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Traversée contre l'oubli


Traversée contre l'oubli
Scène du filmChafik Allal, vivant à Bruxelles, est venu mercredi dernier à Alger présenter son film tanguant entre fiction et documentaire, sérénité, fragilité et poésie...Un professeur emmène sa classe en excursion par bateau le long du canal Bruxelles-Charleroi. Les élèves sont pour la plupart des immigrés d'origine africaine. La classe avait pour consigne d'avoir lu le roman Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad avant d'embarquer. Ces derniers n'ont rien lu, pis encore, ne s'intéressent pas du tout à cette oeuvre qui pourtant appartient à leur passé, leur histoire. C'est ce que tente ce professeur de les convaincre désespérément. Il va jusqu'à mimer certaines situations comme en mettant une corde autour du cou pour leur faire toucher du doigt cette réalité coloniale su laquelle dit-il s'est basée toute la civilisation occidentale. Entre brouhaha dans la classe et indifférence totale, ce professeur entreprend par des questions-réponses sans faire perdre son sang-froid parfois à les attirer vers ses questionnements, même si ça paraît surtout pour beaucoup comme une perte de temps car loin d'évoquer pour eux leurs problèmes quotidiens qu'ils vivent au présent. Un déni total de ce passé qui peut-être dérange, comme si on remuait un couteau dans une plaie pas assez cicatrisée ou refaire sortir un secret de famille pourtant bien gardé... Co-réalisé par Caludio Capanna et Chafik Allal, ce film se décline en deux temps, une partie qui se passe sur le bateau et une autre où l'on devine le hors champ du bateau qui remonte le canal à un rythme des plus lents accompagné d'une voix off féminine qui vient en juxtaposition des images servir de métaphore supplémentaire au sens général du film. Au départ, une commande pour sonder les avis de ces immigrés, sorte de documentaire brut et froid, qui se transforme plus tard en une fiction expérimentale compartimentée en sept temps ou rendez-vous. Le bateau qui file lentement sur le fleuve n'est pas anodin car au fur et à mesure que le film avance, le professeur qui est en réalité un comédien, remonte le fil de l'histoire de ces pays dont la Belgique où se déroule le film (Chafik Allal vit à Bruxelles depuis des années). Claudio Caban est fils de marin. La Belgique porte dans son passé les stigmates d'une guerre terrible avec Le Congo. On n'en sort pas indemne de ces violences humaines qui, qu'on le veuille ou pas, continueront à influer sur le cours de la vie de cette population d'une façon ou d'une autre. Si le film évoque la mémoire perdue, il invoque aussi le terrible échec des politiques à communiquer peut-être avec l'Autre. Il y a ici cette volonté comme dirait le réalisateur de «libère-toi pauvre con mais à ma manière!», ce qu'on a un peu reproché à ce film avoue le réalisateur Chafik Allal à propos des gens qui ont vu le film en Belgique.Pour sa part, il s'agit aussi de dénoncer cette distanciation que fait souvent l'homme blanc, ou l'homme moderne, l'Occidental, avec ce qui fâche aujourd'hui en s'appuyant pour justifier son ouverture d'esprit sur les abominables intolérances du passé sans trop se pencher sur les problèmes cruciaux de notre époque, mais avec cette volonté toujours de tirer vers le passé pour dire que ça va mieux...le titre du film qui évoque un poème de Arthur Rimbaud se veut lui aussi résolument poétique par la force de son rythme qui se veut contemplatif et entraîne à la méditation. Cela parle de voyage, de Dakar, Timbuktu mais nous entraîne immanquablement dans le présent sordide d'une ville industrialisante qui a fait des humains des machines à produire, à résister mais souvent dans le silence. «Je suis un colonisé. Mon corps n'est pas une utopie. Il n y a pas de recours» dit la voix off. Entre le rêve et l'imaginaire tangue ce film construit à partir d'improvisation avec des parties bien écrites celles-là.Après avoir été projeté mercredi à l'Institut français d'Alger, jeudi à Constantine, ce film sorti en 2012 continuera, on l'espère pour lui, sa traversée à la rencontre de son public. Un film utile qui fait délier les langues, difficilement mais permet en tout cas de soulever d'énormes digues pour faire avancer le bateau et briser les chaînes de l'oubli...




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