Que demande le peuple '

Il va voter pour Moussa Touati, ne lui demandez surtout pas pourquoi, parce qu'il commencera par vous dire qu'il ne sait pas. Il sait par contre que ce qui l'a décidé à choisir ce candidat dont il ne connaît même pas le nom du parti n'est pas vraiment de nature à convaincre grand-monde. Yacine n'a jamais voté et il ne s'en porte pas plus mal, d'après lui. Un peu par paresse et beaucoup par désespoir, il s'est toujours dit que le vote ne sert à rien.Ce n'est pas très original comme idée mais Yacine ne tient pas à l'originalité. Il s'est dit que le vote ne sert à rien parce que convaincu que «celui qui va passer est déjà passé», que ceux qui votent ont tous un intérêt quelque part même si leurs voix sont détournées et que son bulletin à lui, même dans une «élection normale», est une entité négligeable qui ne peut pas peser sur le résultat.Un petit papier glissé dans une caisse qui en compte des centaines, dans un centre qui compte des milliers, dans une circonscription qui compte des dizaines de milliers, dans une wilaya qui compte des centaines de milliers et dans un pays qui compte des millions, c'est comme un grain de sable sur une grande plage, répète-t-il à l'envi.Et quand on lui dit que c'est une voix plus une voix plus une voix? qui font une élection, il a la réponse fatale : allez faire l'addition sans ma voix et soyez heureux ! Yacine n'est pourtant pas ce qu'on pourrait appeler un «blasé». Une boutique prospère héritée du paternel, une charmante épouse qui «ramène un salaire», un enfant de quatre ans mignon comme tout, un appartement confortable et une petite voiture.Que demande le peuple ' Il ne sait pas, en tout cas, il n'a jamais eu l'impression que le peuple veut des élections. Il y a beaucoup de monde qui parle comme lui, il sait qu'il n'est pas original mais il sait aussi qu'il y en a parmi eux qui vont voter quand même. Par intérêt, par ennui ou par résignation. Bien des fois pourtant, Yacine s'est demandé pourquoi il n'irait pas voter. Pour faire comme tout le monde - enfin, pas vraiment comme tout le monde - pour savoir dans quelles proportions son choix est partagé et surtout pour voir à quoi ressemble un bureau de vote en dehors de son écran de télévision. La première fois, on lui avait dit que son candidat n'avait aucune chance. Personne ne lui a expliqué pourquoi mais il paraît que «c'est comme ça». Alors, il est resté à la maison le jour du scrutin.La deuxième fois, on lui a dit que le pays était en danger, on a donc déjà choisi pour tout le monde. Le jour du vote, il est parti rendre visite à sa grand-mère au bled. Et la troisième fois on lui a dit qu'il fallait choisir entre un candidat du système et un autre candidat du système parce que cette fois, on ne sait pas qui est le vrai candidat du système.Trois jours avant le vote, il est parti avec sa petite famille passer un long week-end à Tunis. Mais cette fois-ci, il a décidé de voter pour le candidat qui n'a aucune chance. On lui a encore dit que Moussa Touati n'est pas le seul à n'avoir aucune chance mais la dernière réplique, il l'a gardée pour lui. Enfin, s'il a une dernière réplique.laouarisliman@gmail.com