Algérie

Tourisme : un outil de développement économique ? : Les choix stratégiques de l’Algérie à la lumière de l’expérience sud-méditerranéenne (2e partie et fin)



La question de la diversification et de la qualité des produits offerts : la place du balnéaire. Le positionnement particulier de l’offre de biens touristiques (produit de masse balnéaire, bas ou moyen de gamme) attire une clientèle à faible propension à dépenser, et à un taux de fuite significatif, compromettant considérablement l’amorce d’un processus cumulatif auto-entretenu dans le pays d’accueil. Il est également source d’une forte saisonnalité et d’effets indésirables sur l’environnement. On peut ajouter à cela que la forte concurrence internationale qui prévaut sur ce segment de marché induit une très faible valorisation finale du produit et donc une incapacité à maintenir un niveau satisfaisant de qualité des prestations. A terme, le risque est celui d’une dégradation de l’image globale de certaines destinations. Le produit balnéaire est pourtant la stratégie dominante de la majorité des pays de la rive sud (Tunisie, mais aussi actuellement l’Egypte et le Maroc après une stratégie plutôt culturelle). L’Algérie y accorde dans son plan de développement touristique une place prépondérante. Plusieurs zones d’extension touristiques (ZET) d’une superficie de plus de 74 000 ha, sur l’ensemble du territoire national, ont été identifiées pour permettre aux investisseurs, nationaux ou étrangers, de réaliser des structures touristiques. Les trois quarts de ces ZET sont situés sur le littoral algérois. Cette stratégie est tout à fait compréhensible au regard des faiblesses actuelles. En 2002, 3,42% seulement des hôtels et établissements touristiques appartiennent à la catégorie 4 et 5 étoiles (standard algérien). Cependant, l’Algérie ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la portée et les limites de ce produit générique qu’est le balnéaire et sur sa place à côté ou en substitution d’autres produits touristiques. Cette réflexion s’impose d’autant plus qu’on observe un certain essoufflement de ce produit et une perte de compétitivité des destinations méditerranéennes par rapport à la concurrence vive d’autres régions du monde. Des problèmes spécifiques sont liés à ce type de tourisme, et il serait bon de regarder au plus près l’expérience de nos voisins pour en éviter les écueils. De plus, la concentration industrielle dans le segment des voyagistes (originaires des pays émetteurs), comparée à l’atomicité observée en amont sur le segment des fournisseurs locaux, affaiblit le pouvoir de négociations de ces derniers. Cette situation génère un déséquilibre dans la répartition des bénéfices commerciaux entre les acteurs locaux et les intervenants étrangers (la présence des tour-opérateurs est très importante en Tunisie, en Turquie et un peu moins au Maroc et en Egypte et dans les autres pays ). Cela provoque de fait un élargissement de l’effet de fuite.

Pour un tourisme ciblant

La seule solution est de rechercher les typologies d’offres de produits soumis à une moins rude concurrence internationale. Une telle offre doit cependant conjuguer compétitivité internationale et capacité des pays concernés à fournir au moindre coût les inputs nécessaires à cette offre (en évitant de trop recourir à l’importation). En effet, un tourisme, ciblant par exemple les touristes à revenus élevés et dont les inputs de haute qualité sont accessibles à prix élevés et importés, peut entraîner dans certains cas une fuite importante en dépit des revenus plus importants qu’il peut générer. Un tel tourisme à fort taux de fuite peut avoir les inconvénients d’un tourisme à faibles revenus et limiter par conséquent les possibilités d’expansion et de développement des autres secteurs économiques du pays d’accueil. Les pouvoirs publics devraient s’impliquer dans l’organisation de la filière touristique. A l’avenir, le désengagement de l’Etat du secteur hôtelier doit laisser la place à d’autres modes d’implication et à la redéfinition du rôle de la puissance publique. Ses nouvelles attributions relèvent désormais de la régulation et de la définition d’une véritable politique industrielle d’accompagnement des acteurs du secteur pour l’atteinte de sentiers d’expansion compatibles avec les objectifs de développement globaux du pays. Un exemple est l’effort fait en direction de la transparence de l’information-produit : le ministère du Tourisme algérien a créé en avril 2005 une commission nationale de classement des établissements hôteliers. L’opération de classement et de reclassement de l’ensemble des hôtels et établissements s’effectuera selon les critères internationaux conformes aux recommandations de l’Organisation mondiale du tourisme en matière d’hébergement et d’accueil de la clientèle et tenant compte de la nature des infrastructures, des équipements et des prestations fournies par l’établissement. C’est une mesure salutaire qui contribuera certainement à la promotion d’un tourisme de qualité et à la juste rémunération des efforts en qualité consentis par certains hôteliers. Encore faut t-il que les efforts en matière de formation du personnel suivent cette augmentation du niveau des équipements si l’on ne veut pas rater les objectifs-qualité. Le tourisme ne doit plus être considéré comme la solution à la résorption du chômage par l’emploi d’une main-d’œuvre faiblement qualifiée. Au contraire, l’Etat doit s’assurer qu’à côté des investissements lourds en infrastructure touristique, coexistent des investissements massifs orientés vers le domaine de la formation. La qualité de service génère une forte valeur ajoutée du produit touristique. Il faut sortir le contenu de la formation touristique de ses archaïsmes en la mettant au service de la maîtrise des métiers associés à différents maillons de la chaîne de production et d’intermédiation (voyagistes, transporteurs, distributeurs…).

L’investissement étranger, une solution ?

Mais de façon plus générale, ces initiatives ne représentent qu’une partie de ce que les pouvoirs publics devraient entreprendre en direction de l’organisation du secteur. Les carences en cette matière constituent un facteur majeur de vulnérabilité de la majorité des pays du sud de la Méditerranée. Quand on examine les différents programmes de développement touristiques existants, ce domaine (organisation) est paradoxalement le moins doté en dispositif d’action. Toute la question consiste dans la recherche d’une organisation industrielle à la fois efficace et minimisant les fuites et une telle organisation peut émerger sous l’impulsion des pouvoirs publics. L’investissement étranger : une solution transitoire à la non-maîtrise de certains métiers de la filière (commercialisation/marketing, technologie, transports…). Développer le tourisme demande des investissements, de nouvelles compétences, une connaissance de la demande et une maîtrise d’un éventail de métiers déployés le long de la filière verticale de cette industrie. Ces ressources ne sont pas toutes forcément disponibles dans un pays en développement. Plusieurs groupes internationaux ont affiché leur intention d’investir dans ce secteur : le groupe Starwood pour construire un hôtel de la marque Westin à Alger, le groupe Accor, en partenariat avec le groupe privé algérien Mehri, pour la réalisation de 36 hôtels sur le territoire algérien, le groupe hôtelier américain Marriott pour la construction d’un hôtel près de l’actuel Sheraton d’Alger, le groupe à capitaux arabes, Eddar-Sidar, pour la réalisation de complexes touristiques, à Alger et Boumerdès, pour un montant global de 300 millions de dollars américains et une capacité d’accueil de 25 000 lits, le groupe émirati Al Hamed avec un projet touristique de 90 millions de dollars américains situé sur le littoral algérois. Le recours à des acteurs externes (tour-opérateurs, chaînes hôtelières, transporteurs aériens…) est nécessaire. En contrepartie, il va falloir gérer au mieux temporairement une répartition défavorable des revenus (issus de l’activité) entre les distributeurs européens (tour-opérateurs) et les fournisseurs locaux. Le déséquilibre des forces entre les intervenants étrangers (grands tour-opérateurs) et locaux est mis souvent à l’index dans la majorité des pays sud-méditerranéens. C’est pour cela qu’il faut organiser le rattrapage à long terme (même relatif) du désavantage comparatif dans les maillons intermédiaires et aval de la filière (transport, nouvelles technologies, communication/marketing, distribution…). Autrement dit, il faut dépasser sur le long terme l’unique et classique avantage en ressources naturelles, motif principal du choix de spécialisation touristique des pays de la rive Sud. Cet objectif passe certainement par la définition de politiques de soutien aux investisseurs nationaux pour les encourager à s’impliquer dans les différents métiers du tourisme tout en les incitant à rechercher une telle critique.

L’auteur est Maître de conférences à l’université Paris II et chercheur INRA

- N. B. :

- 1) Cet article s’inspire des résultats d’une étude récente que l’auteur a effectuée pour l’Agence française de développement (Paris) en collaboration avec Riadh Benjelili (Arab Planing Institute, Koweit-City). L’étude aussi bien théorique qu’empirique a visé un certain nombre de pays du sud de la Méditerranée (Algérie, Tunisie, Maroc, Liban, Egypte, Turquie, Syrie, Libye).
- 2) Correspondance : hammoudi@ivry.inra.fr.
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