Algérie - Revue de Presse


On le rencontrait au centre-ville d?Alger où il vivait et dont personne ne peut témoigner qu?il n?en soit jamais sorti. Couffin à la main, démarche étonnamment alerte, sourire permanent aux lèvres, élégance de gestes qui rappelait celle d?un prince déchu. Aïtou, de son vrai nom Ali Aïtouamar, faisait partie des personnages populaires de cette ville qui s?en vont pendant qu?elle se déglingue, moins sous le coup des outrages du temps que de l?inculture et des appétits fonciers. Aïtou était artiste peintre et chroniqueur, comme le signale le faire-part paru lundi dernier. En fait, il était une sorte de touche-à-tout habité par un vécu sans prétention de l?art et jamais il ne lui était venu à l?esprit qu?il devait « gérer » sa carrière d?artiste ou de journaliste. Pour lui, il ne s?agissait pas de métiers mais plutôt d?un mode de vie. Je l?avais connu à mes débuts dans la presse. Il était venu aussitôt me dire que je pouvais compter sur lui car il était redevable à mon père de l?avoir pris sous son aile au lycée d?Aumale (auj. Réda Houhou) de Constantine, dans ces dures années quarante où les rares Algériens qui avaient accès aux études, le devaient à des sacrifices terribles. A l?époque, il tenait la rubrique gastronomique d?Algérie Actualités, une chronique hebdomadaire qui restera un témoignage précieux du début des années quatre-vingt où la pénurie d?espoir n?avait pas encore été signalée parmi toutes les autres. Ces écrits, véritables bijoux de cultures, allaient de l?art culinaire à l?histoire culturelle, du patrimoine national à l?universel. Les gérants de restaurants étaient alors si jaloux de la réputation de leurs enseignes, qu?il était arrivé que l?un ou l?autre poursuive Aïtou dans les rues d?Alger, peut-être prêt à l?étriper pour avoir critiqué leur carte ou leur service. Ces cavales homériques animaient le petit monde de la presse d?une hilarité sans pareille. Aïtou connaissait de mémoire une quantité invraisemblable de poèmes qu?il déclamait avec talent. Conteur émérite, il était resté si enfant, qu?on doutait de son âge. Il aurait été heureux de participer au 2e Festival du Conte que l?association Le Petit Lecteur d?Oran organise dans cette ville (voir p. 24). Un des contes les plus célèbres au monde, « Le Petit Prince » de Saint-Exupéry, a été écrit en grande partie dans la librairie Edmond Charlot à l?ex-rue Charras d?Alger. Et l?aviateur-écrivain en a conçu une bonne partie lors de ses nombreuses escales à Oran au service de l?Aéropostale. Il était une fois Aïtou, un être fabuleux qui vivait dans une contrée lointaine. Pour prendre ses grandes vacances, il attendit celle des écoliers. Mais comme il était cancre dans l?âme, il les précéda de cinq jours. Il fut porté absent sur les registres de présence de la bêtise, pour sa grande fierté, il faut le dire.
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