Algérie

Une Palestinienne à Paris


Ce n'est pas sans émotion ni sans plaisir que l'on écoute sa voix tantôt chaude, tantôt douce, tantôt vibrante, accompagnée du luth, déclamer : « J'ai une route qui ne mène nulle part/J'ai un lieu qui est ma mélodie/C'est pourquoi je parcours le monde et je chante. », un extrait de Makan, poème du Palestinien Salman Massalha. L'auditeur écoutera avec une émotion et un plaisir intacts d'autres paroles que Jubran a mis en musique : Suwar (photographies), Lafz (mot) et Samt (Silence) de Massalha ; Yaday (Mes Mains) et Rafif (Bruissement) de Najmi ; Quawafel (Caravanes) de l'Irakien Fadhil Al-Azzawi et Nabd (Souffle) du Sénégalais Birago Diop. D'autres poèmes chantés figurent dans le répertoire de Kamilya Jubran, tels que ceux de son compatriote Hussein Barghouti, décédé en 2003, du Libanais Paul Shaoul, de la Syrienne Aïcha Arnaout, de la Jordanienne Sausan Darwasa, cinéaste et écrivaine'Née en 1963 à Akka (Saint-Jean d'Acre), Kamikya a grandi à Rame, près de Haïfa. Son père était ouvrier et mélomane. Un jour, il se fabriqua son propre oud (luth), et devint luthier. Il donnait également chez lui des cours de musique et de chant arabes aux enfants du village, avec lesquels il se produisait aussi dans les mariages et les autres fêtes familiales de la région. C'est avec eux qu'elle a appris les bases de son art avant de x à jouer elle-même du oud et du qanoun (cithare). Elle a été aussi fortement imprégnée des chansons de Mohamed Abdel Wahab, Zakarya Ahmed, Riadh Sombati, Oum Kaltoum, ainsi que des chanteurs des pays voisins qu'elle écoutait à la radio égyptienne, Sawt El-Arabe (la Voix des Arabes). Issue d'une famille orthodoxe grecque, elle a été également bercée par les cantiques à l'église du village, mais aussi par les cantillations du Coran de son environnement culturel islamique. Elle découvre, dans les années 1970, la chanson arabe engagée à travers le Libanais Marcel Khelifa, l'Egyptien Cheikh Imam, l'Irakien Khaked Al-Haber, Ahmed Kaabour'A 15 ans, elle s'éveille à la politique. Elle découvre aussi sa vocation : devenir chanteuse des causes nobles. Elle voulait pour cette raison parfaire d'abord sa formation musicale. Mais à l'époque, il n'existait pas de conservatoire de musique arabe en Israël. Elle ne pouvait pas, non plus, étant donné sa nationalité israélienne, l'étudier dans un pays arabe, sauf en Egypte et en Jordanie. Pourtant, Kamilya Jubran déclare volontiers : « J'ai le c'ur palestinien, mais je suis Israélienne de naissance. » Elle fit en 1982, à 19 ans, une rencontre capitale pendant ses études d'assistante sociale à Jérusalem : celle de Sabreen (les Patients), un groupe de rock arabe. Elle ne le quittera qu'en 2002 pour d'autres expériences. Chanteuse du groupe, elle y avait introduit des poèmes de Mahmoud Darwich, de Fadwa Touqan...Pour contourner les tracasseries de la censure, voire la répression, qui peut entraîner l'interdiction pure et simple d'exercer, voire l'emprisonnement, elle et ses camarades expurgeaient leurs textes de mots tels que « pierres », « soldats », « guerre », etc. Cela ne les empêche nullement d'aborder les thèmes, à la dépossession de leur patrie et à la paix. C'est ainsi que les accords d'Oslo, de 1993, et le grand espoir qu'ils avaient soulevés, leur inspirèrent, l'édition, l'année suivante, d'un album intitulée : Voici le temps des colombes . Installée en 2002 à Berne, en Suisse, initialement pour une résidence artistique de deux mois, elle a collaboré à deux projets, mariant musique orientale et sons électroacoustiques. Il s'agit de Mahattat (Stations), un spectacle visuel et sonore avec Werner Hasler et le vidéaste, Michael Spahr et d'un CD de musique intitulé, Wamid (Lueur) avec Hasler. Ne se sent-elle pas dépaysée en Europe 'Mais j'étais aussi étrangère à Jérusalem ! » En Europe, elle se sent comme « sortie de la cage ». « Ici, je suis libre de penser, de circuler, de partager- tout ce qui fait défaut dans un pays comme le mien. Je me sens comme quelqu'un qui sortirait de prison et découvrirait ce qui lui a manqué, sans même qu'il s'en rende compte, tellement il était enfermé : le manque de rencontres culturelles, de croisements artistiques, de métissage ». A Paris où elle vit à présent, elle peut enfin rencontrer de nombreux artistes et intellectuels arabes.


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