Algérie

Sarko-show à Washington



Mardi 6 novembre 2007. Washington, District de Columbia. Le hall, au rez-de-chaussée de l'ambassade de France, est comble. Elles et ils l'attendent. Vieux, jeunes, couples avec enfants, appareils photographiques à la main ou en bandoulière, c'est une bonne partie de la communauté française de la capitale fédérale qui est présente et qui espère voir de près Nicolas Sarkozy pour lequel elle a voté en masse au printemps dernier. Petite information au passage pour faire contrepoint : Washington est l'une des villes américaines où George W. Bush a fait son plus mauvais score lors de la présidentielle de 2004... Des sirènes annoncent « son » arrivée. Vite, allons dans la cour et rejoignons le groupe de confrères massés derrière un cordon. Tiens, justement, le président français, costume bleu nuit, teint cuivré, se dirige vers eux, sourire aux lèvres, démarche rythmée par le balancement en avant, et de bas en haut, de ses épaules. Bousculade, micros qui se tendent pour capter l'éventuelle petite phrase qui, peut-être, tournera en boucle dans les journaux télévisés du soir à quelques milliers de kilomètres de là. Que dit-il ? Je n'entends rien, poussé vers l'arrière du paquet, le regard happé par un immense chêne qui domine la bâtisse officielle, elle-même imposante. Le discours va commencer. Nicolas Sarkozy est debout sur une estrade avec, derrière lui, aussi sages qu'un choeur de gospel, Rama Yade, Bernard Kouchner, Christine Lagarde et, un peu en retrait, Bernard Accoyer, le président de l'Assemblée française. « Je sais que, parmi vous, nombreux étaient présents ici quand ça n'allait pas très bien [entre la France et les Etats-Unis] et que c'était dur pour eux » commence par dire le président français. « Et ça continue encore ! », crie une dame dans la foule. A ce moment-là, je me dis que les oreilles de Jacques Chirac et Dominique de Villepin doivent siffler bien fort... Un petit mot à propos de la crise irakienne : durant toute sa visite à Washington, le président français a cultivé l'ambiguïté, ne disant jamais de manière claire et tranchée qu'il était contre l'invasion de l'Irak par les troupes américaines, préférant se réfugier derrière l'affirmation selon laquelle il aurait fallu, pour la France, essayer d'éviter d'humilier les Etats-Unis en ne laissant pas planer la menace d'un veto au Conseil de sécurité. Facile à dire aujourd'hui quand on se souvient de l'hystérie qui régnait outre-Atlantique durant les semaines qui ont précédé la guerre... Ambiguïté donc voire plus lorsque George W. Bush, durant un simulacre de conférence de presse à Mount Vernon (la résidence où a vécu George Washington après s'être retiré de la vie politique), a dit de Jacques Chirac, sans jamais le nommer, qu'il a fait, toujours à propos de l'Irak, le contraire de ce à quoi il s'était engagé. Des propos auxquels Nicolas Sarkozy n'a pas réagi, la réconciliation franco-américaine étant peut-être à ce prix. Le discours continue, le même que celui entendu plus tôt devant des patrons, le même que celui qui sera prononcé plus tard à la Maison-Blanche. Autojustification, autocélébration, « moi-je-isme » à l'envi, répétitions, langage qui frise parfois la familiarité mais non seulement la salle adore mais elle en redemande et applaudit à tout rompre quand le ton se fait martial à l'égard de grèves qui se profilent : « Ce n'est pas novembre qui sera difficile, c'est tout le quinquennat qui le sera » lance Nicolas Sarkozy avant de rendre hommage à son équipe, celle du « bon sens », qui abat « un travail remarquable » et qui, surtout, représente la « France nouvelle, jeune, qui rayonne », celle de la « diversité ». Comprendre : « la France, grâce à moi, c'est désormais un peu comme les Etats-Unis, avec des représentants des minorités visibles au gouvernement ». La voix s'emballe, les poings se serrent, c'est la fin du discours, le moment où retentit la Marseillaise. Nous ne sommes plus dans une ambassade mais dans une salle des fêtes pour un meeting électoral de l'UMP ou bien alors, c'est Johnny qui enflamme le bicker's club de Juvisy. Vas-y chauffe Nicolas, chauffe ! Le président et ses ministres sont partis. Pour tous les restants, c'est l'heure du cocktail et des macarons. Concentration et coups d'épaules, mon record à battre en la matière étant de quinze (tous parfums) en cinq minutes. Mais avant cela, il faut tout de même travailler un peu et aller traquer réactions et commentaires. Une pêche édifiante... « Avec lui, la France va enfin se remettre au travail », me dit un rougeaud quinquagénaire, coupe de champagne à la main. « Y'en a marre des fonctionnaires privilégiés qui font grève en permanence », surenchérit son épouse en regardant par-dessus mon épaule. Deux, trois, quatre témoignages du même genre me font penser à abandonner mais un jeune architecte me sauve la mise. Il m'explique pourquoi ce voyage d'un président, pour qui il « n'a pas voté », est si important. « En disant qu'il aime l'Amérique, il va certainement améliorer la situation des Français qui travaillent dans ce pays. Pour le reste, les réformes, les grèves, c'est toujours le même bla-bla et, ici, on en est franchement très loin ». Loin, peut-être, mais pas indifférents aux yeux de Paris... Comme s'il était toujours en campagne, le président vient de renouveler une promesse faite avant d'être élu : à partir de septembre prochain, la terminale sera gratuite dans les lycées français à l'étranger - pour les élèves de nationalité française, bien entendu. J'ai beau m'interroger, je ne vois pas où est, dans cette mesure, l'équité dont parle tant Nicolas Sarkozy. « Est-il normal que quelqu'un qui ne paie pas ses impôts en France puisse bénéficier de la gratuité dans une école française à l'étranger. C'est une mesure qui est tout sauf libérale, non ? », est la question que je me fais un plaisir de poser au rougeaud qui a perdu sa femme dans la cohue autour du buffet. Aucune réponse, à peine un regard effaré, comme s'il venait de réaliser qu'un dangereux gauchiste s'était infiltré dans la place. Je le laisse aller. Carnet de notes refermé, stylo capuchonné, c'est enfin mon heure de vérité face aux macarons.



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