Algérie - Tahar Ould Amar


Tahar Ould Amar, BURURU (roman)
“Bururu”, cet oiseau de la nuit, porteur du malheur et de désolation, est le nom qu’a choisi Tahar Ould Amar pour titrer son premier roman qui vient de sortir chez l’édition Azur. L’auteur, qui vient par le moyen de ce produit littéraire, consolider le processus d’affirmation d’une nouvelle littérature amazighe, est un journaliste de son état. Ecrit dans un amazigh quotidien, accessible pour toutes et tous, ce roman se veut un témoignage d’une étape très sensible de notre histoire récente, la décennie terroriste. Publié chez l’Edition Azur, Bururu est un roman de 123 pages, format 12/18. L’illustration de la couverture est de Toufik Hadibi qui, il faut le dire, a réussi une oeuvre originale qui exprime fortement le contenu de Bururu. La préface du roman porte la signature de deux enseignants du DLCA de l’université de Béjaïa, MM. Allaoua Rabhi et Zahir Meksem.
Qui est l’auteur ?
Tahar Ould Amar est né en 1961 à Sidi Aïssa, dans la wilaya de M’sila. Après des études primaires à Aïn Bessem, moyennes à At Yenni, il se retrouve au lycée Abderrahmane-Mira de Bouira où il prendra part comme tous les jeunes de son âge à ce que l’on appellera plus tard les évènements du Printemps berbère. En 1986, il décroche le bac français au lycée Descartes (actuel Bouamama) à Alger. En 1988, après une traversée du désert qui n’aura pas trop duré, il enseigna le français dans la wilaya de Médéa. Avec l’introduction de tamazight dans le système éducatif, suite au boycott de l’année scolaire 1994/1995, il fait sa conversion vers l’enseignement de tamazight. En 1999, avec un groupe d’amis de Béjaïa et de Tizi Ouzou, il participe à la création d’un journal régional : “L’hebdo n Tmurt”, pour se retrouver actuellement à la Dépêche de Kabylie comme responsable du bureau de Bouira.
L’histoire
Dans “Bururu”, Tahar Ould Amar nous raconte l’histoire mouvementée du jeune Muh, un enfant d’une cité populaire de la capitale. Désarçonné par la beauté d’une jeune fille qui vient de passer devant lui, le jeune Moh réalisa qu’elle est la cible d’un groupe de jeunes voleurs issus de son quartier. L’ayant secourue, Moh fait la connaissance de Dounya, fille d’un haut gradé de l’armée. Ayant menti sur sa personne, s’étant présenté comme le fils d’un grand commerçant, Moh s’est retrouvé victime de son propre mensonge. En voulant dire la vérité à Dounya, qu’il fréquentait depuis quelques temps, celle-ci a eu une réaction violente et brutale : “Il faut te rendre compte que nous ne sommes pas de la même classe, il ne faut plus penser à moi”. A partir de cet instant, la vie de Moh bascula. De rêveur innocent, il devient un tourmenté qui ne vit que pour amasser de l’argent et égaler en fortune le père de sa bien-aimée. C’est alors qu’il intègre un réseau de trafiquants de voitures. Arrêté par la police, il fut jeté en prison pour quelques mois. A sa sortie, il décide d’immigrer. Du Maroc, il rentre en Espagne puis en Italie. Dans son pays, il ne trouve pas son voisin Rida, surnommé Grifa, qui s’est fait ramasser par la police. Il est pris en charge par des amis de celui-ci, deux jeunes marocains qui l’attirent dans l’univers de l’alcool et de la drogue. Sans travail, sans sa “dose”, Moh tente de voler une vieille femme. Arrêté, il retrouve Rida en prison. Depuis cette rencontre, sa vie prend une autre tournure. Il est pris dans une cascade qu’il échoue à contrôler. Membre d’un réseau islamiste, Rida insère son voisin dans son groupe. Avec finesse, Tahar Ould Amar nous introduit dans la vie intérieure des groupes islamistes. D’Italie à la France, Moh atterrit à Alger. Au lieu de rejoindre la maison familiale, il est pris en main par ses amis barbus. “Tu es recherché par la police, tu es fiché comme moudjahid !”, lui dit-on. D’Alger à Zberber, le destin le conduit vers les grottes de “Abou Ikhejdan”, l’émir de la région. Ayant assisté au massacre de tout un village, Moh dans un moment de panique du groupe, saisit l’occasion et tire en tuant l’émir sanguinaire. Depuis ce moment, il fait le maximum pour déserter du rang du groupe terroriste. Pour ce faire, il gagne la confiance de Mourad, un terroriste désillusionné et se rapproche habilement du nouvel émir qui le place comme son bras droit. Ce dernier lui accorde sa demande de mariage avec Dalila, la fille enlevée dans un village voisin et épousée malgré elle par l’émir assassiné. La fille qui séduit Moh depuis le premier jour, reprend le goût à la vie dans les bras de l’amour caressant de son nouveau mari. En compagnie de Dalila, Mourad et Nadia, Moh quitte le maquis de Zberber. Dans la gare de Boumerdès, en partance pour Alger, le groupe de “miraculés” prend place. Pour terminer son texte, Tahar Ould Amar prend le soin de clôturer son roman sans clore le problème de la violence terroriste. “... je regarde de la fenêtre, je vois deux barbus aborder la colline”. Telle est la dernière phrase du roman.
Quelques remarques
A la lecture de ce roman, nous retenons que si l’amour contrarié de Dounia, fille d’un haut dignitaire du régime a conduit Moh vers la dérive, vers le vol, la drogue et le terrorisme, paradoxalement, c’est un autre amour, celui de Dalila, fille d’un petit chef de kasma, qui le remet sur le chemin de la vie et du sourire. “Je partirais avec toi en enfer...”, phrase dite par Dalila, contraste, rassure et efface le “nous ne sommes pas de la même classe” de la fille de Hydra. Tahar Ould Amar, avec un style d’écriture dynamique et souvent plein de dérision, utilise cet amour qui éleva l’homme au rang des sains, pour décomplexer Mourad, un orphelin enrôlé par les terrorismes intégristes. En effet, celui-ci retrouve la joie de vivre à côté de la jeune Nadia qui, par peur du regard des autres et de leur cruauté, hésite à retourner dans la maison de ses parents. Nadia, comme Dalila d’ailleurs, sont deux jeunes femmes enlevées par les terroristes islamistes et obligées de se marier, l’une à un neveu de l’émir national et l’autre, à l’émir du groupe de Zberber. C’est l’exemple de centaines de femmes abaissées au rang d’esclaves sexuelles par des terroristes qui les considéraient comme de simples butins de guerre, sans aucun respect pour leur humanité. Sauvées par les deux hommes, les filles retrouvent le sourire à côté de ceux-là qui ont compris, mieux que personne d’autre, le martyre qu’elles ont subi. L’auteur touche là à un problème très essentiel de la crise violente imposée à notre peuple. Quel est le nombre de ces femmes enlevées et violées dans les maquis ? Quel sera leur avenir ? Quelles sont les mesures concrètes qui leur garantissent la réinsertion dans le tissu social ? Des questions que la lecture de Bururu provoque en nous, sans que nous soyons dans la position d’apporter les réponses. D’un autre côté, cette histoire qui commence et qui finit à Alger, dans un mouvement de départ et de retour qui a tant changé Moh et ses amis, détruit à sa façon les clichés qui sont construits au sujet de la nouvelle littérature amazighe : “Une littérature purement de combat et à thème exclusivement identitaire”. Le roman de Tahar Ould Amar, qui a traité du terrorisme est venu démentir cette idée tant répandue chez des “spécialistes/observateurs” qui hésitent encore à approcher suffisamment l’écrit en langue tamazight, se contentant d’un regard lointain et à la limite dédaigneux. “La prétention” de tamazight à véhiculer une littérature d’un niveau appréciable et de qualité leur semble une méprise, parce qu’elle bouscule quelques-unes de leurs hypothèses qui construisent leurs carrières et leurs êtres scientifiques. A défaut de côtoyer sérieusement la nouvelle littérature amazigh, beaucoup de phototypes réducteurs continuent à façonner le discours traitant de cette écriture qui, il faut le rappeler, est nouvelle. En vérité, non seulement le texte en langue amazigh est un texte à thèmes actuels et multiples, mais je dirais qu’il est en train d’explorer des thématiques que le texte écrit en langues arabe et française hésite encore à aborder... ! Bururu, un roman facile à lire, à lire au plus tôt.



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