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Une refondation du système de santé algérien: Quel avenir pour la médecine gratuite?




Une refondation du système de santé algérien: Quel avenir pour la médecine gratuite?




Le Conseil de l’Ordre des médecins, section ordinale régionale de Constantine, a organisé en juin dernier une journée placée sous le signe du cinquantenaire de l’Indépendance de notre pays et consacrée au bilan du secteur de la santé.

Une opportunité pour faire une rétrospective sur le chemin qui a été parcouru par celui-ci depuis que l’Algérie a recouvré sa liberté, d’en dresser aujourd’hui le bilan et de regarder avec lucidité l’avenir. L’occasion pour débattre enfin de notre système de soins.

Parmi les communications présentées, durant cette rencontre, nombreuses ont été celles qui ont établi un constat sombre de la situation sanitaire dans notre pays. S’il est vrai que notre système de santé est à bout de souffle et que ce secteur rencontre à présent de graves difficultés, il serait toutefois injuste de faire dans le nihilisme et d’occulter les bénéfices qu’il a apportés par le passé à nos concitoyens.

Il avait, en effet, répondu avec efficacité au besoin d’une population qui s’était retrouvée au lendemain de la Libération sans couverture sanitaire, avec une espérance-vie des personnes à 50 ans et une mortalité infantile à 180 pour 1.000 naissances.

Est-il nécessaire de souligner que l’Algérie disposait, après le départ des Français, tout au plus de 200 médecins?…

Pour 10 millions d’âmes. Pour autant, des progrès avaient été vite réalisés. Des formations médicale et paramédicale ont été mises en place et une carte sanitaire rapidement établie. Ce dispositif a été un peu plus tard complété par l’instauration de la médecine gratuite (loi 73-65 du 26 décembre 1973). Une décision rendue possible grâce à la nationalisation, le 24 février 1971, des hydrocarbures et qui a sans conteste donné la possibilité au peuple algérien de bénéficier d’une couverture médicale acceptable.

Les grandes maladies infectieuses avaient été éradiquées, la tuberculose et le paludisme notamment, les programmes de vaccination à destination des enfants — qui avaient été généralisés — avaient permis de lutter efficacement contre les maladies infantiles et les graves séquelles dont celles-ci étaient très souvent responsables. C’est ainsi que la poliomyélite, la rougeole, la rubéole pour ne citer que celles-là, ont aujourd’hui totalement disparu et que la mortalité infantile a substantiellement reculé.

La médecine gratuite a sans aucun doute joué, dans les années qui ont suivi l’Indépendance — et même plus tard —, un rôle déterminant dans la prise en charge de la santé de la population. Un choix idéologique qui était, en ce temps, opportun d’autant qu’il entrait en parfaite résonance avec l’orientation politique de l’Algérie libérée. Opter pour le socialisme — une idéologie qui a soutenu la Révolution algérienne et accompagné le mouvement de décolonisation et de libération des peuples, africains notamment — était naturel, même si plus tard notre pays avait préféré ne pas prendre parti dans la guerre froide qui opposait les pays de l’Est à ceux de l’Ouest, et a décidé de se joindre aux pays non alignés.

Ce choix politico-idéologique n’a, cependant, pas résisté à l’explosion démographique de notre pays et à la nouvelle réalité économique nationale. La chute du coût du baril de pétrole dans le milieu des années 80 et la subséquente baisse des ressources financières de l’Algérie ont révélé les faiblesses de la médecine gratuite et rendu béantes les fissures de ce système de santé. Aujourd’hui, le constat est unanime. Les conditions de prise en charge de la santé des citoyens se sont dégradées et les soins ne sont plus, dans les faits, gratuits. Les hôpitaux sont vétustes, repoussants et n’assument plus les missions de soins qui leur sont dévolues.

Les malades les plus vulnérables, en particulier ceux qui présentent des maladies chroniques et graves, n’ont pas accès aux soins hautement spécialisés et adaptés à leurs besoins. L’inaccessibilité aux cures de chimiothérapie et de radiothérapie des malades souffrant de pathologies cancéreuses en est un exemple édifiant.

Je rappelle au lecteur que de nombreux malades — assurés sociaux, faut-il le préciser ? — émargent, encore aujourd’hui, sur des listes d’attente interminables pour prétendre à une improbable chimiothérapie ou une impossible radiothérapie. Des malades abandonnés à leur sort par l’État et auxquels le ministère de la Santé ne semble pas vouloir trouver de solutions. Pourtant, c’est une de ses obligations prescrites par la loi. La Constitution algérienne, par son article 54, “garantit la protection de la santé pour tous les citoyens”. 

Par ailleurs, parce que le service public le rejette, le citoyen “lambda” doit s’adresser à la médecine libérale pour bénéficier d’une intervention chirurgicale courante, d’un examen spécialisé comme la tomodensitométrie (scanner) ou encore l’imagerie par résonance magnétique (IRM). Il en est de même pour les examens biologiques. Des prestations qu’il paie rubis sur l’ongle et qui sont, au mieux “chichement” remboursées par la sécurité sociale, au pire non prise en charge parce que pour arracher ce droit, il faut avoir de la persévérance et arriver à franchir une véritable course d’obstacles. Une situation que les citoyens connaissent très bien et sur laquelle il est inutile de s’appesantir.

Est-ce que la médecine est encore gratuite en Algérie? Une interrogation qui en amène une autre plus grave. Est-ce que l’option de la gratuité des soins est un choix toujours pertinent?

En réalité, la seule vraie question. Parce qu’elle soulève un problème de fond que les pouvoirs publics éludent, avec beaucoup d’hypocrisie, depuis des années et parce que, plus généralement, elle interpelle dans ses choix fondamentaux le système politique algérien.
Pourquoi veut-on sauvegarder cette dernière survivance de la politique socialiste des années 70?

Une réponse qui demeure un tabou… Pourtant, le délabrement du secteur de la santé reste un problème majeur qui se pose aujourd’hui avec acuité. Dès lors, repenser notre système de santé s’impose comme une évidence et une remise en cause, s’il le faut, du bien fondé de la médecine gratuite devient une nécessité absolue. Le réalisme économique veut que l’époque de la médecine gratuite “version années 70” soit définitivement révolue.

Quand bien même, le précédent ministre de la Santé avait déclaré, non sans fierté, que l’Algérie reste un des rares pays à offrir la gratuité des soins à ses citoyens. Hier, une vérité mais, compte tenu des circonstances, un mensonge éhonté aujourd’hui. Un choix politique d’hier qu’il ne faut certainement pas aujourd’hui congédier sans en avoir fait le bilan et sans en avoir tiré les enseignements. Une halte sur cette option est indispensable afin d’examiner avec clairvoyance et objectivité non seulement ce qu’elle a apporté à notre système de santé mais aussi quelles en sont ses tares et ses faiblesses. La société algérienne s’est transformée, son mode de consommation a changé et sa demande en matière de santé s’est accrue. Les défis sont nouveaux.

En témoigne les cancers qui sont en constante augmentation, le diabète et les maladies cardiovasculaires qui prennent des proportions alarmantes… Des affections qui coûtent très cher et que la médecine gratuite peine à prendre en charge ; des exigences nouvelles que le secteur de la santé n’arrive pas à satisfaire convenablement. C’est pourquoi, il est nécessaire de libérer de toute forme d’idéologie la politique sanitaire et repenser, à la lumière des impératifs économiques actuels, notre système de soins.

La refondation du système de santé se présente aujourd’hui comme un besoin insistant. Elle est devenue une priorité, une urgence, parce que la gratuité des soins apparaît en décalage avec les transformations incessantes de la réalité sociale algérienne et est de plus en plus incapable de satisfaire une “consommation” médicale qui s’est grandement accrue en parallèle avec l’amélioration de la qualité de la vie et de l’accès à l’information. L’environnement économique national (et international) a changé et, depuis le milieu des années 1980, le coût de la vie a été multiplié par dix. Seul celui (le coût) de la prestation médicale est resté figé sur la même tarification. Le montant de la consultation du médecin, celui des examens biologiques et radiologiques ou encore celui de la prestation hospitalière (repas et hôtellerie) sont remboursés sur des barèmes qui datent de plus de vingt-cinq ans. Dans le secteur public, les salaires des médecins et ceux des autres personnels sont restés les plus bas.

La santé est le seul secteur à subir, à la fois, les effets de l’inflation et à ne pas bénéficier des avantages de l’économie de marché.

Les pouvoirs publics doivent abandonner l’idée que préserver la santé du citoyen n’est pas rentable et se décider à aligner le coût de la prestation médicale sur celui du kilo de tomates, de la pomme de terre ou encore celui de la viande, autrement dit sur le coût de la vie. Une telle décision nécessitera évidemment un accroissement des dépenses de santé et grèvera assurément le budget de la caisse de la Sécurité sociale. Mais voilà une occasion qui tombe à point nommée pour redéfinir la place de cet organisme (la Sécurité sociale) dans le système de santé et de le restaurer dans sa mission originelle.

Celle de la prise en charge des soucis de santé de ses cotisants en assurant notamment le remboursement au tarif réel des frais occasionnés non seulement dans le secteur privé mais également dans le secteur public. Est-il besoin de souligner que la sécurité sociale ne rembourse pas, au secteur public, les prestations fournies à ses adhérents? Elle participe, nous dit-on, à l’effort de la médecine gratuite par des contributions forfaitaires annuelles. Une forme d’aide, du mécénat (?), mais une participation sans doute en deçà du coût réel des prestations consommées par ses cotisants. Actualiser les tarifs des prestations servies aux malades et les adapter à la réalité du coût de la vie mettront en péril la caisse de Sécurité sociale. Une certitude. Mais il y a des solutions pour sa sauvegarde et mettre à l’abri de la faillite la Cnas ne doit pas se faire au détriment de la santé du citoyen, du médecin ou de la qualité de la prestation médicale. Il appartient à cet organisme et à son ministère de tutelle de faire preuve d’ingéniosité pour éviter la banqueroute.

La médecine gratuite, un système de soins qui n’est plus adapté, un constat indéniable. Pourquoi? Parce qu’elle n’a plus sa place dans le système économique pour lequel l’Algérie a aujourd’hui opté. Pour que cet acquis social généreux survive aux coups de boutoir qu’il reçoit, il est indispensable de lui donner les moyens de sa politique. Pour l’instant, ce n’est pas le cas, quand bien même durant ces dix dernières années notre pays s’est franchement enrichi. Les pouvoirs publics ont profité de cette manne financière pour s’abimer dans la gabegie.

L’État a investi 281 milliards de dinars pour le plan quinquennal 2010-2014, le seul pays de la région à débourser 8% de son PIB pour les dépenses de santé, nous est-il dit. Cet argent a été gaspillé dans l’achat inconsidéré d’équipements coûteux qui sont installés, en dépit du bon sens, dans des structures de santé qui ne peuvent pas, faute de personnel, les utiliser. C’est le cas notamment des scanner et autres IRM dont sont équipés certains hôpitaux de l’intérieur du pays — même quelques CHU — et qui ne possèdent pas de médecins spécialistes en radiologie. Des interventions chirurgicales réalisées quelques fois seulement dans l’année, à l’instar des greffes de reins — pour “rehausser le prestige” —, dans des centres universitaires qui n’ont pas vocation à cela et qui ne sont pas en mesure d’honorer des opérations ordinaires. Des dépenses colossales pour acheter des médicaments indisponibles sur le marché... et que les malades sont souvent obligés d’acheter, à l’étranger, avec leurs moyens propres.

Une mystification permanente. Pendant ce temps, la population n’a pas accès à des soins de qualité. Il faudra bien arrêter de lui mentir et tourner cette page d’une médecine gratuite-alibi. Mais il faudra aussi imaginer un système de santé nouveau, en harmonie avec les exigences de l’économie de marché ; un système qui ne laisse pas sur le bord de la route les malades les plus défavorisés et les non assurés, des citoyens qui doivent continuer à bénéficier de notre solidarité.
Pour le cinquantenaire de notre indépendance, le peuple mérite bien ce cadeau.


(*) Dr M. B./ Psychiatre
Docteur en sciences biomédicales



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