Algérie

Potentiel et pépinière


Potentiel et pépinière
Un cinéma de courts métrages et de documentaires, hors du circuit professionnel, s'affirme actuellement. C'est ce que donnent à voir depuis quelques années les quelques rencontres consacrées à ces genres à travers le pays.Pour d'aucuns, il augure indéniablement d'un cinéma «Jdid» (nouveau), pour reprendre la formule pour le moins enthousiaste du regretté cinéaste Mohamed Bouamari au début des années quatre-vingts.Ce cinéma, qui le fait ' Avec quoi ' Comment ' Quelles sont ses caractéristiques thématiques et techniques ' Et en quoi serait-il «jdid» ' Quelques éléments de réponse auprès de spécialistes à la faveur des dernières Journées cinématographiques de Mostaganem. Il en ressort que ce cinéma est le fait de jeunes «cinéastes» n'ayant jamais fréquenté une quelconque école de cinéma ni même bénéficié de stages de formation.Rares sont ceux qui ont une culture cinéphilique et, pour la majorité d'entre eux, la relation au monde du septième art s'est élaborée sur la base de la télévision et des CD piratés. En outre, pour la plupart, l'accès au cinéma s'est effectué par le biais de l'informatique et la maîtrise de logiciels qui leur ont permis la maîtrise de la postproduction. Parallèlement, ils ont eu accès à l'amont grâce aux caméras numériques qui ont, en quelque sorte, popularisé la possibilité de tourner.Voilà donc pour l'essentiel le profil et les parcours de ces cinéastes en herbe. Mais leurs productions sont encore plus révélatrices. La programmation des Journées comportait une trentaine de films dont un tiers de documentaires. Chose remarquable, la plupart d'entre eux sont des films muets, donnant plutôt la parole à l'image.La langue usitée est celle de Shakespeare dans l'un, tandis que d'autres portent des titres anglais parce que leurs auteurs ciblent les festivals étrangers ou un débouché à l'international. «Les langues arabe et française, on s'en fiche même s'ils ne maîtrisent pas autant ou mieux l'anglais. Le carcan, ils le rejettent. De toutes façons, l'identité est inscrite dans la thématique et toutes les images des films», tranche un habitué des Journées.En fiction, tous les genres sont abordés, du drame le plus atroce à la comédie la plus loufoque en passant par le polar. En documentaire, cela va du scientifique à l'historique. Certains ? au moins deux ? sont inclassables, dont le somptueux Message to Obama par la beauté plastique de ses images.Navigant entre fiction et documentaire, Mohammed Mhamdi, son réalisateur, un jeune de Tindouf, prend prétexte d'une lettre fictive adressée au Président américain par un Sahraoui qui partage avec lui la même couleur de peau et le même nom (Barack) pour l'interpeller sur le sort des siens.Dans au moins cinq films, la religion et la métaphysique sont abordées sans tabou. Ainsi, Désolé de Harrat Abderrahmane met en scène une famille où l'amour des uns et des autres n'est pas gâché par leurs orientations religieuses contradictoires avec un fils revenu blessé de la lutte antiterroriste, un autre islamiste s'apprêtant à prendre le maquis, un père agnostique et une mère à la religiosité sincère. Suicide, de Redouane Beladjila, est un huis clos au story-board millimétré. Il a pour toile de fond l'immensité d'un paysage. Mais l'extériorité n'est qu'apparente.La caméra bouge à peine. On est dans une sorte de paix des cimetières où ne mènerait pas toujours le suicide selon le réalisateur. Tali, de Guelili Abdelhafid, s'attaque à la question de la finitude humaine sans verser dans le pathos. Il met en scène, à travers des images bien léchées et en plans serrés, l'usure des êtres par le temps avec, comme fond sonore, le tic-tac des horloges qui finissent par rendre l'âme elles aussi.Carrefour, de Najlaa Beldjenna et La voix du silence de Slimane Boubkeur, à travers des intrigues simples, disent combien l'amour est impossible lorsque des traditions se prévalant de la religion lui mettent des barrières.Le regard d'Abderrahmane Djelfaoui, cinéaste et auteur, nous fournit une première lecture de cette production : «Il y a plusieurs choses qui m'étonnent. Ces jeunes apportent d'abord la contradiction à tous ceux qui disent qu'il n'y a rien dans ce pays. Ensuite, ce qui est nouveau, c'est qu'on est en train de quitter le terrain de l'idéologie, des idées affirmées, des grands courants politiques et autres, pour aller vers un réel dramatique, un réel tragique, un réel inacceptable qu'on aborde par le biais de l'humain.Qu'on y réussisse ou pas, que le niveau technique ou esthétique soit élevé ou pas, cela ce n'est pas l'important. Ce qui l'est, c'est la tendance. Nous sommes en train d'aller vers nous-mêmes? Ils sont très jeunes, moins de 30 ans. Ils n'ont pas pour la plupart le même niveau de culture philosophique, littéraire, etc. que j'avais à leur âge, mais ils ont nettement plus de prédispositions que j'avais. Nous, nous avons bénéficié d'un bain culturel fabuleux mais, pour différentes raisons, nous avons mis du temps à murir sur le plan de l'expression. Ils sont déjà dans le tempo de ce qu'il faut dire».Sur les origines de ce phénomène, Halim Rahmouni, scénographe et cheville ouvrière des Journées mostaganémoises, a une idée : «Il a surgi juste après le 2e festival panafricain dont il a rendu compte par des projections au Cosmos à Riad El Feth. Hormis quelques chevronnés de la pellicule, j'avais remarqué la présence de jeunes inconnus au bataillon, âgés entre 20 et 25 ans. Au fil du temps, pas plus de cinq années, ces amateurs, dont nombre aspirent à passer au statut professionnel, ont commencé à faire leur cinéma avec le souci de la qualité. Il y a évidemment dedans beaucoup de quoi amuser les yeux comme disent les Américains.On peut estimer qu'un dixième seulement de leur production est d'une teneur thématique et esthétique assez conséquente. La faiblesse n'est pas véritablement technique, mais elle réside au niveau du scénario, de la direction d'acteur. La demande en formation est importante chez eux.Cette année, nos Journées ont accueilli 63 stagiaires en trois ateliers. La plupart viennent de Mosta, mais aussi de villes éloignées telles Tizi Ouzou, Biskra, Mila et même Tamanrasset ! Où voulez-vous qu'un jeune aille ' Il y a certes l'ISMAS (Institut supérieur des métiers des arts du spectacle de Bordj El Kiffan), mais y apprend-on le métier '»Le cinéaste algérien Salah Laddi, vivant en France, se dit agréablement surpris par le recours presque général aux «montages très vifs, très heurtés». Il ajoute : «Lors des débats, on a dit aux jeunes de respecter les codes. Le problème, c'est qu'il n'y a plus de codes dans les narrations. Aujourd'hui, on s'adresse plus à l'esprit.On fait des raccourcis. Les jeunes, en surfant sur internet, font comme ceux d'ailleurs. C'est peut-être une mauvaise chose que cette uniformatisation du regard qui gomme les spécificités. Pour ce qui est de la thématique, ils sont dans des sujets qui sont les leurs. Et, à mon avis, ce courant on ne pourra pas l'arrêter.Comme l'eau, il trouvera toujours des fissures pour passer.» Rachid Benallal, cinéaste, qui a assuré la sélection des films pour la compétition avec son collègue Ahmed Benkamla, est moins enthousiaste. Il nous parle notamment de l'atelier de formation en réalisation qu'il a encadré : «Je leur dis : sans culture, faut pas vous approcher et ne soyez pas, comme les mouches, attirés par la technologie. Dans le cinéma, il est simple d'être compliqué, mais compliqué d'être simple. Je leur conseille d'aller vers les choses épurées.Dès lors que l'on arrive à raconter une histoire, on peut passer à la curiosité technologique et les effets qu'elle permet. Il faudrait qu'ils aient un soubassement culturel.» Benkamla a un avis moins tranché. Il est épaté par la façon dont les tabous sont abordés, tels la question de la religion : «Je crois qu'ils ne sont pas bridés par l'autocensure que nous avons intégrée du fait de la censure.Mais, bizarrerie, si celle que nous subissions était institutionnelle, eux sont confrontés par celle portée par la pression sociale et celle des imams autoproclamés. Ils affrontent l'interdit au quotidien. Leur attitude est de bon augure. J'espère qu'ils vont continuer dans cette voie. L'outil audiovisuel s'est démocratisé, la voix de la connaissance et de la maîtrise des bases aussi. Internet ouvre mille portes pour tous les apprentissages en autodidacte, ce qui démocratise l'expression.»Sur la question de la supériorité du nombre de fictions par rapport à celui des documentaires, Halim Mekhancha, critique de cinéma et cinéaste, estime : «Le documentaire est un choix plus personnel.On aborde les sujets de façon plus frontale. Avec la fiction, ils se protègent. Il y a l'excuse que c'est de la fiction, sinon ils auraient plus de retenue dans le discours.Et puis, c'est aussi une façon de conjurer, de transcender le réel. Dans leurs docs, ce sont des sujets actuels. Ils ont moins de complexes à raconter, mais surtout ils ont une façon plus intéressante de traiter leurs sujets. Il y a de très bonnes intentions, mais parfois les messages ne sont pas aboutis.Dans le court métrage, on sent ce qu'ils veulent nous dire mais ils ne le montrent pas toujours. Il y a de l'audace dans le choix des thèmes, mais ils terminent leurs histoires avec des points de suspension.Ce sont ces points sur lesquels il faut se pencher parce qu'ils signifient qu'on s'impose quand même une certaine limite. Sur la religion, par exemple, ils n'ont pas d'avis tranché.Traits d'âmes de Réda Laghouati, qui est un hommage aux chouhada, met en avant leur humanité parce que comme ses pairs, le réalisateur a un lien moins direct avec la guerre. Il s'est fait un devoir de ne pas montrer leurs visages, de ceux qui les campent dans les reconstitutions.C'est une forme de respect.» Mais que pense notre interlocuteur de l'absence de formation préalable et de culture cinéphilique de ces cinéastes : «A mon avis, pour certains cela va être un handicap qu'on retrouve d'ailleurs dans nombre de courts métrages où l'on sent une énorme influence télé et du clip en particulier. Il y a eu même deux ou trois docs en forme de clip.Si nombre d'entre eux ne feront pas carrière dans le cinéma, les autres en ont l'étoffe. Ils sont vraiment passionnés et ont des choses à dire avec les qualités, mais aussi les défauts de la jeunesse.»Il y a là assurément les signes d'un formidable potentiel créatif mais, également, des insuffisances notoires qui méritent d'être prises en charge par un accompagnement en formation et un processus d'encouragement. Si nous sommes encore loin d'un cinéma «jdid», il existe bel et bien une pépinière.


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