Algérie - A la une

Quand tombe la nuit, certains se couvrent de duvet et se mettent à rêver sur grand écran à haute résolution. D'autres se découvrent une triste vocation de comptables de boîtes en faillite. Ils récitent à haute voix la liste des créanciers et passent sous silence, comme pour se le cacher à soi-même, le cortège de dettes à contracter. Toutes des dettes plus que douteuses. Au lever du jour, il est donc normal que les premiers continuent à dormir alors que les seconds ont déjà sué de nombreuses fois. Quelle est injuste la répartition des sommeils chez nous dès le moment qu'elle répond au principe selon lequel ce ne sont pas les premiers à s'endormir qui seront les premiers à se réveiller.
A longueur de journée, et Dieu sait combien elles sont longues et pénibles les journées chez nous, certains continuent à aiguiller des explorateurs de fortune égarés, sans bouger de leurs bureaux et sans se départir de leurs portables. D'autres, haletant, ne cessent de courir après un croûton qui s'éloigne en chantant : «Jri ya guellil, jri». Le soir, lorsqu'ils sont fatigués de courir, lorsqu'ils n'en peuvent plus de lutter contre la vie pour lui enlever une croûte de t'mermid, et lorsqu'ils ne peuvent plus retenir leur envie de hurler à la face de cette indifférence aristocrate et trop bourgeoise qu'on appelle humanité, alors ceux qui dormaient sursautent et crient au scandale. A l'ingratitude. A la trahison.
Les chiens n'hésitent pas à accourir et les fenêtres, jusque-là éclairées, plongent soudain dans l'obscurité. Il paraît que les bougies de nos jours s'éteignent au premier cri de la rue et que ceux qui se targuent de les tenir ont peur de se brûler. C'est que ces messieurs tenaient les bougies non pas pour éclairer, mais pour être vus.


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