Algérie - Parutions de livres de littérature

Toutes mes fleurs sont fanées d'Ahmed Hamou-Zerrouki, (Roman) - Éditions Le Manuscrit, Paris, 2002


Présentation

En 1950, Mohamed, un jeune rural, est contraint de quitter l'Algérie pour travailler en France. Il vit la guerre dans un bidonville de la région parisienne avant de regagner l'Algérie quelques mois avant l'indépendance de son pays. Il assiste à la transition douloureuse qui accompagna celle-ci avec ses règlements de compte et à l'installation arrogante des nouveaux maîtres du pays. Il croit avoir trouvé l'amour d'une belle jeune femme, amour impossible qui le ramènera en France pour finir en tragédie.

Extrait

Maintenant que je suis entre vos mains, maintenant que vous avez le pouvoir de prolonger ou d'abréger ce qui me reste d'une vie d'errance écorchée jusqu'au sang, maintenant que les fleurs posées devant vous me narguent de leur jeunesse pourtant éphémère comme le furent ma vie, ma jeunesse et ma vieillesse. Maintenant que mon corps transi de froid n'est plus qu'une enveloppe inutile, maintenant que mes souvenirs ne sont que des fantômes échappés des ténèbres, je peux me confier à vous. Je ne sollicite ni compassion, ni pitié et encore moins d'indulgence.
Tout ceci débuta par une chaleur, une chaleur de feu et une terre grise, qui, même sans vent, envoie sa poussière au ciel, une poussière qui en retombant donne des cheveux gris de vieillard, une terre où les rares arbres ressemblent à des épouvantails abandonnés qui se sont perdus.
C'est là que je suis né dans une maison que rien ne distingue de la terre grise. Une maison faite de cette même terre et qui se confond avec elle. De loin on ne peut pas la voir, elle se cache dans la terre ; de près on la sent et parfois il faut presque se cogner aux murs pour savoir qu'elle est là.
A l'étranger qui vient nous voir, nous indiquons les trois arbres qui entourent la maison pour le guider : un figuier, un olivier et un grenadier, trois épouvantails verts et pleins de fruits malgré la sécheresse. J'aimais leur ombre. Quand j'ai cessé de les escalader, laissant ce jeu à mes frères, je m'asseyais contre le tronc de l'un ou de l'autre et je regardais le temps passer. Lentement, il s'éloignait puis revenait déposer une poussière sur mes cheveux, puis s'éloignait de nouveau.
Jour après jour le temps recommençait son jeu comme un enfant turbulent et moi, jour après jour je le regardais passer, me couvrant à chaque fois d'une poussière qui faisait de moi un vieux attendant sa fin. Je ne trouvais nulle part où m'occuper. Là où j'allais, c'était toujours la même réponse : pas de travail.
Je venais d'avoir vingt ans. Ce sont mes parents qui m'ont dit que j'avais cet âge. Je n'ai jamais été à l'école et j'ignorais le jour et l'année de ma naissance.
Un jour où, adossé à mon tronc, j'écoutais la poussière tomber sur moi, je vis mon père sortir de la masure qui nous servait de maison pour venir droit sur moi. Il s'assit de l'autre côté du figuier et me dit à voix basse : "Il faut que je te parle."
Si moi j'avais vingt ans, mon père en avait quarante. Avec vingt ans de plus de poussière, il ressemblait à un patriarche habillé de haillons avec dignité. Il portait ses habits rapiécés comme un roi vêtu de tissus multicolores. Il était grand, le visage sec, le corps maigre, les yeux aiguisés comme une fine lame et ses pieds nus, durcis par la pierraille et les ronces, ressemblaient à des socles de statue. Des pieds qui s'enfonçaient dans la terre sèche en y laissant des empreintes. Ces pieds, je n'étais pas loin de les avoir, moi aussi. En vingt ans d'existence, je ne connaissais pas encore le confort d'une paire de chaussures.

[ ... ]

Mon père, rassuré sur son autorité, me promena partout où il pouvait me montrer. J'étais sa caution auprès des autres et il fallait que tout le monde me voie en bonne santé et habillé de mon costume. Il ne fallait surtout pas le salir. Partout où je passais, on avait un siège pour moi, sinon une natte ou alors un bout de journal sur lequel m'asseoir. Au douar ou au village proche, on pouvait ainsi reconnaître les émigrés à leurs habits européens et à la façon qu'ils avaient d'éviter de les salir, soit en étalant du papier journal, soit en sortant un grand mouchoir, soit encore en restant debout pour ne pas user le précieux habit. Nous avions tous le costume de notre emploi : émigré.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)