Algérie - Revue de Presse

Que représente pour nous Yennayer ?


Que représente pour nous Yennayer ?
Publié par Kamel Bouchama dans Le Soir d’Algérie le 12.01.2021
Par Kamel Bouchama, auteur
«Une société idéale n’est point, comme on pourrait le penser, étrangère à notre patrimoine historico-culturel. Il suffirait, en effet, de rechercher, d’inventorier et d’approfondir auprès des personnages âgés, dans nos contes, nos légendes, nos adages, et l’on décèlerait, à coup sûr, des valeurs qui, si elles étaient mises en pratique intelligemment, ne manqueraient point de nous faciliter l’édification d’une société cohérente, en paix avec elle-même.»
Kaïd Ahmed
(Conférence sur la Révolution culturelle, Oran 1970)
Yennayer, un «mot» qui est lâché chaque année au milieu d’un monde qui sait pertinemment qu’il lui appartient, mais qui, peut-être, ne connaît pas sa bonne signification et encore moins sa véritable symbolique, après tant de siècles qui ont fait l’Histoire de notre région. Oui, Yennayer n’est pas bien connu, même si nous le célébrons, assidument, chaque année, dans la majeure partie de notre territoire national.
Alors nous disons à ceux qui, jusqu’à aujourd’hui, ne savent ni l’origine ni la raison de cet événement qui est consacré, naturellement, par les Algériens et peut-être même par d’autres Amazighs de la profonde Berbérie en Afrique du Nord, qu’il nous vient des profondeurs de notre Histoire, du temps de nos ancêtres qui connaissaient leur origine et tenaient à en faire un facteur d’unité.
C’est ainsi qu’en prévision de quelques discours incongrus, voire lamentables, de certaines gens qui, par leur ignorance, peuvent aller dans la provocation, je vais expliquer, dans la mesure du possible, cet événement que notre pays fête d’une façon solennelle, parmi toutes ses traditions, et veille à ce qu’il soit entouré d’un maximum de respect. D’ailleurs, pour ceux qui ne le savent pas, Yennayer était fêté avec grand faste du temps où nous vivions sous le joug colonial, beaucoup plus qu’il ne l’est maintenant, car, hier, nos parents tenaient absolument à manifester cette différence qui existait entre nous et ceux qui nous oppressaient. Ils tenaient surtout à leur dire que nos origines, dans ce pays, nous viennent de la nuit des temps, c’est-à-dire des profondeurs de l’Histoire, celle qui reconnaît à notre peuple la paternité des territoires que la France a occupés, par la force, la persécution et l’injustice, à partir de cette année de 1830.
Cela dit, qu’il me soit permis, dans un autre contexte, et au nom de cette identité nationale, que je dois défendre, comme tout Algérien fier de ses racines et de ses ancêtres, de crever cet abcès qui nous fait souffrir depuis très longtemps. Pour cela, je dois développer des vérités que plusieurs ne connaissent peut-être pas, ou feignent d’ignorer. Alors, je leur propose une petite explication sur ce qu’est notre Histoire ancienne, afin qu’ils sachent, une fois pour toutes, que Yennayer, qui n’est pas un rite religieux, dont quelques ignorants l’assimilent aux fêtes païennes célébrées dans le monde des mécréants et des «ennemis de Dieu», est une tradition fondamentalement berbère qui ne peut être comparée au «kofr», à ce blasphème et à cette dissidence qui s’oppose au Tout-Puissant. Et qu’ils sachent que l’islam des Berbères est un islam pur, irréversible et, de surcroît, ne connaissant aucune «fioriture» et encore moins ces «fantaisies» qui nous viennent de ces différents schismes qui ont déclassé notre religion à un rang qui, hélas, n’est pas le sien. Yennayer demeure pour nous une fête pleine de symboles et… de fierté, parce que nous appartenons à cette ethnie dont les vrais musulmans — pas les autoproclamés — disent beaucoup de «bonnes choses» qui réfutent tous les commentaires désobligeants, s’ils venaient à exister, concernant cet événement traditionnel qui, encore une fois, n’est pas païen.
Écoutons Ali Ibn Abi Taleb (Dieu l’agrée), concernant ceux qui fêtent Yennayer, c’est-à-dire nos ancêtres : «Ô gens de La Mecque, ô gens de Médine, je vous recommande de bien vous conduire envers Dieu et envers les Berbères, car ils vous apporteront du Maghreb la religion de Dieu après que vous l’aurez laissé perdre. Ce sont eux qui ne tiendront compte de personne, si ce n’est de l’obéissance à Dieu.» Quant à Aïcha, mère des croyants (Dieu l’agrée), elle disait : «Les Berbères savent accueillir les hôtes, frapper avec le sabre et brider les rois, comme on bride les chevaux.»
Yennayer est une des belles traditions, parmi toutes celles qui existent et persistent à demeurer vivantes en notre pays. Et nous le célébrons partout, à l’Est comme à l’Ouest, au Nord comme au Sud. En somme, c’est une grande fête — pour peu que l’on sache la célébrer et la respecter — qui répond à ces nombreuses interrogations sur notre identité nationale. Et là, ce qu’on peut livrer à tout le monde, principalement aux jeunes pour qu’ils sachent les fondements de leur authenticité, est que notre peuple est là, dans cette partie de l’Afrique du Nord, depuis la nuit des temps, selon les historiens. Ainsi, nous étions bien là…, dans ce pays qui est le nôtre, depuis plus de 10 000 ans ! Nous étions encore là, depuis presque 3 000 ans, c’est-à-dire le début du calendrier berbère ou agraire qui a commencé en 950 av. J.-C., date de l’arrivée du pharaon berbère Sheshonq 1er, fondateur de la première dynastie berbère d’Égypte.
Aujourd’hui, en cette année grégorienne de 2021, nous sommes exactement en 2971, dans notre calendrier berbère (ou agraire), et que l’on veuille ou pas — c’est nécessaire de parler à haute voix à ceux qui nient cette vérité — l’année berbère commence le 14 janvier de chaque année, pour être fidèle avec l’Histoire et nos ancêtres. Oui, elle sera fêtée partout, mais beaucoup plus chez nos paysans, qui comprennent mieux que quiconque la symbolique de cette journée qui les attache davantage à la terre qu’ils aiment tant, cette terre qui est un élément fondamental dans notre patrimoine matériel et immatériel et dans l'identité de notre nation.
En effet, l’Histoire est là, omniprésente, et notre passé finit toujours par nous rattraper… Ainsi, l’Histoire et le passé nous connaissent, depuis des siècles, et non pas, seulement, depuis l’avènement de l'islam, selon certains, à l’esprit mal tourné, pour qui notre peuple et ses territoires n’existaient pas. Il faut que ceux-là, qui vivent dans la négation du passé, sachent, une fois pour toutes, qu’à une certaine époque, nous avons occupé un grand territoire qui allait de l’ouest de la vallée du Nil — de l’oasis de Siwa, plus exactement — jusqu’à l’Atlantique et l’ensemble du Sahara, de même que nous avons fondé de puissants royaumes, formés de tribus confédérées.
Nos ancêtres les Berbères étaient connus dans l’Antiquité sous les noms de Libyens, Maures, Gétules, Garamantes ou encore Numides.
Et donc, ces ancêtres nous ont laissé des noms, des repères, des habitudes, des mœurs, et surtout des adresses, comme on dit dans le langage moderne. Ce n’étaient pas des tribus qui disparaissaient avec le temps et les guerres, sans laisser de traces. Ils nous ont laissé Yennayer que nous fêtons avec joie et… respect, avec faste dans certaines régions du pays, à Beni-Snous par exemple, puisque, dit-on, c’est là l’origine du Pharaon Sheshonq 1er.
D’autres chercheurs en Histoire se sont arrêtés sur la région de Beni-Ourtilane, comme d’autres proclament qu’il trouve ses origines dans la région du djebel El Akhdar, en Libye. Mais quoi qu’il en soit, bien avant ces derniers siècles, les frontières se confondaient à défaut de n’avoir jamais existé, et ce Pharaon berbère trouve, bel et bien, ses origines dans cette aire géographique qui est foncièrement amazighe. Et c’est l’essentiel pour nous, en attendant que les historiens fassent cet exploit de découvrir et nous dire exactement de quelle région de la Grande Berbérie est-il venu au monde. Ainsi, en attendant ces précisions, pourquoi ne le fêterions-nous pas avec faste, quand tous les peuples anciens comme nous célèbrent jusqu’à présent les leurs ?
Les Égyptiens fêtent chaque année, même aujourd’hui, «Shem en-Nassim» (La senteur de la brise) qui est, sans conteste, l’une des fêtes les plus anciennes au monde. Elle est connue et célébrée depuis 4 500 ans…, depuis le temps des Pharaons, en tant que fête du renouveau.
C’était une fête agraire car les anciens espéraient que la crue du Nil (fin août-début septembre) serait suffisante pour une bonne mise en culture et de bonnes récoltes. Ainsi, ils célébraient l’éveil de la nature, la naissance ou la renaissance.
Les gens du Nord ont aussi leurs fêtes, très anciennes, et ils les célèbrent dans le plaisir pour renouer avec leurs traditions qu’ils immortalisent par les ambiances des plus détendues et des plus culturelles afin de faire bénéficier les nouvelles générations qui seront des facteurs de continuité. Ainsi, les Gaulois, tous les Gaulois, fêtent encore l'équinoxe, 2 000 ans après l'invasion romaine.
N’est-ce pas donc, pour ce qui nous concerne, que nos grandes fêtes traditionnelles sont autant d’éléments du patrimoine algérien qui témoignent de la vivacité de la culture amazighe ? En effet, et puisque nous le croyons, faisons comme tous les peuples cultivés qui reviennent à leurs us et coutumes ancestrales, symboles déterminants de leurs origines. Ainsi, nous pouvons ressembler à cette oasis d’authenticité qui se traduit, entre autres, par un peuple fier, attaché à ses valeurs, et ainsi, nous clamerons que notre pays n’est pas né du néant par la grâce d’une quelconque mission «civilisatrice», ni par celle d’une «fetwa» de quelques illuminés. Notre pays a une Histoire plusieurs fois millénaire !
Ah! que n’a-t-il pas fait Yennayer, surtout après les assauts d’une certaine faune d’exégètes à l’esprit obtus, façonnés dans le moule de l’obscurantisme ? Que n’a-t-il pas fait pour nous rassembler autour du «nif» et de la fidélité aux principes et à nos constantes qui, tels pourraient être les premiers qualificatifs de ce peuple berbère ? Il a fait beaucoup, effectivement, car à partir de cette idée forte de ressouder la nation, l’Algérien doit constamment se sentir responsable pour éviter la déréliction. Il doit se sentir utile à autrui, à l’image de «ces centaines de millions d’hommes et de femmes, fiers usagers d’une culture née libératrice, la culture de l’islam», et puiser ses éléments culturels initiaux dans le riche patrimoine jalousement conservé à travers les siècles, par la mémoire collective de notre peuple. En dehors de ces nobles sentiments, nous ne pouvons rien faire pour faire émerger notre culture ancestrale.
C’est en cette direction que feu Kaïd Ahmed, que l’on convie dans ce texte, accompagné de son esprit vif et appliqué, disait clairement, sans ambages, dans sa remarquable Conférence sur la Révolution culturelle, en 1970, à Oran : «Ce n’est point l’attachement aux modèles traditionnels positifs qui donne naissance à la «folklorisation» des esprits, mais plutôt l’aversion qu’on lui voue. Car cette aversion est traditionnelle ; au demeurant, elle ne peut se manifester que chez l’individu déraciné, c’est-à-dire tout simplement aliéné… Un tel individu vit physiquement au sein d’une société, et mentalement au sein d’une autre société, qualifiée par les savants de référentielle. Ainsi, l’homme qui déteste inconsidérément les modèles de sa matrice socioculturelle est affecté de ce que les psychanalystes dénomment le dédoublement de la personnalité.
Il est pareil à une chauve-souris, à la fois volatile et mammifère. Malheureusement, nombreux sont parmi, au sens large du vocable, ceux qui ont ce profil disgracieux. L’unicité de la personnalité par contre se rencontre nettement au sein des masses populaires, sauf peut-être chez les paysans, arrachés trop brusquement à leur milieu.»
En tout cas, Yennayer, cette fête traditionnelle toute simple, mais profondément lointaine dans le temps, sera constamment pour nous une occasion pour que nos chemins, sur la route de la mémoire, se croisent souvent, et ainsi nous rétablirons la vérité, après des décennies où l’oubli et l’indifférence, des erreurs monumentales qui traduisent la méconnaissance de notre Histoire, ont constitué également cet outrage à l’encontre d’un peuple attaché à ses valeurs.
K. B.




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