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Trois wilayas de l’est sinistrées à cause de la sécheresse: Sale temps pour les fellahs


Trois wilayas de l’est sinistrées à cause de la sécheresse: Sale temps pour les fellahs




Un océan de désolation. A perte de vue, des centaines d’hectares de terre rendue stérile par la sécheresse, malade du stress hydrique qui a frappé cette année la wilaya d’Oum El Bouaghi. Voilà environ une semaine, le wali, M. Manaâ, a officiellement déclaré la wilaya sinistrée à 87%. Du jamais vu depuis 1983, dit Lakhdar Khelifa, fellah et président de la Chambre d’agriculture locale. Et même à cette époque, ce n’était pas aussi ravageur, raconte-t-il.

Oum El Bouaghi. De notre envoyé spécial

Sur les bords de l’axe reliant Oum El Bouaghi à Khenchela, à Ain Zitoun, Boughrara Saoudi, Guellif et Aïn Fakroun, le spectacle est identique: les terres sont en majorité labourées déjà et sous le ciel gris de ce début juin, cela ressemble à l’automne. Seuls quelques carrés, rares et épars, sont peints en doré, créant l’illusion d’un champ de blé gros de ses épis alourdis par le poids des grains. Illusion trompeuse de l’effet des tiges sans prolongement, jaunies par le soleil mais vides de fruit.

«Il y a une année, à cet endroit, les épis pouvaient dépasser notre véhicule et cacher la vue sur les bords», raconte Si Khelifa en roulant vers Ain Zitoun, la plus grande commune de la wilaya.

«Personne n’aurait cru qu’il s’agit de la même terre, Ces terres sont célèbres par leur orge, on est arrivé jusqu’à produire 80 quintaux par hectare», poursuit-il.

En rase campagne, avant d’atteindre Boughrara Saoudi, nous accostons un vieux fellah rentrant de ses terres à pied.

«Y aura-t-il de la moisson cette année», lui demandons-nous. Notre fellah sourit et répond avec ironie: «Oui, khir Rabbi! (beaucoup de biens de Dieu)».

Et le bétail, comment vous allez faire pour le nourrir?

«Nous comptons sur Dieu et sur l’Etat», rétorque notre fellah en langue chaouie, non sans une pointe d’amertume et de résignation.

Un ciel avare

Les conditions climatiques sont à l’origine de la catastrophe.

«Nous avons bien travaillé et n’avons pas manqué de respecter les consignes et les procédés techniques pour réussir notre saison», se défend Si Khelifa.

En effet, le cumul des précipitations enregistrées du mois d’août 2012 au 29 mai 2013 est de 192 mm, une quantité considérée comme très faible par rapport à la moyenne Seltzer (345 mm), peut-on lire dans un rapport établi par la direction des services agricoles de la wilaya.

A la pingrerie du ciel en matière de pluie s’ajoutent des chutes de neige enregistrées durant une dizaine de jours et 60 jours de gelées qui ont achevé de perdre les plants. Les périodes de fortes températures ont aussi influé négativement sur le développement des céréales, provoquant des chevauchements et autres effets néfastes.

Les enquêtes menées par les commissions de wilaya pour l’évaluation du sinistre ont comptabilisé 167.543 ha sinistrés sur 193.000 emblavés, soit un total de 87% des cultures céréalières comprenant le blé dur, le blé tendre, l’orge et l’avoine.

Les prévisions pour la campagne 2013 dépassent tout juste 300.000 quintaux contre plus de 2,2 millions de quintaux en 2012 (une production supérieure même au contrat de performance). Nous sommes donc passés d’un extrême à un autre.

Belgacem Mefti, un fellah de Aïn Bebouche ayant réalisé le record de 52 quintaux/ha en 2012, devra faire son deuil cette année. Le coup est fatal pour la wilaya, qui tire l’essentiel de son économie du secteur agricole et pastoral.

Sur les 29 communes d’Oum El Bouaghi, seules El Amiria, Sigus et Ouled Hamla, situées au nord, s’en sortent ; les autres sont toutes sinistrées à 100%.

Cette année, il n’y aura pas de production céréalière et, par effet d’entraînement, le bétail n’aura rien à manger. Les pâturages naturels réservés au pacage ne pourront pas suffire aux 700.000 têtes d’ovins que compte le cheptel de la wilaya. Un véritable casse-tête pour les éleveurs.

«Dans les communes du sud, les fellahs doivent commencer dès maintenant à acheter de l’aliment pour nourrir leur bêtes et pour payer, ils doivent en vendre une partie, peut-être la moitié du cheptel pour nourrir l’autre moitié», annonce Si Khelifa.

Que fera le gouvernement?

Saïd fait partie de ces malheureux éleveurs. Sur le dos d’un baudet, il observe son troupeau de moutons paître en veillant à ce qu’ils restent loin de la route.

«Nous allons devoir vendre pour pouvoir faire manger les têtes qui nous restent, mais ça ira», répond-il.

A moins d’un dédommagement pris en charge par l’Etat, les pertes seront catastrophiques et les fellahs n’auront pas de quoi reconstituer leurs fonds et lancer la campagne labours-semailles de la saison prochaine.

La décision prise par le wali a été officialisée par un arrêté de wilaya. Le document et le rapport y afférant devront permettre au gouvernement de prendre la décision de soutenir ou non les agriculteurs lésés. Ceci dit, la décision ne sera pas facile à prendre compte tenu de l’importance de la communauté concernée.

En effet, en plus d’Oum El Bouaghi, les wilayas limitrophes (Khenchela et Tébessa) sont également sinistrées, alors qu’une bonne partie de Batna, notamment la plaine de Chemora, est concernée, en plus de quelques régions de Sétif et Mila. Une saison blanche et sèche qui, paradoxalement, fait suite à une très bonne saison.

«Exactement le contraire de l’ouest du pays qui, lui, a vécu la sécheresse en 2012 et s’attend à une bonne récolte cette année», dit Brahim Gueridi, directeur des services agricoles à Oum El Bouaghi.

Il n’est pas rare que l’Etat vienne au secours des fellahs pour les sauver de la faillite. Les efforts déployés depuis une décennie pour soutenir et développer l’agriculture comprennent également le dédommagement des fellahs en cas de sinistre. C’est peut-être ce qui explique ne serait-ce qu’en partie la sérénité affichée par les gens concernés.

Fait remarquable, chez toutes les personnes que nous avons rencontrées, on fait contre mauvaise fortune bon cœur. Le sourire et la disponibilité de Si Khelifa cachent parfaitement le sinistre qui a frappé sa saison. Sur les 60 hectares qu’il possède à Aïn Bebouche et qu’il a semés au début de la saison, il ne récoltera pas le moindre grain de blé. Pourtant, il faut investir une moyenne de 40.000 DA par hectare pendant la préparation et les semailles. Une fortune qui non seulement n’apportera pas de bénéfice cette année, mais qui est totalement perdue. Si Khelifa n’en paraît pas affecté, tout comme les fellahs que nous avons croisés dans les champs déserts.

Un déficit sans incidence?

La wilaya d’Oum El Bouaghi tire ses ressources essentiellement du secteur agricole, explique le DSA.

«Dieu merci, les jeunes ont compris la nécessité de revenir au travail de la terre et pour les accompagner, l’Ansej et la CNAC jouent le jeu», se félicite-t-il.

L’intérêt croissant porté par les jeunes à l’activité agricole se conjugue aux mesures incitatives qui facilitent l’investissement dans les créneaux qui composent les filières agricoles.

«Depuis 2004, nous menons une bataille pour donner au secteur une force économique et nous commençons à en tirer les fruits», déclare, optimiste, le DSA.

Les exemples pleuvent: «En 2004, la wilaya produisait 10.000 litres de lait, aujourd’hui elle en produit 70 millions.»

Un saut prodigieux qui résume les progrès réalisés dans la wilaya grâce à l’application de la politique de développement agricole, explique encore M. Gueridi.

L’expérience des périmètres irrigués a fait de Ksar Sebihi un eldorado des cultures maraîchères. L’introduction de la pomme de terre et de la tomate donne des résultats probants. La garantie offerte aux agriculteurs de vendre leurs récoltes les encourage à développer ces cultures et à agrandir les terrains qui y sont affectés. L’aviculture connaît également un boom dans la région grâce à la multiplication des batteries acquises via le dispositif Ansej.

A en croire M. Gueridi, les prix du poulet comme ceux de la pomme de terre, qui connaissent actuellement une baisse, devraient se stabiliser à ce niveau grâce à la disponibilité sur le marché, elle-même assurée par l’abondance de production et le fonctionnement des instruments de régulation mis en place et gérés par les organisations interprofessionnelles, à l’image des centres de stockage et des établissements créés à cet effet.

De ce point de vue optimiste, même si les 600 moissonneuses-batteuses d’Oum El Bouaghi vont chômer cet été, même si les fellahs de la wilaya ont subi des pertes éreintantes, ce n’est pas si grave pour l’économie nationale puisque d’autres wilayas attendent de bonnes récoltes qui pourront combler le déficit annoncé à l’Est et apporter l’équilibre grâce au système de régulation.

Il ne sera pas question, cette année, de réduire la facture d’importation, mais le déficit ne sera pas d’ordre structurel, à en croire les professionnels de l’administration.

Nous ne demandons qu’à les croire!

Nouri Nesrouche



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