Algérie

Tiaret: Chronique d'une journée d'été



La terre a encore tremblé mercredi soir, la deuxième fois en moins d'une semaine, suscitant une peur diffuse chez la population locale, déjà traumatisée par la mystérieuse disparition de la petite Ikram, une fillette de 10 ans, comme «volatilisée» depuis deux semaines. Ajouté à cela les températures caniculaires, aggravées par les coupures d'eau et d'électricité dans plusieurs quartiers en pleine canicule, c'est un été pourri que les Tiarétiens sont en train de passer. Comme une malédiction qui s'abat sur la ville de Djelloul Ould Hamou, même l'ouverture de la piscine olympique, en projet depuis presque 35 ans avec des dizaines de milliards engloutis, a été reportée sine die après la découverte de graves fissures dans le grand bassin, quelques jours avant son inauguration. Pis encore, la piscine de proximité, inaugurée en grande pompe par le wali de la wilaya à Oued Lilli la semaine dernière, a été fermée quelques jours après son ouverture. L'on ignore toujours pour quelle(s) raison(s).Cet été, particulièrement chaud, donne des cauchemars éveillés aux Tiarétiens et pour cause : des quartiers, et ils sont nombreux, sont privés d'eau depuis plusieurs semaines. D'autres n'ont plus d'électricité sous 43° à l'ombre, un véritable calvaire vécu au quotidien. «Même la cascade d'eau aménagée à Aïn El Kerma a été asséchée par la main coupable de l'homme », s'enrage Ali, un commerçant au populeux quartier de Erass Soug. Renseignement pris, l'on saura que les pompes ont été changées deux ou trois fois par la commune, sans aucun résultat sur le terrain. Un pur gâchis. Pis encore, la légendaire source de Aïn El Djenane, ou plutôt son vestige, se meurt à petit feu face à l'ex-place Carnot en décrépitude totale.
Dès le début du mois août, le mercure a commencé à flirter avec des températures impossibles, avec un taux d'humidité anormalement élevé pour une ville des Hauts Plateaux, plongée dans une profonde torpeur. Tôt ce jeudi matin 08 août, toute la ville de Tiaret donne l'impression de vivre sous couvre-feu, et pour cause : le soleil n'était pas encore dardant, et la chaleur déjà suffocante. En effet, en ce deuxième week-end du mois d'août, il est à peine huit heures du matin et la ville n'est pas encore réveillée. Plongée dans une lourde torpeur, la ville assoupie paraît comme abandonnée par ses habitants. Beaucoup de personnes âgées et des enfants, surtout en bas âge, sont, de plus en plus, nombreux à venir consulter des suites de l'insolation, troubles respiratoires ou intoxications alimentaires dans les urgences médico-chirurgicales de l'hôpital «Youssef Damardji» de Tiaret, a-t-on constaté sur place jeudi. En cette journée aoûtienne, terriblement chaude, aux quatre coins de la ville, pas âme qui vive, à part une poignée de quidams se dirigeant à la manière des «automates» vers le centre-ville.
A la «place rouge», indémodable bourse à ragots de la cité des Rustumides, aujourd'hui livrée à une décrépitude totale, l'ambiance est comme lugubre après la fermeture du marché couvert. Fidèle à sa réputation, la «place rouge» donne l'impression de chuchoter dans l'oreille de la ville pour lui raconter ses « misères » dont personne ne veut plus entendre parler…
L'Aïd est à quelques jours et Khaled, un jeune homme… de 39 ans, veut offrir une belle bête encornée à ses enfants, « mais je suis fauché comme un ver, au chômage depuis presque 10 ans », soupire-t-il, un brin d'ironie dans la voix. Le visage suintant d'ennui et d'amertume, il nous dit, la voix ferme et le geste sûr, que le pays est désormais habitué « aux bad news », « les mauvaises nouvelles font partie de notre quotidien », lâche-t-il, cigarette au bec et le regard vide. Autres gens, autres m?urs, cet été à Tiaret, tout le monde a la nette impression de devenir «fauché» et pour cause ! Dans une région où il fait bon ou mal vivre, en fonction de la saison agricole, cette année, la terre comme le ciel ont été pourtant très généraux, avec une production céréalière record attendue cette année, boostée par une bonne saison des pluies. Mais cette réalité n'est pas palpable sur le terrain cahoteux de la réalité, à commencer par ces commerçants qui se plaignent de la rareté du chaland, certains «gardent le tiroir-caisse fermé pendant plusieurs jours», se plaint ce vendeur de savates « made in », installé le long du boulevard « Bouabdelli Bouabdellah ». Cet été, les bestioles en tous genres ont envahi la ville très tôt. Tous les quartiers de la ville sont infestés de moustiques qui donnent des nuits cauchemardesques aux habitants. « Cette année, l'APC et les services de l'OPGI ont dormi sur leurs beaux lauriers ; la lutte anti-larvaire au printemps n'a pas eu lieu, ils n'ont pas traité à temps », s'insurge Larbi, un habitant de la populeuse cité de « Haï El Badr ». « La ville reste très sale, avec la canicule et le manque d'hygiène, beaucoup de gens sont tombés malades, surtout les enfants et les personnes fragiles », nous dit Larbi, avant de sauter dans un taxi clandestin. Au quartier «Volani», de l'autre côté de la ville, les moustiques mais aussi les chiens errants ont pris possession des lieux. Les campagnes sporadiques d'abattage des chiens errants n'ont pas donné les résultats escomptés, au grand dam des Tiarétis. Autre « plaie ouverte » qui balafre le visage de la ville, la prolifération des mendiants, les vrais mais aussi et surtout les faux, et les malades mentaux «occupant» la ville, un spectacle affligeant au quotidien. De nombreux Tiarétiens sont convaincus que ces malades mentaux et autres « professionnels de la manche » sont débarqués à Tiaret par des cars en provenance d'autres wilayas du pays. En ce jeudi caniculaire, un malade mental, presque nu, se couche en travers de la chaussée près de l'agence postale « Benamara Djilali ». Près de la « Medersa », un autre déficient mental joue avec un couteau dans la main, offrant un spectacle gratuit aux nombreux badauds stationnés tout autour du collège « Ziane Chérif », sur un macadam brûlant.
Il est presque dix heures passées et toute la ville n'est pas encore arrachée à son profond sommeil...
Drogue et psychotropes: la descente aux enfers
La terre a encore tremblé mercredi soir, la deuxième fois en moins d'une semaine, suscitant une peur diffuse chez la population locale, déjà traumatisée par la mystérieuse disparition de la petite Ikram, une fillette de 10 ans, comme «volatilisée» depuis deux semaines. Ajouté à cela les températures caniculaires, aggravées par les coupures d'eau et d'électricité dans plusieurs quartiers en pleine canicule, c'est un été pourri que les Tiarétiens sont en train de passer.
Pris au piège du mal-vivre et du chômage, des «grappes» de jeunes plongent tête la première dans l'enfer de la drogue et de l'alcool. Dans les populeux quartiers du sud de la ville, des jeunes, les yeux bouffis, tirent comme des forcenés sur des joints, gros comme des cigares. D'autres se shootent aux psychotropes pour fuir, un furtif moment, une réalité trop dure à supporter. Cette année, les services de sécurité enregistrent un nombre record d'affaires liées aux trafics de drogue et de psychotropes.
Les autres jeunes passent les longues et fastidieuses journées d'été à s'occuper comme ils peuvent, à « tuer le temps » par n'importe quel moyen comme la pratique de ce sport national qu'est la drague ou le «rince-?il», comme l'appellent d'aucuns. Au spectacle de ces voitures rutilantes usant leurs pneus neufs sur du macadam brûlant, répond ce «contraste» de groupes de jeunes arpentant les rues de la ville et bavant d'envie à la moindre silhouette féminine. Alors, pour permettre à tout le monde ou presque d'aller faire trempette au bord de la grande bleue, cette année aussi, des navettes sont assurées tous les week-ends pour acheminer, par bus, des pelotons entiers de familles et autres jeunes dés?uvrés en quête d'un brin de fraîcheur.
Chaque week-end, à bord de bus, certains déglingués, des groupes de célibataires prennent la destination de la grande bleue vers les plages du littoral mostaganémois et oranais. Le prix du voyage est de 600 dinars «seulement» et la somme paraît déjà pour beaucoup encore hors de portée de leurs maigrelets porte-monnaie. Pour les plus débrouillards, trouver un petit job pour se faire un peu d'argent de poche, reste la principale préoccupation dans une ville où le chômage sévit à l'état endémique.
Comme poussés par une irrésistible envie de changer d'air, des jeunes, à peine sortis de l'adolescence, «tirent des plans sur la comète» pour tenter de trouver le moyen d' «enjamber» la grande bleue, tenter une « harga » vers de lointains et hypothétiques horizons. Ici, le souvenir est encore vivace de ces enfants qui ont perdu la vie dans les aventureuses tentatives de traversée de la Méditerranée. Cette année, plus d'un Tiaréti file, en effet, du mauvais coton à cause du dinar qui se met à manquer cruellement. Comme le «douro se fait rare», selon les termes de Khaled, un «désargenté chronique», nombreux sont ceux qui meublent leurs longues et chaudes journées estivales par des hobbies... de fortune. Pas trop vite le matin, doucement le soir, les Tiarétis semblent se passer le mot pour rester terrés chez eux jusqu'à dix heures passées. Après une brève virée sous un soleil dardant, ils retournent à leurs domiciles flanqués d'une pastèque ou d'un melon pour les plus «chanceux». Vers 17h, lorsque la chaleur se fait moins oppressante, ils ressortent soit pour regarder des cortèges entiers de voitures rutilantes « manger du macadam », soit pour flâner dans les rues et mordre la poussière, dans une ville où la propreté et la salubrité publique ne sont encore que de vains mots. Jusqu'à une heure tardive de la nuit, des grappes humaines hument l'air frais, occupées à d'interminables palabres, au sujet de tout, de tous et de rien, en même temps.
Un vide culturel sidéral
Interdit de chapitre depuis des lustres, plus personne à Tiaret ne sait ce qu'est une activité culturelle ou artistique.
Victime du changement de l'ordre des priorités il y a belle lurette déjà, Dame Culture n'a plus la côte, même chez ceux qui sont censés présider à son triste destin! C'est que la vie estivale à Tiaret n'offre plus rien d'intéressant à se mettre sous la dent. Aucune association culturelle ni troupe musicale, jadis fierté de la ville de Ali Mâachi, n'a survécu à la mode terriblement réaliste du «manger avant de songer». Alors, pour tremper l'ennui ambiant, tout le monde se débrouille comme il peut.
A part quelques brèves virées nocturnes pour prendre un peu d'air pour les plus téméraires, la majorité des Tiarétis se terrent chez eux dès 20 h tapantes pour se shooter à volonté aux... images venues d'ailleurs ou naviguer sur la Toile jusqu'à des heures impossibles… « Rouh alah yaâtik week-end fi Tiaret», m'avait dit, il y a quelques années, Khelifa L. disparu une année plus tard, emporté par une maladie foudroyante. «S'il vous plaît, monsieur le journaliste, dites et redites-leur (à qui'!) que l'mout wela août fi Tiaret..!», m'avait décoche au visage Khelifa. Allah yerhamek !



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