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Quand l'Afrique devient «une illusion»



Quand l'Afrique devient «une illusion»
L'homme africain n'est pas au bout de ses peines. Pour l'ancien président français, Nicolas Sarkozy, cet homme n'était pas encore «entré dans l'histoire».Pour le cinéaste tchadien Mahamat Saleh Haroun, l'homme africain est rattrapé par l'impuissance, symboliquement sexuelle, dans son dernier film Une saison en France, projeté, vendredi soir, au petit théâtre de l'Opéra du Caire, à la faveur de la compétition officielle du 39e Festival international du film du Caire.
Après Un homme qui crie, l'un des ses précédents films, Mahamat Saleh Haroun revient avec un drame social qui peut porter plusieurs titres, L'homme qui pleure, L'homme en débandade, L'homme qui s'effondre, L'homme qui souffre... Pourtant, le propos du film est d'apparence généreuse, puisqu'il s'agit de dénoncer les conditions d'accueil et d'asile des personnes étrangères en France. Abbas Mahadjir (Eriq Ebouaney) est un enseignant de langue française qui a fui les violences dans son pays, la Centrafrique.
Il veut s'installer en France avec ses deux enfants, Asma (Aalayna Lys) et Yacine (Ibrahim Burama Darboe). Il engage alors une procédure pour avoir le statut de réfugié, mais qui s'avère longue, tortueuse, complexe et incertaine. Il trouve le soutien de Carole (Sandrine Bonnaire), avec qui il entretient une relation amoureuse forte.
Etienne (interprété par le jazzman centrafricain Bibi Tanga), un ami de Abbes, qui adore la littérature et qui vit sous une tente de fortune, sous un pont, cherche aussi à reconstruire sa vie en France. Il met de côté son instruction et sa culture pour occuper le poste d'agent de sécurité dans une boutique, alors que Abbes se lève, chaque matin, très tôt pour gagner sa vie dans un marché de fruits et légumes, sans abandonner la lecture. Sensible à la précarité de Abbes et de sa famille, obligés à chaque fois de changer d'appartement, Carole tente d'aider son amant avec l'idée d'avoir, à terme, un foyer stable.
Elle veut en finir avec le spectre de la solitude, alors que Abbes cherche à assurer, comme un père responsable, un avenir à ses enfants. Asma et Yacine, scolarisés, ne cessent de harceler leur père en lui posant des questions blessantes sur leur situation, pas claire à leurs yeux. Etienne, qui est lié à une Française d'origine maghrébine, rencontre le même blocage physionomique que Abbes. «Je suis fini», lui confie-t-il. L'amertume d'Etienne le pousse à dire à Abbes que la Centrafrique est «une illusion». «L'Afrique ' C'est une illusion», persiste-t-il. «Il n'y a plus de place pour le gens comme nous en France, il faut partir», conseille Abbes. «Moi, je reste ici», réplique Etienne, qui, plus tard, va commettre l'irréparable.
Un paradoxe que le cinéaste n'a pas visiblement vu. A travers ses dialogues, Mahamat Saleh Haroun offre un discours qui va au-delà du pessimisme sur l'Afrique, c'est presque de la haine de soi, devenue un trait de caractère chez certains cinéastes du continent ces derniers temps. Comme dans Timbuktu, du Mauritanien Abderrahamne Sissako, Une saison en France offre une image piteuse de l'Africain, abattu, peu combatif, résigné, assisté, passif, peu sûr de lui, hésitant, plaintif... Bref, une image honteuse et pitoyable.
«J'ai essayé de saisir la complexité des situations à travers les trajectoires de différents personnages qui n'ont pas eu d'autre choix que de fuir leur pays. Quel est le destin de ces hommes et femmes jetés sur les routes de l' exil ' Telle est la question qui court tout au long du film», a déclaré, dans une interview, Mahamat Saleh Haroun. Mais faut-il pour autant présenter le retour en Afrique comme impossible ' Et présenter la France, et l'Europe par extension, comme «la solution», «le rêve suprême» ' Le scénario, linéaire et prévisible, ne laisse presque rien à la magie cinématographique.
Le spectateur assiste à une histoire banale qu'un étudiant en cinéma peut résumer dans un court métrage. La scène figée de la célébration de l'anniversaire de Carole, avec un plan fixe ennuyeux par sa lenteur, pousse à plusieurs questionnements sur la démarche cinématographique actuelle de Mahamat Saleh Haroun, devenu ministre de la Culture et du Tourisme du Tchad, après avoir présenté, au Festival de Cannes en 2016, un documentaire dénonçant les atteintes aux droits humains et aux libertés de l'ancien président tchadien, Hissen Habré, Une tragédie tchadienne.
Cette démarche ne se renouvelle plus. Est-ce à cause du nouvel engagement politique ' Ou des financiers qui imposent souvent leur logique et leur vision aux cinéastes du continent ' L'idée en cours actuellement est de ne jamais montrer l'Africain capable de prendre en main son destin, de se battre dans son pays plus qu'ailleurs pour des conditions d'existence meilleures et pour les libertés politiques, sociales et culturelles.
Une saison en France n'échappe à cette règle, à ces stréotypes. Le réalisateur de Bye bye Africa (1999), en panne d'idées visiblement, a poussé l'opportunisme jusqu'à évoquer l'éradication du camp de migrants, La jungle de Calais, en octobre 2016. Mahamat Saleh Haroun reproche, en vrac, à l'Europe, de ne pas venir en aide aux réfugiés africains en faisant parler Abbes, qui a décidé de prendre le large. Il aurait pu simplement l'exprimer dans une interview ou dans un documentaire au lieu de le faire dans une fiction sans aucun relief ni aucune profondeur. Brutalement dit, Mahamat Saleh Haroun, qui compte pourtant parmi les valeurs sûres du cinéma africain, aurait pu éviter l'humiliation du navet.
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