Algerie - Pédagogie et Psycho-pédagogie

Repenser le calendrier scolaire et l’organisation éducative en Algérie


Repenser le calendrier scolaire et l’organisation éducative en Algérie

1. Un calendrier marqué par la contrainte climatique

En Algérie, la question des vacances scolaires revient chaque année avec insistance. Beaucoup jugent que les congés d’été, qui s’étendent de la mi-juin jusqu’à fin septembre, sont excessivement longs. Les comparaisons se font souvent avec la France ou d’autres pays européens, où les vacances ne dépassent pas deux mois. Mais ces comparaisons sont trompeuses si elles ne tiennent pas compte du contexte algérien.

Car l’Algérie n’est pas la France : c’est un pays vaste, chaud et traversé par des inégalités territoriales. Dans de nombreuses régions, la chaleur de juin à septembre est écrasante. Les salles de classe, rarement climatisées, deviennent de véritables étuves, impropres à l’étude. Même si l’on équipait les écoles de climatiseurs, cela poserait un problème écologique et économique : alimenter des milliers d’établissements en énergie, au moment même où le pays subit la pression du changement climatique, n’est ni viable ni rationnel.

Et ce n’est pas seulement la classe qui devient impraticable : c’est aussi le trajet. Dans les zones rurales et de l’intérieur, certains enfants parcourent plusieurs kilomètres, souvent sous un soleil de plomb, parfois avec des transports défaillants. La journée scolaire est encore alourdie par le système des doubles vacations : sortie à 11h, retour à 13h ou 14h, dans la chaleur du milieu de journée. Dans ces conditions, continuer à exiger du présentiel intensif en juin ou septembre relève de l’illusion.

Mieux vaut alors reconnaître que, parfois, trois mois de vacances assumés valent mieux qu’une scolarité “présentielle” mais improductive. C’est un constat pragmatique. Mais à côté de cette réalité, il reste à imaginer des solutions pour éviter que les enfants ne soient livrés à eux-mêmes.


2. Le casse-tête organisationnel des examens

À la contrainte climatique s’ajoute une autre donnée, souvent passée sous silence : l’organisation des examens nationaux.

Le bac et le brevet mobilisent chaque année un véritable arsenal. Non seulement les lycées et collèges sont réquisitionnés pour servir de centres d’examen, mais même les écoles primaires sont souvent mises à contribution. Les enseignants de tous niveaux, du primaire jusqu’au secondaire, sont appelés pour surveiller, corriger et assurer la logistique. En 2025, par exemple, près de 240 000 enseignants ont été mobilisés pour encadrer les 850 000 candidats au baccalauréat.

Ce choix bureaucratique a un coût éducatif : pour libérer les structures et le personnel, on préfère mettre en vacances l’ensemble des élèves dès la mi-juin, quitte à sacrifier plusieurs semaines de cours. C’est une solution radicale, qui traduit une logique d’administration plutôt que de pédagogie.

Dans d’autres pays, comme la France ou l’Espagne, la mobilisation existe également, mais elle reste mieux cadrée : les examens se déroulent dans un nombre limité de centres, parfois spécialisés, et n’interrompent pas brutalement la scolarité de tous les élèves. L’Algérie gagnerait à s’inspirer de ces modèles plus rationnels, où l’organisation obéit à une logique cartésienne, méthodique et logistique, plutôt qu’à un bricolage administratif.


3. Une école publique concurrencée par une école parallèle

À côté de ces contraintes structurelles, un autre phénomène ronge le système éducatif algérien : la prolifération des cours privés et des établissements de soutien scolaire.

Dès le primaire, et surtout au collège et au lycée, de nombreux élèves suivent en parallèle des cours supplémentaires. Ce marché a pris une telle ampleur qu’il constitue aujourd’hui une véritable école parallèle, qui double et parfois remplace de fait les établissements publics.

Pour les enfants, cela se traduit par une surcharge colossale : journées rallongées, soirées sacrifiées, rythme intensif. Pour les familles, c’est une charge financière considérable. Dans les grandes villes, certains parents préfèrent inscrire directement leurs enfants dans des écoles privées agréées. Mais dans l’intérieur du pays, où l’offre privée est rare, les familles n’ont d’autre choix que ces cours “de l’ombre”. Beaucoup s’endettent, uniquement pour ne pas que leurs enfants se sentent exclus face à leurs camarades.

Aparté : la fausse gratuité de l’école publique

Les pouvoirs publics ne cessent de répéter que l’école algérienne est gratuite. Mais cette gratuité est devenue un simple slogan. Dans la réalité, la majorité des parents paient des cours de soutien, parfois dès le primaire, et quasiment toujours au lycée, surtout en année de bac. Cette dépense, lourde pour les familles, représente en fait un financement caché du système éducatif, qui se fait en dehors du contrôle de l’État.

Dès lors, il faut clarifier le choix de société :

  • Soit l’on assume la logique mercantile, et l’argent drainé par les cours de soutien est redirigé vers l’école publique, à travers un modèle mixte où l’État encadre et organise ces contributions privées. L’école resterait publique, mais fonctionnerait comme une école “semi-privée” assumée.

  • Soit l’on reprend le dessus, en éradiquant ce marché parallèle, pour garantir une école publique réellement gratuite et efficace.

Dans tous les cas, l’ambiguïté actuelle est insoutenable. Une école qui se prétend gratuite mais qui, dans les faits, fait payer les familles, perd sa légitimité sociale et accentue les inégalités.


4. La déperdition morale et le cas des bacheliers

Le dysfonctionnement atteint son paroxysme en année de terminale. Dans de nombreux lycées, les classes se vident des mois avant le bac. Les élèves désertent, les directions ferment les yeux, et l’on considère comme normal qu’un futur bachelier se consacre exclusivement à ses cours privés.

Cette pratique génère une injustice sociale criante : seuls les élèves issus de familles aisées peuvent se payer ce luxe, tandis que les autres stagnent. Beaucoup de familles modestes s’endettent pour ne pas priver leurs enfants de ce “deuxième enseignement”.

Le problème est aussi moral : certains enseignants, médiocres dans leurs cours publics, se montrent rigoureux et exigeants dans le cadre privé. Il y a là une perte de valeur et une trahison de la mission éducative. Il y a trente ans, ce phénomène n’existait pas : l’école publique suffisait à préparer les élèves au bac. Aujourd’hui, elle est affaiblie au point de déléguer tacitement son rôle à un marché privé non régulé.

La réforme devra donc impérativement passer par une reprise en main de l’enseignement public, tant sur le plan pédagogique qu’éthique.


5. Quelles pistes pour sortir de l’impasse ?

Si l’on prend en compte l’ensemble de ces contraintes — chaleur, organisation bureaucratique des examens, surcharge des élèves, dérives du privé —, la réforme doit être globale. Quelques pistes peuvent être avancées :

  • Répartir différemment les vacances : au lieu de trois mois d’été, proposer des coupures ne dépassant pas une semaine, mieux distribuées (au printemps, au Nouvel An), pour soulager l’année scolaire sans sacrifier le temps d’étude.

  • Maintenir les élèves fin juin-début septembre, mais pour des activités créatives, artistiques, sportives, ou de lecture, sans évaluation ni examen. Cela permettrait de donner un sens à la présence en classe, tout en évitant l’oisiveté.

  • Exploiter le numérique et le hors-ligne : proposer des contenus éducatifs accessibles sur smartphone, désormais démocratisé, ou via des packs physiques (CD, clés USB, fascicules ludiques). Les élèves pourraient rendre compte de ces activités à la rentrée, sous forme de jeux éducatifs.

  • Transformer les écoles en centres aérés l’été, à l’image de ce qui existe en France, pour maintenir une vie sociale et culturelle dans les quartiers.

  • Réguler le soutien scolaire, pour qu’il cesse d’être une école parallèle anarchique et devienne, soit une extension régulée, soit une alternative privée assumée.


Conclusion

Le système éducatif algérien est confronté à des défis multiples : chaleur accablante, bureaucratie lourde, fractures sociales et perte de repères moraux. Pour l’instant, les réponses sont fragmentaires, souvent improvisées. Mais la société a besoin d’une réforme d’ensemble, qui réaffirme le rôle central de l’école publique et mette fin à la fuite en avant du bricolage.

Un pays qui ne reprend pas en main son école prend le risque d’éduquer une jeunesse divisée, fatiguée et désabusée. Un pays qui, au contraire, réinvestit dans son école publique, dans son organisation et dans son éthique, construit les bases solides d’une société plus juste, plus confiante et mieux préparée à l’avenir.


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