Algérie - Bâtiment

Tlemcen - Des artisans marocains pour pallier le manque de main d’œuvre


Tlemcen - Des artisans marocains pour pallier le manque de main d’œuvre




Les ouvriers marocains qui activent à Tlemcen sont pour le moins discrets, et pour cause: ces ouvriers qualifiés travaillent dans la clandestinité.

Enfin presque, puisque, ironie du sort, des infrastructures étatiques telles que la cour du nouveau tribunal et l’aéroport de Tlemcen, par exemple, portent les empreintes de leurs mains expertes dans l’art du plâtre et de la mosaïque, particulièrement. Des artisans qui ont la cote, dans le sens où ils sont sollicités par de grandes entreprises publiques et privées de toutes les wilayas du pays.

C’est un secret de Polichinelle et une hypocrisie des autorités algériennes: épisodiquement, des rafles sont menées par les services de sécurité pour arrêter et déférer ces Marocains en «situation irrégulière» devant les différentes instances judiciaires, notamment celle de Maghnia, puis les refouler dans leur pays par le poste frontalier d’Akid Lotfi, fermé depuis 1994.

Abderrahmane, peintre professionnel originaire de Fès est dépité: «Nous sommes très demandés par nos frères algériens. Avant le creusement des tranchées et la pose du grillage sur le tracé frontalier par les autorités des deux pays, on n’avait aucune difficulté pour traverser, moyennant une contribution financière, sur les lieux. Aujourd’hui, on prend l’avion de Casablanca à Alger pour travailler chez des privés et dans des entreprises qui ont pignon sur rue. Tout le monde est au courant de notre présence ici, le problème, c’est qu’on continue de tolérer cette présence, mais souvent, on se fait arrêter et refouler, c’est hypocrite!»

Jamal, plâtrier de renom, est lui aussi embarrassé: «Pourquoi ne pas nous régulariser et nous permettre de travailler dans les règles? C’est incompréhensible, notre savoir-faire est très demandé ici.»

Zahra, frisant la soixantaine, est boulangère. Elle a été recrutée il y a deux ans, par Moussa, propriétaire d’une boulangerie spécialisée dans les petites galettes traditionnelles qu’on retrouve à Oujda, la ville voisine marocaine.

«On fait la chaîne pour acheter le pain de Zahra. Je ne sais pas ce qu’elle met dans son pétrin, mais ses galettes sont exceptionnelles, il n’y en a pas ailleurs», confesse avec admiration Moussa.

Un transfert de savoir-faire au nez et à la barbe des deux gouvernements qui ont tout à gagner à travailler mutuellement pour l’essor économique des deux pays frères.

Quelque peu gênée, Zahra se confie: «Je suis en Algérie pour gagner mon pain honnêtement, même si aux yeux de la loi algérienne je suis une clandestine. Ce qui est ubuesque, c’est que tout le monde ici sait que ce pain, qu’ils aiment tant, est fabriqué par une Marocaine, y compris les responsables. Mon souhait c’est d’obtenir une carte de séjour pour ramener mes enfants du Maroc et travailler en toute quiétude. Moi, je n’ai pas cherché à émigrer en Europe, mais juste à traverser une rivière pour aller faire profiter mes frères algériens de mon métier.»

La réalité est bien là: en Algérie, il est difficile de trouver un maçon, un plâtrier, un plombier, un soudeur et même de simples manœuvres. Ces secteurs ont été abandonnés par les jeunes parce que l’Etat leur a offert des dispositifs d’emploi, où tout le monde est devenu chef d’entreprise sans produire. Une façon de calmer ces jeunes. Une façon d’acheter leur silence.

Un inspecteur de travail dans la wilaya de Tlemcen a tenu à apporter son témoignage sous le sceau de l’anonymat: «Ces travailleurs marocains sont pour la plupart des ouvriers agricoles, des maçons, mais ce sont surtout les plâtriers qui sont très sollicités. Au début, ils venaient par petits groupes offrir leur savoir-faire pour les constructeurs privés et leur champ d’action se limitait aux villes de l’Ouest algérien, Tlemcen, Oran. Ils sont bien sûr en situation irrégulière et risquent à n’importe quel moment d’être expulsés vers leur pays d’origine et c’est là tout le problème de cette main-d’œuvre de qualité qui travaille au noir et qui, pourtant, rend bien des services tant au secteur privé qu’au secteur public. Le législateur algérien ferait mieux de légaliser ces travailleurs, notre économie n’en sera que meilleure et celle du Maroc aussi.»

Chahredine Berriah



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