Algérie - A la une


Un combat de coqs
La vie quotidienne durant le Ramadhan s'accompagne souvent d'actes perçus par les uns comme une volonté de moralisation nécessaire d'une société, et par d'autres comme des signes de dépravation. Les plus engagés dans cette voie se croient même dotés du pouvoir de sauver toute l'humanité. Pourtant, depuis que le monde est monde, la terre n'a jamais été peuplée seulement d'âmes vertueuses. Le Coran, valable pour toutes les époques, n'évoque-t-il pas, à maintes reprises, les hypocrites, les corrompus et les injustes ' Qui peut les faire disparaître, même sous l'effet de la contrainte ' D'autres ne voient dans ce désir des justiciers autoproclamés que l'expression d'une intolérance rampante et menaçante. Elle prend chez eux le nom de « salafisation, un concept fourre-tout. C'est un spectre large qui recouvre autant les propos haineux d'un imam de télé que la remarque absurde d'un jeune qui veut se faire voir et remarquer dans la rue. Eux, par contre, voient dans chaque Algérien, un salafiste prêt à dégainer sur son prochain. Pour les premiers, c'est la vocation même du mois qui commanderait d'aller porter la bonne parole. Tout y contribue, dès lors que l'expression religieuse occupe grandement les médias et s'affiche ostensiblement dans l'espace public. Aux yeux de leurs contempteurs, il s'agit d'empiétements inacceptables sur des libertés individuelles tout autant sacralisées. A vrai dire, cette vigilance matinée de méfiance n'est jamais de trop. Dans l'histoire récente du pays, on a vu comment ces moralisateurs procédaient. Nul ne sait où et quand ils estiment leurs objectifs atteints. Les fatwas sont si nombreuses et parfois contradictoires que nul ne sait qui dit vrai et qui surenchérit. Tel milite pour interdire un gala qui se tient à proximité d'une mosquée. Tel autre baignera dans la béatitude le jour où même les oiseaux cesseront peut-être de chanter. Au fil des années, il devient de plus en plus difficile de faire l'économie de ces polémiques qui rythment les discussions durant le Ramadhan. Elles opposent les défenseurs des libertés et les moralistes, pour qui le moindre écart en matière vestimentaire est une atteinte à la sacralité du mois. La multiplication et la diversification des moyens d'information donnent un plus grand écho à des « affaires » qui relèveraient, dans un autre contexte, de la chronique locale. Ainsi en est-il des « mangeurs » de Ramadhan qui ont toujours existé. Leur comportement, pour répréhensible qu'il fut dans la société traditionnelle, n'était pas ce motif de calculs politiques qu'il est ouvertement devenu. Aujourd'hui, il n'est pas seulement « l'égaré » qu'il faut ramener sur le droit chemin. Il est devenu malgré lui l'enjeu d'une bataille idéologique. Le nom d'un simple maçon se trouve projeté sous un éclat de lumière et devient le héros d'une cause. Ce qui était un mois de communion, célébré naguère dans la piété et la fraternité, devient progressivement le lieu et l'occasion de batailles politiques. C'est que le Ramadhan a changé. La société et le monde aussi. Le net donne un écho démesuré à chaque acte, aussitôt utilisé et manipulé pour servir une cause de nature politique et régler des comptes avec ses adversaires. Les uns, mus par une volonté de purification, outrepassent le simple conseil, la bonne parole. Ils n'hésitent pas à user de violence en contradiction avec le comportement du jeûneur qui doit s'éloigner de l'une des tentations malsaines. Leurs opposants semblent ignorer que chaque société, pour parler le langage des informaticiens, a un curseur de liberté qu'on ne peut déplacer au gré de ses humeurs. La grande majorité, silencieuse par nature, observe ce combat de coqs. Elle n'en partage ni les outrances des uns ni les invectives des autres.


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