Algérie

Un prince de la pensée s’en est allé : Mokhtar Nouiouat



Un prince de la pensée s’en est allé : Mokhtar Nouiouat
Publié le 25.05.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie
Par Layachi salah eddine

L’oraison funèbre est un art difficile, car comment résumer la vie d’un homme dans toute sa complexité sans oublier peut-être l’essentiel surtout quand cet homme a eu une vie aussi riche et bien remplie que celle de Mokhtar Nouiouat.
Par le passé, la tradition de l’oraison funèbre existait dans l’islam pour les princes et les personnes éminentes qui ont marqué l’Histoire. Plus près de nous et s’agissant de l’Algérie, l’hommage est resté réservé aux grands combattants de la guerre de Libération nationale et cela se comprend aisément étant donné les services incommensurables rendus par ces derniers au peuple et au pays.
Mais une fois l’indépendance acquise, il y a eu d’autres combats, passionnants, rudes et parfois décourageants, qui ont été livrés par des combattants tout aussi engagés, mus par le même esprit de sacrifice qu’un soldat, aussi intrépides et aussi tenaces dans la lutte pour plus d’intelligence et moins de dogmatisme. Ce fut le cas de Mokhtar Nouiouat, un prince à sa manière, dont l’immense savoir n’avait d’égal que sa très grande modestie.
Mokhtar Nouiouat est né en 1930 à M’Sila et a passé sa prime jeunesse à Bordj-Bou-Arréridj dans une famille pauvre, comme l’était l’écrasante majorité des Algériens, mais il a eu la chance d’avoir un père érudit, l’éminent penseur Moussa Nouiouat, disciple de Abdelhamid Benbadis, dont l’exemple sera déterminant dans les choix culturels et le cursus académique de son fils.
Parfaitement bilingue, il sera diplômé en 1954 des Hautes études islamiques et titulaire d’une licence en littérature arabe puis d’un doctorat d’Etat en lettres et sciences humaines à la suite d’une soutenance de thèse à la Sorbonne en 1981. Cette thèse publiée dans la Revue des études islamiques fut particulièrement remarquée par la rigueur et la maîtrise du sujet par son auteur.
Sa carrière professorale sera longue, pas loin du demi-siècle, il sera professeur agrégé en 1963 et exercera respectivement comme professeur au lycée de Sétif, puis au lycée Saint-Augustin de Annaba. A la suite de son doctorat, il fera le reste de sa carrière comme professeur à l’université Badji-Mokhtar de Annaba.
Selon les dires de ses élèves, il a été un fin lettré et un amoureux de la langue arabe dont il exigeait un usage respectueux et délicat et ne craignait pas de rechercher la limpidité de la langue jusque chez les poètes de la Djahiliya.
Dans les années 40, au plus fort de la colonisation, à son poste de jeune professeur, il luttait de toutes ses forces contre le peu de considération accordée à l’enseignement de la langue arabe, marginalisée par les autorités coloniales, afin de lui redonner son lustre d’antan en la tirant du ghetto dans lequel elle était confinée.
Grand connaisseur de l’histoire de la littérature arabe et française et même européenne, il inculquait à ses élèves la fierté de savoir que beaucoup de poètes et écrivains d’Europe n’ont pas craint de plagier les auteurs arabo-musulmans sans jamais le reconnaître.
Il leur enseignait évidemment l’amour du livre et de la lecture avec une prédilection marquée pour les immenses poètes que furent El Moutanabi, El Manfalouti ou Ahmed Chawki.
Parallèlement à son activité d’enseignant, il était président d’honneur de la revue Synergies Algérie et rédacteur en chef de la revue francophone de recherches en sciences humaines pour tout ce qui concerne le langage, la littérature, la didactique des langues et des cultures.
Après une vie bien remplie, faite de labeur et de réflexion, est venu le temps du passage de témoin aux différentes générations en tant qu’enseignant puis est venu aussi le temps des hommages.
Pour sa contribution exceptionnelle à la défense de la langue arabe et son enseignement, un hommage particulier lui a été rendu par le Conseil supérieur de la langue arabe le 16 décembre 2014 à l’occasion de la Journée mondiale de la langue arabe.
Le 24 mai 2017, la médaille de l’ordre du mérite national lui fut décernée en même temps que 47 personnalités du monde des lettres, de la culture et des sciences. Le 19 mai 2023, le lycée ex-Albertini, qui porte le nom de son élève, Mohamed-Kerouani, chahid mort les armes à la main, son souvenir a été rappelé lors d’une cérémonie en présence de sa sœur qui a reçu en cette qualité un certificat de reconnaissance des autorités pour l’œuvre de son frère.
Après tant d’années d’impéritie et d’indifférence à la chose culturelle et au savoir, il y a de quoi être soulagé de savoir que ces enseignants, véritables combattants de l’ombre, aient enfin été reconnus durant leur vivant et plus encore après leur décès, comme les piliers de la connaissance et de sa transmission.
De leur côté, et par leur contribution sans réserve, ils ont, eux aussi, administré la preuve que, sans instruction et sans culture, une société s’effondre, ce qui a failli arriver à la société algérienne sans le courage et l’abnégation de gens comme Mokhtar Nouiouat qui furent en première ligne jusqu’au bout.
Puisse l’exemple puissant et désintéressé du professeur Nouiouat et de tant d’autres, happés par l’oubli, servir aux décideurs et aux nouvelles générations, chacun dans son rôle, pour construire une société prête à affronter les grands défis qui l’attendent.
L. S. E.

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