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Récifs artificiels : en Algérie, des expériences timides


Les récifs artificiels représentent un des outils de gestion intégrée de côte et des ressources littorales les plus performants. Ils font face aux pressions constantes exercées par les activités humaines sur le littoral et aux dégradations de l'environnement marin et de ses ressources. Zoom sur les quelques projets DZ.En milieu marin, ce n'est pas l'eau qui déclenche la diversité de la vie mais plutôt tout ce qui est support physique ou substrat offrant l'opportunité de ce fixé aboutissant à une explosion biologique», explique Kaïs Boumediène Hussein, docteur en écologie et biologie marine, enseignant à la faculté des Sciences de la nature et de la vie (SNV) de l'université d'Oran et conseiller scientifique au sein de l'association Barbarous.
Il précise que ce biotope ou habitat des espèces marines est déterminé en fonction du caractère du plateau continental, qui à son tour détermine la quantité du tonnage de la production en poissons. Si le plateau continental nord-africain s'étale largement et est relativement plat et facile à exploiter en Tunisie et au Maroc, l'Algérie n'offrirait, quant à elle, que peu de fonds chalutables. «De Bône a l'Est aux îles Habibas a l'Ouest, le plateau est trop serré avec un relief sous-marin tourmenté et difficile. Les zones chalutables n'atteignent pas le tiers de la superficie totale du plateau continental», ajoute M. Kaïs.
Le chercheur précise que le chalutage est pratiqué tout près du littoral par moins de 100 m de profondeur aux alentours de Ténès et devant Alger, tandis qu'au large des baies d'Arzew et de Castiglione, à l'est du cap Matifou et en baie de Bougie, les chalutiers atteignent des profondeurs plus importantes, mais dans des secteurs très limités et qui sont, en conséquence, souvent surexploités.
Cette situation, caractérisée par l'appauvrissement des habitats côtiers, serait, selon M. Kaïs, une conséquence de la littoralisation, l'anthropisation et la pollution générale du littoral algérien.
Cela expliquerait, selon lui, la diminution menaçante des ressources halieutiques. Pour palier à ce problème, le chercheur assure qu'une compensation de cette réduction d'espace, en créant de nouveaux habitats sous-marin, devient nécessaire.
Ces habitats, ou récifs artificiels, sont des structures immergées, dont le but essentiel est de palier et de réduire l'empreinte humaine sur les écosystèmes côtiers, et ce, de par leur aspect esthétique et intérêt paysager.
Ces structures peuvent induire chez les animaux des réponses d'attraction, de concentration, de protection et, dans certains cas, une augmentation de la biomasse de certaines espèces. Ces récifs pourraient donc permettre l'installation de nouveaux organismes et ainsi engendrer un gain de biodiversité.
Loi
De son côté, Emir Berkan, président de Probiom, estime que les récifs artificiels ont un intérêt triple. Le premier est la production halieutique.
Le second est la protection du littoral du chalutage et de la pêche en zone interdite et enfin le dernier : touristique. «Sans compter l'intérêt scientifique, pédagogique et didactique que certains sites dans le monde ont développé», ajoute-t-il. D'ailleurs, la fondation a longtemps limité jusqu'à ce qu'un texte de loi (17-363 du 25 décembre 2017) qui réglemente l'immersion des récifs artificiels soit pondu.
Souvent installés sur des zones sableuses, les récifs artificiels permettent de diversifier les substrats disponibles, offrant ainsi un abri à des organismes qui n'auraient pas forcément choisi cette zone pour effectuer leur cycle de vie.
Et c'est dans cette optique que l'association écologique marine Barbarous, en collaboration avec la Direction de la pêche et des ressources halieutiques d'Oran (DPRH) et le ministère de la Pêche et des Ressources Halieutiques (MPRH) se sont lancé le défi, en 2012, de réaliser un récif artificiel pour la région oranaise.
Suite à de profondes études de faisabilité, le récif fut installé en 2014 à Oran. «Ce récif dit de production ou HLM à poissons a été implanté dans le but d'augmenter la diversité et la biomasse ichtyologique», explique le chercheur. Cet outil serait, selon M. Kaïs, pertinent et peut être utilisé dans le cadre d'un développement durable de la pêche côtière du pays.
Le principe est simple : immerger sur une zone meuble naturellement pauvre, des habitats artificiels productifs. Ces derniers vont constituer, explique M. Kaïs, de véritables habitats qui vont dans un premier temps permettre la sédentarisation d'espèces inféodées à ce type de milieu, ce qui contribue à une augmentation de la diversité.
«Bio-Kaïs»
Dans un second temps, ce récif permettra la création de biomasse sur la zone d'implantation et aux alentours. Intitulé «Bio-Kaïs», le projet consistait à réaliser un habitat marin productif par l'implantation d'herbiers de Posidonie dans des déserts marins situés au niveau de la côte oranaise.
L'expérience fut d'abord réalisée en version «miniature» par M. Kaïs, «puis elle nous a été proposée. Et nous avons naturellement adopté la méthode sur une profondeur et un espace plus importants», confie Amine Chakouri, le secrétaire général de l'association marine Barbarous. «L'herbier de Posidonie a d'abord été implanté sur un petit périmètre, dans une zone désertique de la baie des Andalouses et a transformé cette zone qui est devenue un habitat pour les espèces», explique M. Chakouri. La Posidonie ou Posidonia oceanica est une plante à fleurs marines présente dans presque toute la Méditerranée, et uniquement en Méditerranée.
Elle est donc le poumon de Méditerranée et est caractérisé par une croissance très lente. «Malheureusement, celle-ci est menacée d'où la nécessité de sa plantation, car cela va contribuer à sa sauvegarde ainsi que celle de l'espace grâce au déclenchement de son cycle naturel dans d'autres zones à partir des herbiers artificiels», explique M. Kaïs. 6 ans plus tard, les résultats sont bien là ! En effet, selon M. Chkouri, le projet «Bio-Kaïs» a donné des résultats «plus que probants».
Par ailleurs, et dans la continuité de ce projet, l'association Barbarous propose également la transplantation de l'algue cystosiera, également espèce menacée, aux niveaux des 33 ports de l'Algérie. «L'avantage est que l'habitat de cette algue brune est identique à la roche exposée des digues extérieur des ports de l'Algérie. De plus, cystosiea est un habitat pour les juvéniles de poissons. En milieu naturel, son existence indique la bonne qualité des eaux», explique M. Chakouri.
Bateaux
Selon lui, cette transplantation assurera la sauvegarde de l'espèce mais aussi la création de nouveaux habitats pour enrichir l'écosystème côtier marin du pays. En dehors des algues, les bateaux qui ne servent plus peuvent également être de bons candidats pour constituer des récifs artificiels.
Selon M. Berkane, les bateaux sont l'un des dispositifs et structures pouvant êtres immergés dans le but de créer des récifs artificiels, au même titre que les blocs de béton comme au Prado à Marseille, de métal comme aux Philippines ou même d'épaves d'avions comme en Turquie dernièrement ou de trains comme le méga-projet d'immersion des rames de métro de New York. «Ce sont déjà des récifs et depuis longtemps.
Ce sont justement ces épaves qui ont donné l'idée du concept de récifs artificiels tant la colonisation observée lors des premières pêches et plongées filmées dans la moitié du siècle dernier ont fait comprendre l'intérêt de ces structures pour la vie marine», explique M. Berkane.
D'ailleurs, l'association culturelle Chebec d'Oran, présidée par Lakhdar Mokhtari, ancien doyen de la faculté de médecine d'Oran et qui s'intéresse au littoral et principalement aux épaves et leurs histoires est favorable pour l'immersion des bateaux. «A condition qu'ils soient dépollués», précise Tarik Mokhtari.
En effet, la convention de Barcelone régit clairement les procédés et protocoles d'immersion et surtout de dépollution pour les structures immergées. Le bateau à immerger doit être dépollué de ses plastiques, carburant, fils électriques et même sa peinture.
Toute structure qui contient un produit chimique ou autre qui risque d'avoir un impact négatif sur l'environnement ne passera pas le filtre de la commission multisectorielle.
Forts de leur 10 ans de plongée, M. Mokhtari assure avoir accumulé beaucoup de données, dont les nombreuses épaves que compte le pays. «La côte algérienne est très riche. Déjà elle est grande, mais a aussi été très peu explorée. Si initialement, on comptait répertorier les sites de plongée, on s'est vite orienté vers les épaves car, au delà de l'objet, il y a une histoire derrière», raconte M. Mokhtari.
Epaves
Et question épaves, l'Algérie en compterait des centaines. «Nous avons déjà plongé sur une dizaine. Il faut aussi savoir que dans chaque ville côtière, des plongeurs en connaissent 4 ou 5. C'est ce qu'il nous fait dire qu'il y a probablement même des milliers», confie M. Mokhtari. La raison de ce gros nombre est que «l'Algérie, sur le plan géographique est sur un endroit où il y a eu beaucoup de trafic maritime», explique M. Mokhtari.
Et plus, il y a du trafic, des incidents et des naufrages. «Le passé aussi y est pour quelque chose, car nous avons connu une présence romaine ainsi que les deux guerres mondiales», ajoute-t-il. A ce propos, une démarche a été entreprise par la commission d'archéologie sous-marine de la Fédération algérienne de plongée afin d'inciter les plongeurs à déclarer leurs découvertes.
«On souhaite être le pont entre les institutions officielles et la société civile. Mais malheureusement, la tâche s'est avérée quelque peu compliquée, car beaucoup de plongeurs ne déclarent pas ! Ce n'est pas pour de mauvaises intentions mais plus par crainte que le site soit fermé», confie Rafik Khellaf, enseignant, chercheur, maître de conférences et président de la Commission nationale d'archéologie subaquatique.
Selon lui, il y a eu que 19 déclarations de découverte d'épaves lors des deux dernières années.
Essentiellement des épaves historiques, dont des chalutiers et des transporteurs modernes. «Seulement deux sont des épaves archéologiques, ou du moins des restes, vestiges de bateaux engloutis ??canons''.» Les épaves historiques déclarées sont récentes et ne peuvent donc pas être considérées, selon le spécialiste, comme patrimoine culturel, et ce, selon la définition de la convention de l'Unesco de 2001, relative à la protection du patrimoine culturel subaquatique.
De plus, M. Khellaf précise que les épaves déclarées ne constituent pas un danger (explosions ou d'atteinte à l'homme), «mais on ne peut écarter un danger sur l'environnement, ne sachant pas si elles ont été dépolluées ou si elles ont toujours leur carburant par exemple».
Précisant que l'essentiel des déclarations ont été faites par des plongeurs amateurs, à savoir Tarik Mokhtari de l'association Chebec d'Oran ainsi que Mahmoud Sahouane et Mehdi Hammani, deux plongeurs professionnels d'Alger et amateurs d'épaves. Le plus grand effort qui reste à faire, selon M. Khellaf, revient aux associations et clubs de plongée.
Pour lui, c'est à eux de déclarer ce que leurs plongeurs découvrent, et à eux de surveiller les sites, épaves qui se trouvent dans les spots de plongée et à eux de dénoncer les atteintes à ces épaves, et tout simplement, en y plongeant régulièrement.
«Ce qui est bien avec l'immersion de ces bateaux réformés à faible profondeur est de faire vivre cet objet, qui a déjà un vécu, et perpétuer son histoire en plongeant dessus et en faire un récif pour la biodiversité, un site de plongée, mais également pour le tourisme», assure M. Mokhtari. «C'est pour toutes ces raisons qu'on aimerait être impliqués, nous plongeurs, dans le choix des sites et des profondeurs», conclut-il.
Intérêt
Si les plongeurs et chercheurs insistent sur la profondeur de l'immersion, car cela a à un intérêt direct sur l'environnement.
«Le commandement des gardes côtes et la marine nationale immergent depuis longtemps des bateaux. Hélas, ces opérations après dépollution et aval du ministère de l'Environnement sont effectués à de très grandes profondeurs, donc sans aucun intérêt pour la biodiversité ou la protection des littorales», se désole M. Berkane.
Si la fondation Probiom défend autant ce projet c'est que les résultats sont là. «D'après les résultats du suivi scientifique, entre 2016 et 2019, du Professeur Farid Derbal, de l'université de Badji Mokhtar et son équipe, sur le premier récif de Annaba, ce sont pas moins de 43 espèces qui sont venues coloniser le champs récifal expérimental immergé par l'associé Hippone Sub», affirme-t-il.
Ajoutant que les résultats sont tous aussi impressionnants sur des récifs plus anciens, comme celui du Prado à Marseille qui a permis de recréer toute une biodiversité sur le littoral phocéen.
Alors des récifs artificiels, pourquoi pas, mais ces aménagements doivent être intégrés dans une politique de gestion et de protection globale du milieu marin qui passe par la réduction des polluants, des pratiques de pêche respectueuses et une protection accrue des milieux.
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