Algérie

Quelques brasses autour des îles Habibas



Jeudi 24 avril. Port de pêche d'Oran, quai réservé aux bateaux de plaisance. Il est 9 heures. Le temps est au beau fixe. La mer est plate malgré une légère brise marine. Nous prenons place à bord de l'un des trois bateaux, mis à disposition par l'Association des « Amis de la mer ». Les moteurs se mettent en branle. Cap sur les îles Habibas. Petit pointage de routine au poste de contrôle de la capitainerie portuaire et les trois vedettes franchissent, doucement, en file, la porte de la jetée. La question de savoir quelles sont les coordonnées GPS introduites pour mettre le cap sur l'archipel fait rire sous cape notre maître de bord, Salim. Il nous apprend qu'il a fait des dizaines de fois ce petit trajet d'une heure et demie (environ 40 km), au point où il est maintenant à même de naviguer les yeux fermés. « L'île Habibas sera visible pratiquement dès que nous sortons de la baie d'Oran », ajoute le jeune propriétaire de la superbe vedette de 7,5 mètres « made in USA », qui coûte quelque 7 millions de DA, sans les options pour lesquelles il faut débourser presque le double du prix, explique Salim. Mue par un moteur V8 de 200 ch, essence, cette vedette de 12 places peut atteindre 40 noeuds (74 km/h). Mais pour économiser le carburant, surtout, et puisqu'il n'y a d'ailleurs aucune raison de se hâter, le « capitaine » préfère rouler entre 25 et 30 noeuds. Vitesse qui, en prenant en compte les éventuelles haltes forcées ou pas, nous permettra de gagner l'archipel vers 11 heures. Les deux autres bateaux de l'excursion suivent la même logique. Il est très important, nous explique-t-on, de rester groupés et solidaires autant que possible tout au long de la traversée, de ne pas trop s'écarter l'un de l'autre pour pouvoir apporter le secours mutuel en cas de pépin. Formant un V, les trois glisseurs filent à la vitesse de croisière sur une mer d'huile, traçant derrière eux de longues traînées écumeuses. Le rivage s'éloigne peu à peu, se contracte. Seule la statue de Marie surplombant Oran conserve invariables ses dimensions, son mystère aussi, et semble de ce fait bouleverser les lois de la géométrie optique les plus élémentaires. Nous sortons de la baie d'Oran. La mer devient soudain légèrement houleuse, sans toutefois faire déferler les vagues.      Ça se ressent à bord. Aussi bien par le changement de l'ampleur du tangage et du roulis que par la nouvelle « mélodie » du moteur, qui ne laisse aucune oreille indifférente, qu'elle appartienne à un connaisseur ou un néophyte. Subitement, un troupeau de marsouins, composé de 4 à 6 individus, surgit à la surface. Ressemblant à des dauphins, dont ils sont de la même famille des cétacés, en plus petits, les marsouins sont fréquents dans les parages, nous apprendra un marin. Dès qu'ils « voient » une embarcation à l'horizon, ils viennent nager à sa proue et calquent leur vitesse sur la sienne. Les sardines et les anchois sont les mets privilégiés de ces mammifères, qui encerclent les bancs de poissons et s'en adonnent à coeur joie. Ces torpilles vivantes nous souhaitent bonne mer en faisant devant l'étrave des sauts, des zigzags... Un spectacle que nous n'avons vu jusqu'ici que sur Ushuaïa TV. Nous atteignons « l'île plane » à 9h 50. Située à mi-chemin, cette petite île rocheuse est peuplée de mouettes et de goélands. La population îlienne cohabite paisiblement. Une embarcation semi-rigide de la Protection civile rode autour de l'île. L'équipage, à première vue intrigué par notre arrivée, semble faire de la surveillance. Nous ne tarderons pas d'en connaître le motif : deux scientifiques de la Fondation Nicolas Hulot sont en train d'explorer l'île. Après une courte pause, les moteurs vrombissent à nouveau. A peine avons-nous avancé quelques mètres qu'une île, visiblement plus grande pointe à l'horizon. «C'est Habibas! Regardez!», crie, subjugué, un de nos amis en orientant le doigt vers l'île. La flotte passe à la vitesse supérieure. Plus nous avançons, plus la taille de l'île grandit. Nous en sommes à moins de 5 minutes à présent. D'ici, nous voyons amarré le voilier « Fleur de Lampaul » de la Fondation Nicolas Hulot. Nous y sommes enfin ! Nous accostons le petit «puerto» de l'archipel, judicieusement aménagé par les Espagnols dans une anse sympathique dont l'emplacement et le relief en font un paravent naturel parfait. Tout le monde descend. Inexprimable est le sentiment de fouler pour la première fois le sol des îles Habibas ! Mais là aussi, nous devons de prime abord expliquer qui nous sommes et pourquoi nous sommes ici aux deux officiers militaires qui veillent sur les étrangers en mission sur l'île. Après quelques photos sur le débarcadère pour immortaliser l'instant, commence la randonnée sur l'île. Les premiers habitants insulaires que nous rencontrons sur notre chemin en direction du phare qui culmine au sommet de l'île, les éco-gardes. Recrutés par le Commissariat national du littoral en application des recommandations du ministère de l'Aménagement du Territoire, de l'Environnement et du Tourisme, ces surveillants sont chargés de protéger ce périmètre contre les faits nuisibles à l'équilibre de sa bio-diversité, le facteur humain étant considéré comme la plus importante menace, particulièrement à travers la pêche intensive, explique-t-on. Ces éco-gardes bénéficieront en juin prochain d'une formation en France, sur le site de l'archipel Frioul de Marseille, en vue de les initier aux méthodes d'information et de sensibilisation des visiteurs du futur lieu d'affluence touristique que deviendront les îles Habibas, fait-on savoir. Mais pour l'heure, ces éco-gardes sont logés dans le phare alors qu'ils n'ont en guise de pied-à-terre au bord de la mer qu'une vieille bâtisse en ruine, à un jet de pierre de ce qui serait, selon la « légende », les vestiges de la maison qui abritait les trois nones exilées à vie sur cette île, il y a environ deux siècles. La baraque, construite en briques et taules en ciment, en piteux état, fait plus que honte à cette réserve naturelle. Il est pour le moins attristant que ce gourbi moisi n'ait pas été éradiqué et remplacé par une belle cabane, par exemple. L'on ne comprend pas, non plus, pourquoi l'urgent dispositif de dératisation de l'île n'ait pas été mis en place jusqu'à aujourd'hui, alors que le projet « Petites îles de la Méditerranée » en est à sa cinquième mission aux îles Habibas. Néanmoins, nul ne peut contester que le site est à présent beaucoup plus propre qu'il ne l'était il y a quelques mois. Et là, un hommage doit être rendu aux Amis de la mer, qui passent régulièrement au peigne fin l'île. Sur notre montée vers le phare, nous rencontrons 4 membres de l'expédition de Nicolas Hulot, deux scientifiques et deux marins. Envoûtés par la richesse de cet éco-système marin, par les espèces végétales et animales rares qu'ils ont découvert (le chou des Habibas, le puffin cendré, le balbuzard pêcheur, le faucon, le cormoran huppé, les goélands...), les deux scientifiques gestionnaires de l'île française de Riou nous affirment : « Vous avez un beau littoral et des îles parmi les plus belles et les plus intéressantes dans le bassin méditerranéen ! ».
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