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Un vrai moment de rupture


Un vrai moment de rupture
Les massacres du 8 mai 1945 se sont déroulés à un moment décisif de l'histoire de notre pays. Le vieil ordre mondial, celui des canonnières, se fissurait avec l'affaissement de puissances coloniales, l'émergence d'autres. En même temps que s'affirmait et se renforçait le mouvement national en pleine ascension. A la lumière de cette double évolution, l'ampleur des massacres prend tout son sens. Soixante-dix ans sont passés depuis. Le pays a connu tout au long des années qui ont suivi des bouleversements de tous ordres. Pourtant, dans la mémoire des survivants dont les rangs sont de plus en plus clairsemés, les événements conservent encore une place et une valeur particulières. Ils ne sont pas comme d'autres dates qui s'imbriquent dans d'autres. Elles ne révèlent pas toute leur signification sans le recours à d'autres péripéties dont elles sont tantôt la cause et tantôt l'effet. S'agissant des massacres (y a-t-il un autre mot ') du 8 Mai, ils se suffisent. Nul besoin de fournir d'autres explications. Ils sont par eux-mêmes l'expression de la barbarie coloniale, la limite des revendications légalistes. Dans la mémoire des individus ou de la nation, ils constituèrent un vrai moment de rupture. Presque tous les militants qui vont s'engager dans la lutte pour l'indépendance moins de dix ans plus tard le reconnaissent. Leur conscience est née ce jour-là. Dans les romans, les témoignages ou les films, se révèle cette volonté d'en finir avec un système qui ne pouvait faire amende honorable ou s'astreindre même à des réformettes. C'est bien des années plus tard que Naegelen s'est illustré dans le trafic des élections, que l'OS (Organisation spéciale) fut mise en place comme s'il n'y avait plus rien à attendre. Ce jour-là, notamment dans le Constantinois qui s'étendait alors des rives de la Soummam aux frontières tunisiennes, une page fut tournée en attendant d'être déchirée. Loin des préceptes de liberté, égalité et fraternité, la soldatesque coloniale avait maté dans le sang le désir de liberté et d'égalité d'un peuple qui depuis l'arrivée des Bugeaud, Montagnac et Clauzel s'est soulevé pour défendre sa terre et sa religion. Le 8 Mai fut une étape dans ce long processus de résistance. Depuis, les manifestations qui ont coûté la vie à des milliers d'Algériens, victimes de toutes sortes d'exactions, sont un champ de recherches établi. Des dizaines de chercheurs algériens ou étrangers se sont penchés sur le déroulement de ces funestes journées. Ils ont surtout démonté la mécanique infernale qui a conduit à ce que Mohamed Harbi et d'autres considèrent comme la source du 1er novembre 1954. En fêtant chaque année cette date, les Algériens n'expriment nullement une volonté de raviver des sentiments anti-français. Ils entretiennent comme tous les peuples une mémoire dont la préservation est un devoir. Le regard sur ces événements change aussi chez les dirigeants de l'Etat français, responsable de ces massacres de grande ampleur. Ce qui s'est passé ce jour-là et qui se répétera sous d'autres formes tout le long de la guerre de Libération est quasi semblable à d'autres méfaits. Ceux-là mêmes antérieurs au 8 Mai 1945 soulèvent davantage la conscience des bonnes âmes. Ces dernières pleurent encore le massacre des Arméniens ou la déportation des Tchétchènes et dénoncent tout négationnisme d'Etats qui peine à soulever les pans sombres de son histoire. S'il n'y a pas lieu, comme le répètent, à l'envi, les gardiens d'une mémoire sélective, d'entretenir une hiérarchie macabre des massacres, les victimes ont toutes droit à une réhabilitation, voire à une réparation. Il y a quelques années, une association présidée d'abord Bachir Boumaâza, né dans la ville martyrisée de Kherrata, s'est attelée sans grand succès à cette tâche. L'exigence est toujours actuelle, ne serait-ce que d'un point de vue moral. On ne peut se suffire de simples regrets.




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