Algérie - Revue de Presse

Un nom, un lieu: Taïbi Mohamed : une vie éphémère, une mort de héros




Lorsque Abdelhamid Taïbi, jeune retraité des postes et Télécom, commande un acte de décès de son père, Taïbi Mohamed, il a droit à un extrait des actes où il est mentionné, laconiquement, qu'il est «décédé le 31 mai 1956, jugement rendu par le tribunal civil à Oran, en date du 19 juin 1957, transcrit par nous, Yung Paul, maire et officier de l'état civil, officier de la légion d'honneur».

Ce black-out des services de l'occupant est très compréhensible, car il s'agissait d'un de ces valeureux combattants, tombés les armes à la main au champ d'honneur le 31 mai 1956. Le gouvernement français s'entêtait toujours à qualifier de «maintien de l'ordre et de pacification» ce qui était en fait un soulèvement populaire spontané d'un peuple spolié de la terre de ses ancêtres et de ses droits les plus élémentaires. Pour Taïbi Mohamed, c'était le terme de son existence qui a commencé, il y a 41 ans, mais le début d'une notoriété post-mortem qui ne s'est jamais démentie.

La biographie officielle fait état «d'un dur accrochage, qui a duré toute la journée, entre le groupe de «Si Mohamed Bentayeb (nom de guerre de Taïbi Mohamed) et les forces ennemies dans la zone de Bouzedjar, le 31 mai 1956». Si la France continue à glorifier «l'aspect positif de la colonisation», une idéologie encore à l'origine du différend entre la France et l'Algérie, qui fait directement référence à celle des colons américains, esprit pionnier, conquête des grands espaces, mais aussi esclavagisme et relégation des «indigènes», nous préférons, pour notre part, humblement et dans la mesure du possible, rendre hommage à Taïbi Mohamed, l'un des innombrables chouhada qui se sont sacrifiés corps et âme pour que l'Algérie se délivre du joug colonial. L'histoire a révélé que l'épisode du coup du chasse-mouches, infligé à la face du consul français Duval, n'était qu'un prétexte pour ne pas honorer des dettes et faire main-basse sur les trésors de la Régence. Aussi, et à chaque fois que c'est possible, il est impératif de revenir sur les hauts faits de ces véritables héros. Dans le cas contraire, si nous - et nos successeurs - sommes défaillants, ce serait pour eux une seconde mort, encore plus cruelle que la première.

Le combat de Taïbi Mohamed n'a pas commencé le Premier Novembre 1954, mais bien avant, en 1951. Il était un membre très écouté dans les rangs du mouvement national aux côtés d'autres hommes de légende, tels Larbi Ben M'hidi, Boussouf, Souiah Lahouari, Hamou Boutlélis, Hadj Benalla, Hamou Mokhtar, Rabah Bitat, Khattar, Bouhadjar (Colonel Othmane), et les frères Fortas. Durant deux années, entre 1951 et 1953, ces hommes se réunissaient secrètement, en compagnie de Bensaïd Abderrahmane, dans une ferme de Ouled Bentayeb (El-Amria). «Des moudjahidine qui sont encore parmi nous (que Dieu leur prête vie et bénédiction) m'ont raconté que Rabah Bitat a vécu longtemps dans la ferme de mon père, apportant leurs précieux témoignages. Une amitié sincère était née entre les deux hommes», dira Abdelhamid Taïbi. Les services français n'étaient pas dupes et, dès 1951, ils ont arrêté une partie de ce groupe, à savoir Souiah, Othmane, Bensaïd et Taïbi. Mais, dès leur élargissement, tous ces hommes ont repris leurs activités politiques dans les zones de Boutlélis, Sidi Bakhti, Madegh et Aïn Témouchent. Fils de fellah, Taïbi a caché dans la ferme de ses parents - en fait celles de ses aïeux comme le stipule un titre de propriété du mois... d'août 1880 - des armes et des documents afin de préparer le déclenchement de la lutte armée. On soulignera qu'en 1945 déjà, les parents de Taïbi avaient été dépossédés d'une grande partie de leurs terres au profit des colons d'Aïn Témouchent.

Taïbi Mohamed regagna tout naturellement les rangs de l'ALN dès les premières heures de Novembre 1954. Il combattit de toutes ses forces l'occupant jusqu'à sa mort, lors d'un accrochage le 31 mai 1956. Le regretté Houari Chaïla, lui-même combattant de la cause nationale et qui a passé plusieurs années dans les prisons coloniales, a rendu un vibrant hommage à Taïbi Mohamed, dont voici un extrait : «Il est des vies humaines qui, naturellement éphémères, donnent à ceux qui les ont vécues l'impression d'être plusieurs fois présentes de par leur densité et leur intensité. C'est le sentiment de milliers de jeunes qui ont préparé et mené la Révolution de Novembre 1954, un sentiment d'un combat magnifique pour une cause noble et incommensurable. Qui de tes camarades n'a pas apprécié ton engagement total, ton intelligence et ton amour pour ce pays qui t'a vu naître et mourir ? Ce faisant, tu as honoré l'uniforme de l'Armée de Libération nationale et tu as, durant ta mobilisation, donné l'exemple du courage et du sacrifice jusqu'à ce jour fatal du 31 mai 1956 où tu mourus au combat, en véritable héros. Dors en paix, tu as accompli ton devoir sacré, comme de nombreux fils de ce pays généreux. Tu as consenti le tribut de la liberté. Nous commémorons aujourd'hui, 5 Juillet 2000, l'anniversaire de notre indépendance, en priant Dieu le Tout-Puissant pour tous ceux qui, comme toi, sont morts dans les combats, dans les oueds, les «talwegs», les plaines, les ergs, les cimes des montagnes, et le fond glacial et lugubre des geôles de l'armée colonialiste, partout où le sang a coulé. Ainsi, c'est grâce aux dons de votre vie qu'est né un grand et beau pays libre qu'on appelle Algérie».

On rappellera pour mémoire, que la ferme de Taïbi a été dynamitée par la soldatesque française en 1956, poussant à l'exil son épouse et ses enfants. Une maison située place Sidi Blal, foyer du nationalisme par excellence comme chacun le sait, fut leur refuge momentané. Car les services de police, non contents de la mort de ce «fellaga» hors normes, harcela sa famille qui dut se réfugier à El-Ançor pour l'épouse de Taïbi. Quant au jeune Abdelhamid (15 ans), il fut tout heureux de trouver une place de «mousse» astreint au dur apprentissage de métier de marin. Dépositaire des qualités héréditaires de son père, il fit preuve d'une abnégation et d'un courage étonnants à cet âge. Et que pouvait-il faire, lui, fils d'un ennemi juré de l'occupant, dans un pays où l'Algérien était, non un citoyen, mais un «sujet» de seconde zone, malléable et corvéable à merci, très loin du statut privilégié des pieds-noirs et des juifs ? Sa satisfaction, c'est que le sacrifice de son glorieux père a été reconnu et souligné par l'ONM de la wilaya d'Oran, à plusieurs reprises. On rappellera qu'un hommage particulier lui a été rendu, le 20 août 1997, par une émouvante cérémonie de baptisation de la cité des 1.500 Logements qui porte son nom. Enfin, il est utile de mentionner que trois membres de la même famille Taïbi sont tombés au champ d'honneur durant cette longue guerre de Libération. L'histoire a retenu l'étendue et la portée de leur sacrifice. L'Algérie n'oubliera pas...


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