Dans mon projet, il ne s'agira plus de survoler les terres et les mers, mais de se poser pour prendre le temps d'entendre ceux qui y vivent et ont entre leurs mains des richesses uniques sur la planète.Les civilisations du bassin méditerranéen ne doivent pas se diluer dans la globalisation mondiale, mais au contraire s'y inscrire avec leurs particularités et les défendre. C'est notre avenir, celui de nos jeunesses.Celles d'Algérie et de France ont déjà une culture numérique en commun. Mettons en valeur la richesse de nos forces et de notre optimisme à participer à l'ouverture sur le monde. Ce projet est une chance unique de dire que nos différences sont la meilleure façon de nous réunir autour d'un idéal commun.Une ARTE franco-algérienne nécessite au préalable un accord politique des deux gouvernements? Seraient-ils sensibles à cette démarche et avez-vous déjà des retours 'C'est un projet politique au sens noble. Pas un projet partisan. Tous mes interlocuteurs sont emballés par le concept. J'oserais même avouer que pour l'instant les Algériens répondent plus vite que les Français ! L'accord des plus hautes autorités des deux Etats est indispensable, mais également l'adhésion de leurs forces vives. Sur ce dernier point également, les retours sont plus que positifs...Depuis que j'ai évoqué ce projet, je suis surpris par les réactions, notamment sur les réseaux sociaux. La demande est là, à moi de peaufiner l'offre !Le projet revêt sans doute un caractère politique. Quelle est votre appréciation de la situation politique en France et en Algérie et des relations entre les deux pays 'Je le répète, il s'agit d'un projet politique au sens noble. La chaîne ne jouera pas le rôle de militant d'un pays ou de l'autre, d'un parti ou d'un autre. Les très bonnes relations actuelles entre l'Algérie et la France sont une chance historique de lancer enfin des projets communs à égalité, sans asymétrie.La chaîne, comme moi, ne s'autorisera pas les jugements à l'emporte-pièce sur la situation politique des deux pays. Ce ne sera pas son rôle de jeter de l'huile sur le feu ou de jouer les faire-valoir.Comme tout un chacun, j'ai une opinion sur la vie politique des deux côtés de la mer, mais comme pendant toute ma carrière de journaliste je saurai me tenir à équidistance et ne pas confondre mon rôle avec celui d'un militant aussi respectable soit-il. Ce qui me rassure, c'est l'enthousiasme de mes interlocuteurs économiques. Tous ceux que j'ai vus à Alger ou à Paris se disent prêts à s'investir dans tous les sens du mot.C'est ce dynamisme qui permettra par ailleurs de créer en Algérie une véritable industrie de l'audiovisuel créatrice d'emplois et révélatrice des talents qui ne demandent qu'à s'exprimer. Il y a vingt ans, la chaîne Arte ressemblait à une utopie : aujourd'hui, elle finance même des films de cinéma ! Non, mon projet n'est pas irréaliste, il arrive peut-être au bon moment.Est-il juste de vous présenter comme un «passeur» entre les deux rives 'Le rôle de passeur me conviendrait bien, car je me sens à l'aise et chez moi et dans les deux pays. Je suis leur enfant et j'aimerais leur rendre tout ce qu'ils m'ont donné. A commencer par une générosité, une attention, un respect de l'autre dont je suis porteur comme tant d'autres. Ce projet réussira s'il est celui de tous sans exclusive.Depuis que j'en ai parlé pour la première fois, personne n'a essayé de me dissuader de continuer. Au contraire. Enfin, et très égoïstement, faire passer ce projet me permettra d'être plus souvent en Algérie, ce qui me manque !


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)