Une existence opaque

L'exposition de cette nouvelle collection picturale est à visiter jusqu'à la fin du mois de Ramadhan.Des hommes qui marchent. Peut-être. Avec à bout de bras soit un cartable, soit un sac ou une valise. Ils avancent tels des spectres, des sombres silhouettes errantes. Où vont ils' Partent- ils ou reviennent-ils' Ils sont peints dans des couleurs chaudes qui rappellent la terre, l'Afrique, les tourmentes et le déracinement. Dans sa nouvelle collection de peinture, l'artiste Yacine Aïdoud qui expose à la galerie Les Ateliers (sise au 173, Bd Krim Belkacem (Télemly) jusqu'à la fin du moins de Ramadhan a choisi d'intituler son exposition Les hommes de l'ombre. Qui sont ils' L'artiste suggère à un moment, lors de notre discussion les noms de «trust» et de «lobbies qui guident et gèrent le monde» mais aussi de «confréries» et de «franc-maçonnerie». Ces figures plastiques renvoient ainsi comme il est suggéré dans le texte de présentation aux faillites économiques, morales, culturelles, sociales et écologiques. Cela pourrait être aussi et surtout politiques en raison des temps décadents et d'absurdités criminelles que nous vivons actuellement. Car les guerres peuvent prendre n'importe quelle forme. Les silhouettes de ces personnages semi- figuratifs vivotant croulent sous un poids chromique, dru. Il s'agit d'une peinture déclinée en technique mixte qui donne une certaine épaisseur rugueuse à ces êtres fantomatiques rehaussés d'un certain relief, faisant rappeler d'une certaine façon les sculptures de Giacometti. Ces personnages énigmatiques ont parfois la tête baissée, comme signe de soumission ou de fatigue, d'épuisement ou de maladie. Maladie de la convoitise de la société de consommation et de la vanité capitaliste qui pousse au déséquilibre économique de la planète, exhortant les pays sous- développés à être éternellement dépendants des aides étrangères. L'artiste en donne pour preuve la richesse du pays qui pourtant était «le grenier de l'Europe, il y a 50 ans de cela en agriculture, notamment etc et aujourd'hui, elle ne produit rien de ce qu'elle mange, pis encore, importe tout...» et de s'interroger: «Où allons-nous' Qui sommes-nous'». A noter que «d'où venons-nous' Que sommes-nous' Où allons- nous» est une des peintures les plus connues de Paul Gauguin.. Si la représentation formelle de ces personnages est récurrente, reste l'arrière-fond qui interpelle plus car la disposition de ces derniers évoque l'échiquier ou le damier sur lesquels sont placés ici et là ces bustes humains ou corps flottants baignant parfois dans une sorte de magma rayonnant de lumière qui ne sont que des reflets d'états d'âme en méditation, non pas en action, mais qui ouvrent le champ à l'interprétation multiple. Ce que, du moins a voulu suggérer l'artiste.Dans ce flou des incertitudes opaques, la peinture des mansuétudes de Aïdoud est rehaussée de quelques croix comme symbole de négation de ce monde en décrépitude et d'asservissement, contre lequel s'élève l'artiste et souhaite dénoncer à travers ses peintures qui se distinguent pour quelques unes d'entre elles par des couleurs outre que le marron, par le rouge et les stries qui transforment le carton en une épaisse couche picturale âpre qui rappellent la dureté de la vie, le mur et la pierre, suggérant les temps ancestraux. Pour combien de temps va durer cette infamie et ces peurs sur lesquelles s'arc-boute l'homme pour exister' Ces physionomies obscures témoigneraient-elles cependant de ces hommes de la nuit qui tentent de lutter pour la survie de leur peuple, leur propre existence quitte à rester des solitaires et des marginaux' Peut- être...Les êtres de l'ombre de Yacine Aïdoud vous attendent en tout cas. Pour les retardataires, une visite dans cette charmante galerie s'impose.