Algérie

Salah Bey de Constantine




Un destin hors du commun « Ceci est la Maison de Dieu Enveloppée de mystères Ses colonnes répandent une lumière qui rivalise avec les Astres Pour elle, Bouna s?élève dans le bonheur (bihi, Bouna lissaâd minha moutali?ou) Elle est due à la générosité de Salah Bey Prince de la Terre qui monte les degrés de la supériorité » Alger, 12 mai 1774 Salah Bey Un poète anonyme nous a transmis les circonstances tragiques de la mort de Salah Bey. Mais que sait-on de cet homme dont l?hommage chanté par El Fergani et le regretté El Anka berce les Algériens depuis des générations ? Quelques lignes fixées par un secrétaire du bey de Médéa, un certain Bersali, retracent, dans un tableau saisissant, ce personnage qui fut héros d?Alger pour avoir culbuté les Espagnols dans les rivages d?El Harrach en juillet 1775. Il a fondé la ville moderne de Batna, tracé la carte urbaine de Constantine et offert à la communauté juive de Constantine le quartier de Bab El Kantara. On lui doit la plantation de la forêt de Djebel El Ouahch. Administrateur très dynamique et visionnaire, il réorganise l?enseignement, rétablit la sécurité sur les routes et réorganise la production agricole. Pour faciliter le pèlerinage, il fait construire à La Mecque et Médine des immeubles à l?attention des Algériens. Il fit venir les meilleurs architectes d?Occident pour l?édification du pont d?El Kantara. A Annaba, il est à l?origine de l?aménagement de Zrizer. Il assèche les marais qui infestaient cette zone. Grâce à lui, Zrizer devient un quartier très hospitalier. Il fit bâtir Djamaâ El Bey à Annaba et Djamaâ El Kettani à Constantine. Il est mort, étranglé, dans La Casbah de Constantine la nuit du 1er septembre 1792. Sur une plaque de marbre dans sa mosquée de Annaba, une épitaphe lui est consacrée en ces termes : Trois jours après son arrivée au Palais du Dey à Alger, Salah Bey est conduit enfin devant le pacha pour aborder le sujet de son déplacement de Constantine. Suivant le protocole en usage dans tout l?empire, l?invité devait attendre trois jours avant l?audience. Trois jours durant lesquels il participe au divan et passe des moments avec le pacha dans la plus grande courtoisie sans aborder le sujet de fond. Salah Bey avait ses informateurs. Il se doutait bien que sa tête était en jeu dans ce monde d?intrigues aux m?urs politiques sans pitié. L?histoire de cette rencontre prend ses origines dans le boycott commercial décrété contre la France. La mesure touchait en particulier l?approvisionnement en blé. La désorganisation de la production et le commerce du blé en France annonçaient la famine depuis 1747. Les disettes provoquant les révoltes populaires fragilisaient les assises du royaume et annonçaient les prémices de la révolution de 1789. En cette fin de règne de Louis XV, la politique du blé prenait une allure de parade presque exclusive devant la montée des périls due à la grogne du peuple. C?est alors que le marché français attira les exportateurs du blé des quatre coins du monde, en particulier ceux du Levant, de l?Italie, de Philadelphie, de Hollande, de Dantzig et d?Algérie. Les Français qui étaient en grande difficulté économique semblaient vouloir gagner du temps repoussant le paiement des échéances cumulées sur plusieurs années. Le pacha en était agacé. Or, malgré les consignes de fermer les exportations vers la France, Salah Bey avait reçu des injonctions écrites en provenance du Palais d?Alger et cela lui avait semblé bizarre. Dans ces messages portant le sceau authentique, il lui était intimé l?ordre d?autoriser le mouillage de bâtiments français à Jijel pour charger le blé à destination de Toulon. « Pourquoi as-tu fait cela ? », lui demande le pacha. « J?ai obéi à vos ordres », répondit Salah. Joignant le geste à la parole, il sort de son sac un écrit portant le sceau officiel. La seule personne à qui le pacha accordait sa plus grande confiance était son gendre, un jeune homme à l?appétence remarquée. Et ce gendre l?avait trahi en contournant l?embargo à son avantage. Il a frauduleusement utilisé le sceau officiel . Sa tendre mère pleurait de chagrin. Elle disait : « Salah est parti C?est la volonté divine Ô Hamouda mon fils Prends soin de la famille. » Le 15 mai, le gendre indélicat est conduit dans les sous-sols de Dar Esslah (affecté depuis 1962 à la mouhafadha du FLN) à La Casbah d?Alger. Là, il est emmuré vivant. C?est le supplice destiné à ce genre de forfaiture. Il n?a pas eu le temps de voir une dernière fois Ftima, sa belle et jeune épouse et sa complice. Comme dans un drame cornélien, l?inconsolable veuve va repousser toutes les demandes en mariage et gardera une haine farouche envers Salah Bey. Juin 1775 : L?Invincible Armada devant Alger Les Espagnols sont là avec leur Invincible Armada. 450 bâtiments de guerre pointent leurs canons face à Alger Ribat el Feth. La terreur s?empare du peuple. Jamais ils n?avaient vu autant de navires de guerre face à leur ville. Le siège s?annonçait long et meurtrier. On n?avait pas vu un tel déploiement ennemi depuis la débâcle de Charles Quint. Les riches familles étaient déjà dans leurs palais du Sahel. Comme de coutume, à l?approche de la saison estivale, elles partent en vacances dans leurs fermes privées éparpillées dans les grands espaces d?El Achour, Draria, Douéra où le climat est plus doux en été. Mais cette année, les départs obéissent à un impératif de sécurité. Informé depuis longtemps par les marins des préparatifs de l?attaque contre Alger, Mohamed Pacha a fait appel à tous les contingents duConstantinois, de l?Oranie et du Titteri. Les trois armées vont camper sur les points stratégiques de la Baie d?Alger. Si Mostpha, bey du Titteri, prend Cap Matifou, Salah Bey à la tête d?une armée de chameliers établit son camp à El Harrach, à l?ouest de la Baie, c?est le Khalifat d?Osman Bey d?Oran qui prend position et à Bab El Oued, Mustapha Khodja était là avec son corps d?armée. La coordination et le système de défense étaient à la mesure de la menace. Le long de la plage, des batteries sont dirigées sur les voiliers. Cette nuit, la mer était calme et les Espagnols pouvaient voir scintiller les milliers de bivouacs le long de la côte comme un immense collier de perles. El Harrach, 1er juillet 1775 Intrigues et destitutions Mohamed Pacha quitte ses fonctions le mardi 9 août 1791, seize ans après cette victoire d?Alger sur L?Invincible Armada. Il est resté au pouvoir 26 ans. Ce changement politique sera vécu comme un funeste événement par l?ensemble des beys régionaux destitués violemment et mis à mort. Mohamed Pacha est remplacé par Hussein Khaznadji Pacha. Le même jour, le nouveau dey nomme Brahim Chergui caïd de Sebaou à la place de Salah Bey. Salah devait être assassiné. L?intrigue est montée par cette fameuse Ftima, la fille de l?ancien pacha dont le mari fut emmuré dans les sous-sols de Dar Esslah. Elle accepte la demande en mariage d?Hussein Pacha. Et pour la dot, elle exige la tête de Salah Bey. Embarrassé par cette requête peu féminine, Hussein essaie de reporter le projet. Il craint des troubles dans le Constantinois en raison de la grande popularité de l?homme. « Non, dit Ftima avec conviction. Je veux sa tête. » Salah Bey ayant appris les noces de Ftima et Hussein Pacha savait désormais à quoi il devait s?attendre. « Mes jours sont comptés », pense-t-il. Le nouveau bey arrive au Hamma à la tête de 70 janissaires. La façon dont il s?est présenté laissait présager que l?exécution n?était pas au programme. Pas tout de suite eu égard au prestige de l?homme. Salah Bey sort de Constantine et se réfugie auprès des miliciens Zabanti. Ils l?ont gardé (ou retenu) toute la journée. Effrayés par le sort qui pourrait les attendre par ce penchant en faveur de l?ancien bey, ils conduisent leur invité à Brahim Chergui. Salah n?est plus qu?un fugitif et les événements vont se précipiter. « Je suis allé sans méfiance On m?a remis le perfide turban Il sera mon linceul Allez chez lui, ô messagers. » Mais c?est la surprise. Brahim Bey accueille dignement son hôte. Il l?embrasse et l?invite à regagner son palais sur-le-champ s?il le voulait. Comme pour conjurer l?instant fatidique, Salah décline l?offre et demande à rester. C?est la quiétude la plus complète. Les choses semblent se dérouler dans le plus grand calme. Salah donne l?impression de se soumettre au nouveau bey. Mais voici qu?au soir du quatrième jour, Brahim Bey est assassiné par trois fidèles de Salah : Slimane Zemirli, Caïd El Casbah, le Khaznadar et Ali El Gherbi, caïd des Meskoura. Les trois conjurés ont tué le bey dans son lit. Le cadavre est mutilé. Dans la mêlée, un serviteur chrétien et le courrier du cabinet (siar) ont été tués. Ils dormaient dans la même pièce. Les trois hommes réveillent Salah en lui disant : « Tu peux maintenant aller siéger sur ton trône, nous avons tué ton remplaçant Brahim. » Salah, furieux, réagit mal à cette nouvelle. Il leur dit : « Vous êtes la cause de ma perte. » Il ne croyait pas si bien dire. En effet, les événements vont prendre une tournure dramatique pour Salah, ses partisans et le peuple de Constantine. Salah, redevenu bey, espère se détacher du pouvoir central. Il accède au trône, fait battre tambour dans toutes ses contrées et fait déployer les sandjaks (drapeaux) sur les murs de la ville en proie à une euphorie totale. La nouvelle de cette partition arrive à Alger le jeudi 23 août 1792 (5 moharrem 1207). Le messager fut ce janissaire, unique survivant du détachement de la garde personnel de Brahim Chergui. Aussitôt, c?est la fièvre. Hussein Pacha, furieux, nomme Boulahnak (le joufflu) bey de Constantine avec l?ordre de rétablir l?autorité de l?Administration centrale. Le nouveau bey prend la route le jour même après la prière de l?Asser, à 15 h à la tête d?une armée formidablement déployée. L?ordre est de s?emparer de Salah et de ses partisans. « Quand la ville fut encerclée et les portes refermées Salah est sorti, la tête nue On a violé sa demeure On s?est emparé de son trésor Or, argent et pierres précieuses. » En route pour la prise de Constantine, Boulahnak recrute les Ouled Mokrane de la Medjana, d?intrépides guerriers qui se révolteront plus tard contre les Français en 1870 et dont les descendants vivent, aujourd?hui, en Nouvelle-Calédonie. A la tête de sa cavalerie, Salah Bey va au devant d?Ibrahim. Mais il se rend compte très vite que le combat sera inégal. Une semaine après, Boulahnak étale ses forces sur l?étendue de la plaine de Constantine. Évitant le siège de la ville, ce qui aurait coûté cher en temps et en vies humaines, le nouveau bey décide l?envoie d?une proclamation à l?Agha du camp de Constantine et aux habitants leur disant : « Il faut tous vous entendre, vous concerter, vous emparer de Salah Bey et l?enchaîner en attendant notre arrivée parmi vous. On s?en remettra à Dieu pour ce qu?il y a à faire après. » Un janissaire du nom de Hadji portera la lettre à l?Agha du camp. Les soldats et officiers se rallient aussitôt aux termes de la proclamation qui sera portée aux habitants de Constantine. C?est alors que les portes s?ouvrent. C?est le tumulte général dans la ville. Soldats et civils se rendent au palais de Salah. Abderrahmane Ben Cheikh Lefgoun personnage influent de Constantine met un terme au bras de fer en proposant à Salah de l?accompagner. Salah se dit confiant auprès de cet homme. Erreur. Il est arrêté et conduit dans La Casbah. « Quand le garde l?arrêta On lui mit les fers "Fais tes ablutions, Et fais ta prière Salah" On a dit : Salah est parti ! » Enchaîné au cou, aux mains et aux pieds, Salah Bey est jeté dans un cachot de la forteresse jusqu?à l?arrivée du nouveau bey, le Pacha Boulahnak suivi de l?agha et l?oukil el hardj. Dans la nuit du 1er septembre 1792, Salah Bey est étranglé à l?aide d?un foulard. Tous ses chaouchs, l?agha Ibrahim, Ahmed Hodja, le caïd de La Casbah et le caïd d?Annaba sont exécutés le même jour. « Montrez-moi sa tombe Que je soulage ma peine Des vents et des vents souffleront Mais qui remplacera Salah Pleurez-le, gens de Constantine ! Salah est sacrifié. » L?ordre est rétabli à coups de yatagan. Beaucoup de gens sont précipités dans le Rummel. Le bacha Siar de Salah a eu un traitement particulier. Il fut laissé vivant dans une agonie interminable, les membres brisés. Le 5 septembre, l?émissaire du bey Boulehnak essoufflé par une course sans trêve, annonce au dey d?Alger la mort de Salah.Sa vengeance assouvie, l?intrigante Ftima accueille la nouvelle en silence. Dans cette affaire politique, il y a eu un bilan financier évalué à des sommes considérables. En effet, le trésor de Salah Bey, qui est en fait le trésor public, est chargé sur 250 mulets qui partiront sous une forte escorte à Alger. 15 mulets portaient chacun une charge de 25 000 dinars/or équivalent à 150 kg de métal précieux par charge. Au moment de son exécution, Salah Bey portait une amulette en or incrustée de gros diamants évaluée à 275 000 dinars-or. C?est l?équivalent de plus d?une tonne d?or à la valeur de l?époque. Quatre ans après ces sanglants événements, le nouveau bey de Constantine subira le triste sort de l?exil pour des raisons de détournement de biens publics. Il est arrêté, enchaîné et conduit dans la forteresse de Médéa. Libéré mais dépouillé de tous ses biens, il finira sa vie misérablement dans l?exil à Tlemcen. 213 ans après la tragédie, Salah Bey suscite encore de l?émotion dans le c?ur des Constantinois et de tous les Algériens. Car ici l?histoire, la légende et l?épopée s?intègrent, se mêlent pour alimenter le sentiment d?admiration générale pour cet homme hors du commun ignoré de l?historiographie officielle.

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