Algérie

Un cauchemar (fiction)



J?ai fait hier un rêve insensé: par je ne sais quelle entourloupette, je me suis retrouvé élu Président de la République. Je suis incapable de vous rapporter les circonstances précises qui ont présidé à cette élection incroyable. Je me rappelle seulement que, dès le premier jour qui a suivi mon investiture, j?ai pris, sous le sceau de l?urgence, une série d?ordonnances destinées à corriger ce que je considérais comme des dérives inacceptables de la politique menée par mes prédécesseurs.Il fallait tout d?abord abolir cette pratique détestable et dangereuse qui fait des activités ordinaires du Président toute la vie politique du pays. Les autres institutions de l?Etat ne fonctionnent que comme des caisses de résonance dont le rôle perverti se résume finalement à satisfaire complaisamment aux desiderata du chef de l?Etat. La démocratie est un long et difficile apprentissage. Ayant constaté l?inexistence d?un champ politique démocratique sans réelle opposition en mesure de constituer une alternance crédible pour le pouvoir, j?ai invité toutes les formations politiques du pays à jouer leur rôle véritable, au lieu de se contenter de courbettes stériles et opportunistes, ou de se réveiller de leur longue léthargie à l?occasion d?échéances électorales.Mon programme avait un seul credo: hisser en cinq ans l?Algérie au niveau des pays développés, par tous les moyens possibles, sans démagogie et sans concessions. La gageure était difficile à tenir, compte tenu de la complexité de la tâche et de l?imbroglio politico-économique et social du pays. En contrepartie, j?avais un atout non négligeable: il y avait cent milliards de dollars dans les caisses de l?Etat dus à la manne pétrolière. Malgré ce pactole, j?étais fermement décidé à mener une sévère politique d?austérité. On m?a soumis le projet de loi de finances pour l?année à venir. J?ai été sidéré par les crédits alloués à des ministères que je qualifierais avec euphémisme d?improductifs. Non seulement l?Etat vit au-dessus de ses moyens, mais son budget est englouti à perte pour financer des entités économiquement injustifiables.J?ai décidé de réduire d?une manière draconienne le train de vie de l?Etat. J?ai procédé à la suppression de tous les ministères inutiles et budgétivores: le ministère des Moudjahidine remplacé par une agence à l?effectif réduit chargée de prendre en charge les pensions des anciens et vrais combattants, espèce (en principe) en voie d?extinction compte tenu de leur âge avancé. J?ai même envisagé, pour préserver la pureté du symbole sacré incarné par le Moudjahid, la suppression de cette pension (que je réserverais uniquement aux invalides de guerre), car j?ai pensé que le Djihad, action noble et éminemment désintéressée, n?a pas à chercher une rétribution mercantile ou matérielle dans ce bas monde, mais trouvera sa juste et véritable récompense auprès d?Allah. J?interdirai désormais à quiconque d?utiliser les symboles de la nation pour revendiquer des privilèges indus, notamment ceux qui considèrent que le Djihad est affaire d?héritage, question que la génétique moderne n?a pas encore pour le moment définitivement résolue.Le ministère des Transports, réduit à promulguer des textes sans intérêt, incapable de maîtriser la pagaille qui caractérise les moyens de transport, sera absorbé par le ministère des Travaux public. Le ministère de la Pêche, également inutile, disposait d?un budget de fonctionnement qui, économisé, permettra d?inonder le marché en produits halieutiques. Le ministère du Tourisme n?a plus de raison d?être puisque notre pays ne reçoit plus de touristes étrangers depuis belle lurette.L?un de mes objectifs principaux est de réduire l?équipe gouvernementale au strict minimum, en lui imposant des mesures d?austérité draconienne: interdiction notamment d?utiliser des limousines de luxe. Le scooter sera imposé à tous les ministres. Aucun véhicule ne sera acquis dans le cadre du budget de fonctionnement ou d?équipement. Les missions à l?étranger, prétexte pour des vacances dorées, seront systématiquement prohibées. Mes visites d?inspection à travers le territoire national se feront incognito. Comme ça je serai à même d?apprécier la situation réelle du pays sans être floué par des responsables experts en maquillage et mise en scène lorsqu?il s?agit de visites présidentielles.J?abrogerai le texte qui permet à un haut fonctionnaire nommé par décret de sortir en retraite au bout de quinze années d?activité. Je ne vois pas pourquoi les petits salariés de la nation seraient obligés de prendre à leur charge ces retraités précoces. Je supprimerai tous les avantages indus dont profite une faune parasite insoupçonnée au détriment des masses laborieuses, puisque payée avec l?argent du contribuable. Tous les régimes de retraite spéciaux seront abolis. L?âge de la retraite légale sera fixé à soixante ans pour tout le monde. Alors que l?Europe prospère fait tout pour retarder l?âge limite de la retraite à soixante-cinq ans, notre pays, par un anachronisme économique unique au monde, enfante des retraités quinquagénaires en pleine force de l?âge, sans que cela se traduise par des emplois dégagés au profit des jeunes diplômés, puisque les même retraités ou leur progéniture sont recasés dans la même boîte. Je ferai une coupe drastique des effectifs pléthoriques de la fonction publique. Je l?ai déjà dit: ma politique est à l?antipode du populisme.Par contre, s?il existe un ministère que je voudrais vraiment réhabiliter et valoriser, c?est celui de l?Education nationale. Je considère l?enseignant, particulièrement l?instituteur, comme le pilier fondamental de la nation, injustement marginalisé. Son salaire sera multiplié par trois. Quant aux enseignants de l?université, leur salaire sera indexé sur leurs publications scientifiques dans des revues reconnues. Dans ce secteur, il y a malheureusement des parasites qui considèrent leur doctorat comme une fin en soi, alors qu?il n?est que le commencement d?une longue vie dédiée à la recherche. Chaque ville aura sa bibliothèque pourvue d?un budget conséquent. Le livre, notamment le livre scientifique, sera subventionné par l?Etat.J?ai annulé la décision de construire une hyper mosquée à Alger dont le coût estimé à quatre milliards de dollars servira à réaliser utilement une liaison ferroviaire par TGV de Maghnia à Taref. L?Islam qui est une religion très tolérante, considère la terre entière comme un lieu de prière. Nous manquons plus de vrais fidèles que de mosquées qui en fin de compte serviront plutôt de terreaux pour les terroristes. Par contre, j?ai maintenu le projet d?autoroute Est-Ouest que je considère vitale pour le développement du pays.J?ai pris une ordonnance portant création d?une capitale administrative dans les hauts plateaux. L?argent englouti pour désengorger Alger sans succès, trouvera un meilleur usage. Alger restera la capitale économique de l?Algérie. J?ai signé un décret annulant toutes les concessions accordées aux privés pour les activités de transport public qui seront soumises désormais, après l?anarchie généralisée constatée, à des conditions plus rigoureuses alignées sur celles des pays européens. Je préfère revenir aux anciennes régies communales de transport infiniment plus respectueuses du citoyen.Je demanderait au ministre de l?Intérieur d?être plus sévère touchant les infractions aux divers codes de la république, notamment le code de la route où les infractions, telles que l?excès de vitesse, le non-respect du stop, de la ligne continue ou du feu rouge, seront passibles d?un mois de prison ferme. Comme je déteste cordialement la langue de bois et la servilité, j?ai décidé de privatiser la télévision. Comme ça les citoyens n?auront plus à subir la litanie des informations inutiles de mes activités banales de Président de la République.A côté de mon portrait officiel exhibé comme le veut le protocole dans toutes les institutions de l?Etat, je demanderai d?accrocher le portrait de mon idole, Larbi Ben M?hidi, symbole absolu de courage et de sacrifice. Comme ça, chaque responsable aura constamment sous ses yeux l?exemple suprême à suivre d?abnégation, de droiture et d?intégrité. Au sujet de la corruption, j?avoue que je n?ai pas encore trouvé de parade. Le mal est devenu endémique et menace sérieusement notre société. La solution idéale est de ne plus donner de pouvoir à ceux qui peuvent le monnayer en contrepartie des services que leur fonction permet.Dans mon bureau, j?ai des tonnes de lettres anonymes dénonçant leurs pratiques. Certaines visaient les services de douanes. La perméabilité de nos frontières n?est pas possible sans complicités. Je désignerai une commission pour analyser la situation et établir les responsabilités. J?en suivrai personnellement le déroulement pour faire taire la rumeur populaire qui prétend qu?une commission est mise en place juste pour étouffer une affaire.A propos de lettres anonymes, je donnerai des instructions fermes pour que ce vil et ordurier procédé ne soit plus dorénavant pris en considération. Celui qui a des informations à communiquer aux services habilités doit avoir le courage d?assumer ce qu?il avance.J?ai donné instructions aux différents services de l?Etat pour proscrire cette pratique consistant à inclure dans les marchés publics ce qu?on appelle les moyens d?accompagnement pour l?acquisition d?équipements, procédé peu orthodoxe pour contourner les limites imposées par la loi de finances relative aux budgets de fonctionnement et d?équipement des institutions de l?Etat. J?ai également dans ma ligne de mire certains députés et sénateurs qui profitent d?avantages disproportionnés par rapport au service qu?ils rendent réellement à la nation.En consultant la masse d?informations mises à ma disposition par les différents services de renseignements rattachés à la Présidence, j?ai été saisi d?effroi. L?Algérie est atteinte d?un mal trop profond pour être éradiqué en cinq ans par une seule personne, fût-elle le chef de l?Etat. Dans le courrier adressé au Président de la République, il y avait beaucoup de lettres de menaces ou d?insultes, pleines d?obscénités, toutes anonymes bien sûr. On me promettait de me faire la peau, de connaître le même sort tragique que l?un de mes prédécesseurs.Un conseiller doté d?une expérience appréciable m?a averti que mon programme pavé d?intentions louables risquait cependant de m?attirer de sérieux problèmes à tous les niveaux, et que je devrais craindre pour ma sécurité. J?ai pris ça comme un avertissement. Je me suis senti très seul.J?ai eu peur. C?est pourquoi j?ai été très soulagé de me réveiller le matin en constatant que mon élection au poste de Président de la République n?était qu?un cauchemar.
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