Algérie

Saâdaoui Mohamed (Chef d’orchestre) : « J’ai opté pour une association musicale et académique »



Saâdaoui est le chef d’orchestre et vice-président de l’association El Anasser de Miliana. Invité dans le cadre du Festival international de la musique andalouse qui se déroule actuellement à Riad El Feth, ce médecin de formation nous parle de son expérience avec cette jeune association.


 Pouvez-vous nous présenter votre association musicale ?
 L’association El Anasser a été fondée en 2000 après réflexion et analyse des expériences précédentes avec mes deux premières associations. Ayant été à la tête de ces deux associations comme formateur et directeur d’ensemble, je me suis rendu compte au bout de quatre années de travail que je ne pouvais élever le niveau de mes élèves au-delà d’un seuil escompté, en raison de plusieurs facteurs, dont entre autres la composante adulte de la majorité de mes élèves, la formation antérieure empirique pour la quasi-totalité des éléments, l’impossibilité d’asseoir une méthode académique et enfin indiscipline et refus de travail rationnel pour un certain travail rationnel pour un certains élèves. Cependant, je tiens à signaler qu’au cours de ces quatre années, douze noubas – programmes des différents modes – et onze touchias ont été enseignées et acquises. A partir de ce constat, et afin d’éviter à l’avenir toute cette problématique empirique et pour mener à bien un projet pédagogique, j’ai opté pour la fondation d’une association qui a pour objectif la formation musicale académique pour enfants. Pour ce faire, je me suis entouré de certaines personnalités connues pour leur amour de la musique, leur intégrité et leur dynamisme.
 Quelle est la moyenne d’âge des élèves ?
 L’âge des élèves à l’admission était compris entre 7 et 14 ans avec une moyenne d’âge de 10 ans. Un programme pédagogique à court et moyen termes a été élaboré. Chaque élève disposait du manuel pédagogique conçu à cet effet. Le manuel de première année, appelé « Classe d’initiation » a été conçu en trois parties : la première partie initie l’élève aux rudiments du solfège avec des applications sous forme de petites pièces pour enfants. La deuxième partie du manuel représente le cahier d’exercice où l’élève apprend à écrire lui-même la musique sur la portée. Quant à la troisième partie, elle comporte un ensemble d’inquilab classés selon l’ordre habituel, destinés à développer, chez l’élève, le goût de la musique andalouse. Au cours de la première année, environ t30 inquilab des différents modes ont été acquis par l’ensemble des élèves. Il est à préciser que le programme de première année n’a pas comporté l’apprentissage d’instruments, activité réservée à la deuxième année. Au cours de la troisième année, nous avons rassemblé l’ensemble des élèves en une seule classe et nous avons continué à travailler les pièces instrumentales. Un livre de 272 pages contenant la transcription de toutes les touchias algéroises, 4 beshrafs du malouf constantinois, 4 beshrafs de malouf tunisien, des beshrafs et samai arabes et turcs ont été conçus à cet effet. Nous avons également travaillé sur la nouba mezmoum.
 Votre association porte un intérêt aux autres musiques du monde...
 Convaincu de l’axiome : « la musique n’a pas de frontière et point de couleur », notre intérêt aux autres musiques n’a cessé d’augmenter au fur et à mesure du temps. Au cours de la quatrième année, nous avons commencé l’étude des muwashahates arabes parallèlement à l’apprentissage des pièces instrumentales du répertoire classique magrébin, oriental arabe et turc. Fort de cette expérience enrichissante d’ouverture sur les autres musiques, l’aboutissement d’un programme mariant la musique algérienne, notamment constantinoise, tunisienne, arabe et turque ne pouvait être inévitable. Une première tentative de montage de pièces musicales a été réalisée au cours de la cinquième année. Une suite dans le mode zidane pour la musique algérienne hidjaz et hidjaz kar sur le « ré » pour la musique arabe et turque et asba’in pour la musique tunisienne a été réalisée. Au fait, il s’agit du même mode appelé différemment, selon les régions, et avec des spécificités propres.
 Pouvez-vous aborder le sujet de la problématique ayant eu des répercussions néfastes sur la musique...
 Les modes utilisés dans notre musique ont perdu une partie de leur coloration et donc de leur spécificité. Certains modes ont été carrément confondus avec d’autres. Je cite l’exemple du hsine avec le raml mayas, le moual avec le maya, le dil et le rasd eddil. Je ne peux sérieusement penser que ces modes étaient ce que nous connaissons aujourd’hui, avant l’événement des instruments tempérés. Je ne peux sérieusement admettre que le maya, le dil et le rasd eddil dérivent tout simplement du moual. La gamme tempérée a été imaginée pour développer l’harmonie, faciliter la transposition, très difficile à réaliser avec la gamme de Pythagore ou la gamme naturelle de Zarlino. Ce développement tempéré de cette gamme qui a connu une multitude de propositions de la part de plusieurs musiciens et mathématiciens de l’époque a conduit 30 ans après Jean Sebastien Bach à écrire, en 1722 puis en 1744, les deux livres du Clavier bien tempéré. Il est à noter que le tempérament consiste à répartir les intervalles de la gamme sur les instruments à sons fixes de manière à ce que leur hauteur soit un compromis entre l’inaccessible exactitude acoustique des harmoniques naturels et le système harmonique en usage.
 Concrètement, de votre ensemble est constitué uniquement d’instruments à sons lisses...
 En effet, notre ensemble est composé uniquement d’instruments à sons lisses et réglables au quart, au huitième, voire au seizième de ton près. Par ailleurs, la mode de la suite que nous allons présenter lors du Festival international de la musique andalouse renferme des intervalles non tempérés. Cela donne une certaine coloration au mode. Il s’agit en fait d’un début de révolution et de rééducation auditive. Cette révolution, je la vis en moi-même, ce qui n’est pas tout à fait pas le cas de mes élèves, vu leur jeune âge et leur faculté d’assimilation et d’adaptation. En fait, cette démarche, difficile mais oh combien nécessaire, produit, à coup sûr, des effets bénéfiques sur l’élève en premier lieu, à savoir aiguiser la discrimination auditive par l’introduction d’autres systèmes musicaux utilisant les micro-intervalles, développer la concentration des jeunes, développer la sensibilité par l’exploration musicale, développer et renforcer le sens critique, épanouir l’imaginaire et initier aux nouvelles technologies du son et la musique assistée par ordinateur. Explorer d’autres horizons ne veut nullement dire travestir notre musique. La diversité crée la richesse et non l’inverse.


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