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12e Journées théâtrales de Carthage Hérôstrate, comme du papier à musique Moi... ou... Aucun, Herôstrate ne se raconte pas. Elle se vit. La pièce mise en scène par Moncef Souissi à partir d?un succulent texte de Grigorie Gorine dresse le portrait intime de l?homme dans sa longue traversée de l?humanité. Toujours ambitieux, très souvent détestable..., l?être humain - concentré de faiblesses - n?en finit pas d?étonner son monde, semble dire l?animateur et principal fondateur de la compagnie Fou-Noun. Et il a raison de le rappeler avec l?art et la manière en plus. L?ovation qui a suivi le spectacle confirmait la netteté du choix. Le héros de cette tragédie grecque, l?incendiaire du temple d?Ephèse veut rentrer le premier dans l?histoire de son pays mais en a-t-il les moyens ? Lui l?homme ordinaire, pour griller la chaîne des prétendants et passer ainsi avant les gardiens du temple incendié, ses maîtres ? Cette immense question est reconstituée (dans sa psychologie et ses effets scénographiques) par une magistrale distribution réglée comme du papier à musique. En effet, dans cette histoire qui nous plonge dans les allées du pouvoir de la Grèce antique, la Grèce des Dieux, des oracles et des marchands de destin, le héros ou plutôt celui qui tente de le devenir en incendiant un repère sacré de l?identité communautaire, est un peu chacun de nous. Dans ses petites grandeurs et ses grandes petitesses. « Hérôstrate », c?est l?arpenteur des siècles et des mémoires, qui réinvente chaque jour sa liturgie du pouvoir et de l?amour dans leur relation intime et dans leurs contradictions jamais assumées. Dans Moi... ou... Aucun, Herôstrate, le personnage principal est par moments touchant. Assez régulièrement ridicule... trop souvent bestial ou carrément humain, lorsqu?il appelle de tous ses v?ux à ce que les barreaux du cachot lui assurent la pérennité du nom après la mort. Au fil des scènes, - très animées - les unes plus inscrites dans le registre du tragi-comique que dans celui de la tragédie, l?homme, cette grande et éternelle inconnue se dessine, se confirme dans ses coups bas et ses a priori que l?on appelle la condition humaine. Autour de la pièce et dans son approche, l?excès est dans les sentiments et dans la mise à nu de ces sentiments qui donnent naissance aux dérives humaines dans leurs facettes multiples et heureuses renouvelées. Pour meubler cette frénésie de la contradiction sur la scène du théâtre municipal de Tunis - lieu privilégié de ces 12e journées de Carthage consacrées aux expériences internationales du 4e art -, musiques martiales puisées du patrimoine lyrique mondial et jeu artistique collégial s?imbriquent et se ressourcent dans une belle pagaille agencée entre vie et théâtre ou encore théâtre dans la vie. Il n?y a ni silence ni vide sur le plateau (une tendance qui monte chez bon nombre de collectifs). L?espace est constamment occupé par l?équipe de Fou-Noun et dans cette poignante symphonie de sens pluriels, aucun répit n?est accordé aux douze comédiennes et comédiens, habillés en costume de base blanc barré de noir. L?avant-scène et les allées de la salle rouge constituent du début jusqu?à la fin du spectacle un prolongement naturel des actions contenues dans l??uvre. Sur un praticable à deux niveaux, sans mur de séparation ni palais en contreplaqué, les gestes s?entrecroisent et s?entrechoquent comme des lames d?épée, afin de visualiser mieux tout ce que chacun de nous cache au fond de lui-même : ses désirs secrets et ses errements : compris. En fait, ce que vient nous dire le choix de Moncef Souissi, c?est que Herôstrate en tout lieu et à tout moment comporte une partie de nous-mêmes, nous gens d?aujourd?hui. Finalement vingt-cinq siècles après, Hérôstrate continue de nous ressembler comme une goutte d?eau.Nous ressembler dans nos supposées « convenances » à écrire (ou agir) l?histoire que nous subissons. La compagnie Fou-Noun a su dire cela. Avec élégance et un discernement talentueux. Beaucoup mieux que des dizaines de livres d?histoire. Encore une histoire... d?histoire. Décidément, Herôstrate et ses compagnons du 4e siècle avant Jésus-Christ ne nous lâchent pas d?une semelle. Sont-ils anges ou démons ? Les deux à la fois. Tout comme nous.



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