Témoignage et hommage au défunt M’hamed Meguenni L’homme qui incarnait l’ordre et la discipline

Publié le 05.12.2023 dans le Quotidien l’Expression



Par Dr Omar Zemirli*



Monsieur Meguenni a été rappelé à Dieu à l'âge de 88 ans. Il a été rejoindre son épouse et tous ceux de sa famille, ses maîtres, ses collègues et aussi ses élèves dont plusieurs lycéens qui étaient montés au maquis à l'appel du 20 mai 1956. Le nom de Meguenni est connu à Tizi-Ouzou et dans les wilayas environnantes auprès de tous ceux qui ont travaillé, enseigné et étudié dans le fameux et emblématique établissement scolaire depuis sa création. Monsieur Meguenni est né en 1935, six ans après la création de l'école primaire supérieure (EPS) qui ouvrit ses portes pour la première fois en 1929 et qu'il a rejointe en 1945. Cette école fût fréquentée par l'écrivain Mouloud Feraoun, Ali Hammoutene, instituteurs et inspecteurs des centres sociaux, ses aînés avant qu'ils ne soient admis à l'École normale d'instituteurs de Bouzaréah. M. Meguenni incarne l'histoire de plus de 50 années de vie d'abord d'élève et de carrière d'enseignant et de responsable pédagogique et administratif. Il était élève à l'école primaire de Djemaâ Saharidj où il a fait toute sa scolarité. Il fut admis en 6ème en 1945 au collège moderne de Tizi-ouzou, unique établissement de toute la région. Il a suivi assidûment l'enseignement moyen et secondaire jusqu'à l'obtention de ses deux parties du baccalauréat en 1955.

Le couple Meguenni incarnait la rigueur

Orphelin de père, alors qu'il avait l'âge d'un an, il fut élevé par sa famille paternelle et sa mère qui, comme la plupart des mères s'est sacrifiée pour l'éducation et l'instruction de ses deux enfants. A vingt ans, il prit la décision de travailler pour subvenir aux besoins de sa mère et de sa soeur et décida d'être enseignant. Il exercera sa vocation de 1945 à 1995.

L'année 1956 fut marquée par la grève lancée par le FLN. À partir de cette date, il rejoint son village de Djemaâ Saharidj où il demeura durant plus de deux années sans étudier, ni travailler. Pendant cette période, il militait dans le réseau de l'organisation civile du FLN dite OCFLN, il était connu sous le pseudonyme de Mhand. L'année scolaire 1958/ 1959, il rejoint le lycée technique de Dellys où il enseigna pendant trois années 1959/ 1960 et 1960/ 1961. Il réintégra le lycée moderne de Tizi Ouzou en début d'année 1961. Après l'indépendance, l'établissement fut baptisé lycée Amirouche du nom du colonel de la wilaya III historique, devenu à son tour en 1969, le lycée Fatma N'soumeur, figure du mouvement de résistance algérien de 1854 à 1867. À l'ouverture du nouveau lycée Amirouche dit le Lycée polyvalent, il fut censeur pendant quatre ans. Il réintégra le Lycée Fatma N'soumeur en tant que proviseur jusqu'à sa retraite en 1995.

Son épouse, Allah yarhamha, était elle aussi enseignante puis directrice. Elle est la fille de Allalou (de son vrai nom Sellali), un des fondateurs du théâtre algérien des années 1930. Le couple Meguenni incarnait la rigueur dans l'enseignement et l'éducation. Ils veillaient scrupuleusement à la discipline de leurs élèves au sein de leurs établissements. Personne ne pouvait rester insensible à la forte personnalité de M. Meguenni, à son charisme, à sa stature, à son autorité, avec beaucoup de discrétion, et consciencieux dans tout ce qu'il entreprenait, caractères forgés par son éducation parentale et par la rigueur de l'enseignement reçu dans les écoles laïques. Il se devait d'incarner et d'inculquer l'ordre et la discipline eu égard à la fonction délicate de pédagogue et d'éducateur des milliers d'élèves des différents âges allant de 10 ans à 19 ans venus de différents horizons éloignés de leur famille et devant s'adapter à une nouvelle vie commune de l'internat avec les aléas de la promiscuité et les tensions pouvant déborder et entretenir des ambiances délétères. La fonction d'un responsable pédagogique nécessite des qualités humaines dont le savoir, le savoir être, le savoir-faire et le savoir communiquer. Cette mission fut menée en main de maître par M.Meguenni. M.Meguenni est le personnage central et une figure emblématique de l'histoire de la vie de l'établissement. Chaque élève peut se rappeler et relater une histoire, évoquer une anecdote vécue avec M.Meguenni.



Affable et plein de gentillesse

La mienne remonte à la fin de l'année scolaire 1968-1969. J'avais 17 ans. Ma première partie du baccalauréat série mathématiques en poche, j'ai été orienté en classe de terminale série philosophie au regard de mes bonnes notes en arabe. Or, c'était les sciences expérimentales qui m'intéressaient. J'ai donc fait une réclamation, à travers l'intervention de mon frère aîné Brahim. Ce que M. Meguenni accepta en considérant que la doléance était recevable car objective à juste titre. En échange, je devais de prouver et promettre à M.Meguenni de ne pas le décevoir. J'ai concentré toute mon énergie et consacré mon temps à mes études. Je me devais d'obtenir de bonnes notes en particulier dans les matières principales, à savoir en physique chimie, en mathématiques et en sciences naturelles. Le défi fut relevé et c'est ainsi que j'obtins le Premier Prix de classe. À ma grande joie, M.Meguenni proclama solennellement mon nom lors de la cérémonie des distributions des prix de fin d'année et me félicita. J'aimais particulièrement raconter cette anecdote à chaque occasion à son fils Rédouane, mon cadet de quelques années qui a suivi la même carrière professionnelle que la mienne en ORL. Je ne pouvais pas ne pas apprécier sa compagnie agréable, aimable, affable et pleine de gentillesse et de générosité, ses valeurs morales fruits de l'éducation parentale. Il en fut de même pour les cinq autres enfants dont une fille spécialiste en pneumo-phtisiologie. M.Meguenni a donné une éducation rigoureuse et une excellente instruction à ses propres enfants comme à des milliers de lycéens qu'ils considéraient comme ses enfants pendant sa longue carrière. M.Meguenni fut pendant plusieurs décennies, le gardien du temple du savoir de toute une région et a contribué à l'introduction de l'instruction universelle à plusieurs générations de jeunes qui ont eu de brillantes carrières dans plusieurs domaines. Que son nom soit gravé pour l'éternité sur le fronton d'un établissement scolaire. M.Meguenni fut enterré auprès de son épouse au cimetière de M'douha accompagné par une foule nombreuse composée de jeunes, de moins jeunes Tizi-Ouziens, de plusieurs proches et amis venus de villes, de villages environnants et d'autres wilayas. Que Dieu le Tout-Puissant l'accueille en Son vaste paradis.

*Professeur en médecine, spécialiste ORL, Ancien élève du lycée Amirouche Tizi-ouzou