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Sans la guerre d'Algérie, Rachid Mekhloufi serait resté un simple footballeur d'élite



Sans la guerre d'Algérie, Rachid Mekhloufi serait resté un  simple  footballeur d'élite
C'est l'histoire de 12 footballeurs de première division qui quittent clandestinement la France en 1958 pour rejoindre les rangs du FLN. Les éditions Dupuis sortent aujourd'hui une BD racontant l'incroyable histoire de la première équipe algérienne de football.En introduction, vous écrivez qu'Un Maillot pour l'Algérie est une fiction inspirée de faits réels et que vous avez dû laisser dans l'ombre certains faits et certains acteurs. Pour quelles raisons 'Parce que la bande dessinée, même historique, est avant tout un art de l'ellipse. Ce n'est pas un roman qui peut faire des dizaines de milliers de mots, encore moins une somme historique qui se voudrait exhaustive. Un album comme Un maillot pour l'Algérie, ce sont à peu près 800-900 images fixes (ce qui est déjà beaucoup pour une bande dessinée).Et il faut raconter 4 ans de la vie de plus 30 joueurs ayant participé à cette aventure, sans compter leurs familles, les encadrants, les autorités politiques algériennes ou françaises, toutes les personnes extérieures qui y ont été mêlées de près ou de loin, les autres événements qui se déroulent pendant ce temps-là en parallèle, etc., etc'pour autant, la bande dessinée est un media formidable pour le faire, chaque dessin pouvant véhiculer énormément de sens et d'émotion, sans compter qu'il est parfait pour toucher le grand public. Mais il faut donc avant tout faire des choix : extirper les personnalités qui nous semblent les plus symboliques, les événements qui condensent en eux-mêmes le sens de toute cette histoire'et laisser malheureusement dans l'ombre 90% de ce qui s'est passé ou des personnes y ayant participé. Il faut le dire, c'est parfois une vraie «torture» morale car on le fait en connaissance de cause alors que nous aimerions tout raconter. Mais ce serait un piège : raconter tout, c'est souvent raconter mal et prendre le risque de noyer son lecteur sous les informations et sans dégager les vraies lignes de force du récit.Au final, les seules questions qui vaillent, les ambitions que l'on doit avoir au-dessus de tout, c'est : à défaut d'être exact, sommes-nous justes par rapport au sens et aux valeurs véhiculés par cette histoire vraie ' Sommes-nous artistiquement à la hauteur de cette aventure humaine ' Telle que nous la racontons, cette histoire est-elle intéressante à lire ' Si nous n'avons pas ça en tête du début à la fin, on ne mérite pas de la raconter et la vraie trahison serait là : ne pas y mettre le coeur et la sincérité que nos personnages réels ont mis dans leur engagement.Est-ce pour cela que l'album comprend une partie documentaire ? avec notamment des photos d'époque, coupures de presse et interview de Rachid Mekhloufi ? qui contribue à ancrer cette histoire dans le réel 'Tout à fait. C'est une façon de dire «Ok, nous avons pris certaines libertés avec le déroulement exact des faits, mais il s'agit bel et bien d'une histoire réelle, dont les acteurs l'étaient tout autant». C'est aussi un moyen de compléter ce que le récit a laissé dans l'ombre. Et enfin de susciter chez le lecteur la curiosité d'aller voir plus loin, en s'intéressant aux livres, interviews, articles, documentaires, etc. qui nous ont été utiles pour composer notre récit.On fait ce genre d'albums pour ouvrir des portes dans l'esprit de nos lecteurs et certainement pas pour les enfermer dans une sorte de «légende historique» toute faite.Techniquement, comment dans une histoire aussi dense que celle de l'équipe du FLN et de l'Algérie à ce moment-là choisit-on de scénariser tel ou tel moment 'Nous en revenons à ce qui est dit plus haut : choisir les personnages et événements qui résonnent le mieux avec le sens et les valeurs portés par cette aventure. Dans la succession des matches, lesquels sortent vraiment du lot et nous racontent autre chose qu'une simple partie de football.Le tout premier, joué devant des milliers de combattants algériens et avant lequel retentit pour la première fois l'hymne algérien est par exemple une évidence. Celui en Pologne où l'équipe se voit confrontée au racisme et au mépris des organisateurs également puisqu'il montre que même chez les pays «frères», la cause algérienne était loin d'être gagnée.Enfin, quand l'Algérie passe 6 à 1 à la prestigieuse Yougoslavie, une des meilleures équipes européennes d'alors, démontre que ces matchs avaient aussi une valeur sportive autant que politique : la grande équipe algérienne de 1982 est née de ces matches-là, en reprenant pour les améliorer les principes tactiques et techniques de cette équipe du FLN. Le lien entre les deux, c'est évidemment encore Rachid Mekhloufi.Vous expliquez que ce livre est né de la rencontre entre passionnés de foot, d'histoire et de BD. Est-ce que vous pouvez nous raconter une anecdote sur la genèse de la BD 'Il y en aurait des dizaines? Mais pour mieux expliquer à des lecteurs algériens ce qui peut pousser deux auteurs bretons à raconter un tel récit, dont ils semblent a priori forts éloignés, en voici une : nous sommes issus de ce qu'on appelle en France des «quartiers», ces barres d'immeubles où se mélangent souvent des tas de nationalités venues d'un peu partout. Chez nous, c'étaient les Portugais, les Marocains et? Les Algériens, bien sûr.Or, le tout premier match de Coupe du monde à laquelle nous avons assisté quand nous avions 10 ans c'était ce fameux Allemagne-Algérie de 1982. Et nous l'avons regardé avec tous nos copains d'origine algérienne. Autant vous dire que ce jour-là, nous étions tous Algériens !'quelques jours plus tard, l'Algérie était scandaleusement éliminée dans les circonstances que l'on sait et c'est encore cette même équipe d'Allemagne qui allait éliminer également la France en demi-finale.La Coupe du monde 1982, pour des gamins français de 10 ans passionnés de football, c'est la découverte terrible de l'injustice? Alors, quand trente ans plus tard, on a l'occasion de rendre justice à une autre équipe algérienne, on saute dedans à pieds joints sans se poser de questions. Mais pas sans émotion !Dans l'interview qu'il vous a donnée, Rachid Mekhloufi se désole du fait qu'aujourd'hui un footballeur soit incapable de parler d'autre chose que de football. Et qu'une aventure comme la leur est impossible maintenant. Est-ce aussi votre sentiment ' En surface, cela peut paraître comme une évidence. Les conditions sont tellement différentes aujourd'hui : un gamin est repéré dès l'âge de 10-12 ans et les centres de formation, comme leur nom l'indique, formatent forcément ces jeunes joueurs plus qu'ils ne les ouvrent au monde.Les joueurs sont aussi tellement plus sollicités qu'avant qu'ils sont forcément obligés de se protéger en y regardant vraiment avant de s'engager pour quelque chose. Ils représentent aujourd'hui souvent bien plus qu'eux-mêmes, leur club, leurs sponsors, etc.Bref, il y a des tas de raisons objectives à ça. Mais il ne faut pas oublier que ce n'est pas l'homme qui fait l'Histoire, mais l'inverse : sans la défaite de 1940, de Gaulle serait sans doute resté un obscur général mal vu de ses supérieurs et à la carrière plus proche du placard que de l'Elysée'sans la guerre d'Algérie, Rachid Mekhloufi serait resté un «simple» footballeur d'élite. C'est la guerre et cette aventure de l'équipe du FLN qui en a fait l'homme qu'il est devenu.Pour que naissent les grands hommes, il faut de grands événements ou de grandes causes à défendre. Or, aujourd'hui, nous vivons dans un monde qui promeut bien plus le bonheur personnel plutôt que collectif? En ce sens, les footballeurs ne sont que le reflet du contexte dans lequel ils évoluent.Ça n'empêche pas qu'en France, par exemple, un Lilian Thuram n'a jamais cessé de s'engager et de militer contre le racisme et les discriminations, ou qu'en Afrique Didier Drogba se soit adressé directement à son Président lorsque son pays, la Côte d'Ivoire, plongeait dans la guerre civile. Et nous croyons qu'il y aura toujours des sportifs, hommes ou femmes, dont la conscience politique et les valeurs morales seront à l'égal de leurs talents.


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