Dans de nombreuses localités de la Kabylie profonde, l’on ne garde pas seulement le souvenir des métiers traditionnels tels que la vannerie, le tissage, la poterie…, mais l’on tente toujours de les sauvegarder de la disparition.
À Frikat, dans le sud de la wilaya, c’est le couscous roulé à la main qui arrive en tête de ces activités. Certes, de petites fabriques ont pris un essor ces dernières années, employant des dizaines de femmes au foyer et même des étudiantes en vacances ou n’ayant pas encore trouvé d’emploi, mais apprendre à rouler ce produit du terroir revient toujours aux mères qui ne cessent d’initier leurs filles à mettre la main dans la semoule.
“Chez nous, une fille qui ne sait pas rouler du couscous a peu de chances de se marier même si elle est diplômée”, plaisante une femme d’un certain âge recrutée pour superviser les jeunes apprenties dans un atelier de fabrication de couscous roulé à la main.
Malheureusement, constate notre interlocutrice, nos responsables, qui ont pourtant eu l’idée géniale d’encourager les rouleuses de couscous en organisant cinq éditions de la Fête du couscous, ont mis la clé sous le paillasson avec la restriction budgétaire de ces dernières années, à telle enseigne que cet événement culinaire relève, désormais, du passé.
“Mettre la fête du couscous au placard est un reniement, d’autant plus que l’essor pris par cette activité a été démontré dans toutes les occasions. Aujourd’hui, il est temps que le mouvement associatif se lève comme un seul homme pour exiger la tenue d’un tel événement annuellement dans l’espoir de faire de Frikat un exemple quant à la fabrication du couscous et de la valorisation de ce mets séculaire”, lance un membre de l’ex-comité de l’organisation de la troisième édition du couscous “Le plat géant”.
Dans la même localité, le travail de l’argile n’est pas en reste. Même si la poterie moderne a pris le dessus, les potières d’Ath Ali, sur les hauteurs du chef-lieu communal à plus de 1.200 mètres d’altitude, ne sont pas près d’abandonner cet autre métier traditionnel.
“Ce n’est pas une activité qui nous fera vivre, mais je crois que laisser disparaître un tel métier n’est autre qu’un reniement à sa culture. Ces dernières années, j’ai constaté que façonner l’argile de manière traditionnelle intéresse plus d’une femme. Cependant, je pense qu’il est temps d’ouvrir des sections d’apprentissage dans des salles de cours dans les villages pour les initier à ce métier”, constate une potière de ce village qui a des centaines d’objets stockés dans une cabane non loin de son domicile.
Cette potière a, d’ailleurs, participé à de nombreuses foires, même hors de wilaya.
“La vente est un peu difficile. Tout de même, j’arrive à gagner quelques billets, notamment en ces temps de vaches maigres”, nous confie-t-elle.
Valoriser l’habit traditionnel
À l’extrême sud de la wilaya, dans la daïra de Tizi Gheniff, et plus précisément à M’kira, les quelques tisseuses de burnous et de couvertures traditionnelles (ihouyak) se battent pour sauvegarder cet autre métier.
“Contrairement à nos sœurs d’Ath Hichem, lieu où est organisée la Fête du tapis, nous n’avons pas un espace pour exposer nos produits, encore moins une association pour protéger ce métier ancestral. Pourtant, parmi nous, celles qui excellent encore dans le tissage du burnous sont nombreuses. Si les produits, notamment la laine, manquent, nous essayons quand même de maintenir cette tradition. Ces dernières années, d’ailleurs, mettre un burnous (homme ou femme), notamment le jour du mariage, est de retour”, constate une tisseuse d’Ighil Oukerrouche.
Et d’enchaîner: “J’appelle les mariées à ne plus porter ces robes blanches. C’est une déculturation. Pourquoi ne portent-elles pas la tenue traditionnelle de nos aïeux?”
Dans les villages des Ouadhias, c’est la Fête de la robe d’Iwadiyen, communément appelée Tijihlit Iwadiyen, organisée depuis plus de trois ans, notamment en été, afin de juger à sa juste valeur cet habit traditionnel, qui retient l’attention des couturières. D’ailleurs, dans cette localité, même des cours sont initiés par les plus expérimentées pour former de jeunes couturières.
“L’aura de notre robe dépasse les frontières de notre région et même de notre pays. Elle est demandée même à l’étranger. J’espère qu’avec la tenue de la Fête de la robe d’Iwadiyen, cette tenue vestimentaire ancestrale occupera la place qui lui revient dans nos traditions et dans notre patrimoine. Porter cette robe traditionnelle est un honneur pour toutes les femmes”, juge une couturière de la région.
Cependant, elle regrette les difficultés de commercialisation de cet habit.
“Certains estiment que le prix est excessif. Ils doivent savoir que les prix des différents accessoires utilisés sont chers, d’une part, et ils ne doivent pas oublier que, d’autre part, la couture d’une seule robe nous prend beaucoup de temps”, note la même couturière.
À Aït Yahia Moussa, c’est beaucoup plus la vannerie qui intéresse cette fois-ci les hommes, et non les femmes.
“La canne d’Ath Houalhadj est vendue même en Espagne. Nous avons aussi ceux qui ne se lassent pas de fabriquer des corbeilles en osier. Certains ont même rentabilisé ce métier en construisant de belles villas avec l’argent des cannes, des manches de pelles et de pioches. Dans notre village, même si ces derniers temps, il y a un désintéressement pour le métier traditionnel, les plus téméraires poursuivent cette activité qui exige d’eux des matériaux à trouver dans les maquis de la région bien que ces derniers soient partis en fumée ces dernières années”, nous explique un habitant du village.
Cela étant, revaloriser tous ces métiers en les prenant en charge et en les portant sur la liste des spécialités dans les centres de formation professionnelle et autres instituts reste un combat à mener dans les villes et les villages de la Kabylie profonde, car laisser disparaître un tel legs est un reniement, comme l’ont exprimé nos interlocuteurs.
O. Ghilès
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Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : O. Ghilès
Source : liberte-algerie.com du mardi 7 août 2018