Malgré le cessez-le-feu, les Gazaouis continuent de souffrir et de mourir. Bombardements, mais aussi pollution, inondations, maladies: l’enclave est «invivable», la nature sacrifiée avec la santé de ses habitants.
Beyrouth (Liban), correspondance
À Gaza, la pluie est une malédiction. La fin de la sécheresse, c’est le début des inondations: depuis deux semaines, des Gazaouis déplacés se retrouvent à patauger dans la boue après les premiers orages de la saison. «Ma tente est complètement inondée, l’eau vient de tous les côtés, on est obligés de rester debout la nuit, on ne peut pas dormir», se désole Um Hammad al-Kheissi, âgée de 53 ans. Cette mère de cinq enfants, vivant dans les décombres de la ville de Gaza, se retrouve face à une situation intenable.
«Mon fils a été tué il y a un mois, c’était lui qui assurait notre survie. Maintenant, je dois prendre soin de ses 4 enfants, de sa belle-famille, et de mes 4 filles dont les maris ou proches ont aussi été tués — que Dieu les garde», dit-elle. Alors qu’une de ses filles est enceinte, elle ne sait pas «comment la faire accoucher dans la boue, sur le sol».
Presque deux mois après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu entre le Hamas et Israël, la quasi-totalité des Gazaouis vit dans des tentes ou des décombres, dans une zone réduite de l’enclave palestinienne. Israël garde la main sur plus de la moitié du territoire, et continue de restreindre l’accès à l’aide humanitaire et à la reconstruction, procédant quotidiennement à des bombardements. Presque 70.000 Gazaouis ont été tués depuis le 7 octobre 2023, dont 340 en dépit de l’accord — incluant le fils d’Um Hammad al-Kheissi.
- Gaza, une décharge à ciel ouvert
Les survivants se retrouvent à vivre dans un «no man’s land sacrifié et ravagé», selon Lama Abdul Samad, ingénieure du secteur de l’assainissement et de l’hygiène (Wash) dans l’équipe humanitaire globale d’Oxfam. 93 % des tentes ont déjà été ravagées par des inondations.
«L’eau qui inonde les tentes est chargée d’eaux usées et de déchets — les Gazaouis sont hautement exposés à des matières fécales, explique celle qui a été chargée de la réponse d’urgence sur le plan sanitaire dès le début de la guerre à Gaza. Je ne connais pas les intentions militaires israéliennes, mais la quasi-totalité de ce secteur stratégique a été systématiquement détruite.»
. Le long des routes à Gaza, des feux remplissent l’air d’une épaisse fumée. © Oxfam / Ruth James (Voir photo sur site ci-dessous)
Un constat partagé par Niku Jafarnia, chercheuse au sein de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch. «Les forces israéliennes ont délibérément détruit au moins 4 des 6 stations d’épuration des eaux usées de Gaza, et le CMWU [institution municipale gazaouie pour l’assainissement] a déclaré qu’elles avaient également détruit la majorité des stations de pompage des eaux usées», fustige-t-elle. Celles qui subsistent sont «en grande partie inutilisables depuis deux ans en raison des blocages et des restrictions imposés par les autorités israéliennes sur l’entrée du carburant nécessaire à leur fonctionnement», ajoute-t-elle.
- Maladies graves
En conséquence, des maladies comme la polio, l’hépatite A, la diarrhée aiguë et peut-être même le choléra peuvent se transmettre facilement. Human Rights Watch a constaté que des milliers de Palestiniens à Gaza sont probablement morts des suites de malnutrition, de déshydratation et de maladies, bien que ces décès ne fassent pas l’objet d’un suivi ou d’un signalement systématique.
Cet été, un quart de la population gazaouie a souffert de ces infections hydriques, explique également Lama Abdul Samad: «Or, elles sont vraiment terribles pour les malades, qui sont extrêmement affaiblis et n’ont plus la force d’aller chercher de la nourriture ou de l’eau: cela met leur survie à risque.» Et ce, alors qu’aucun des 36 hôpitaux de l’enclave n’est pleinement opérationnel.
«D’innombrables feux gigantesques brûlent du plastique»
«Il faudra des années pour reconstruire le secteur. Mais si les obstructions d’aide et de matériaux pour la reconstruction continuent, les conséquences pour la population seront dramatiques», avertit-elle.
Les forces et les autorités israéliennes doivent autoriser l’acheminement massif de matériaux, d’aide humanitaire et de médicaments vers Gaza, «mais elles continuent de restreindre et de bloquer la quasi-totalité des ressources nécessaires à la reconstruction», accuse également Niku Jafarnia. «Nous estimons que ces blocages sont des actes génocidaires qui ont déjà causé la mort de milliers de personnes. Et tant qu’ils se poursuivront — ce qui est le cas —, nous ne pouvons qu’imaginer que des milliers d’autres personnes continueront d’être tuées de cette manière.»
- Pollution et déchets
L’environnement dans lequel vivent les Gazaouis se retrouve ainsi sacrifié pour des décennies. 84.000 tonnes d’eaux usées non traitées et de produits chimiques seraient rejetées chaque jour dans la Méditerranée à cause du manque d’infrastructures: un désastre pour les écosystèmes marins et la pêche. Outre les eaux usées, il y a le problème des déchets qui s’accumulent sur au moins 350 décharges à ciel ouvert — souvent situées à proximité de tentes des déplacés. «Les déchets organiques produisent des lixiviats qui s’infiltrent dans le sol, polluant la nappe phréatique et, par conséquent, l’eau potable des Gazaouis», explique Lama Abdul Samad, d’Oxfam.
Les bombardements ont généré 60 millions de tonnes de débris, certains contaminés à l’amiante. Les métaux lourds et composés chimiques des bombes s’infiltrent eux aussi dans le sol et dans l’air, qui est souvent irrespirable. Des vidéos fournies par Oxfam montrent des feux qui remplissent l’air d’une épaisse fumée noire, le long des routes encore praticables.
«Comme aucun carburant n’a été importé dans le pays depuis si longtemps, d’innombrables feux gigantesques brûlent du plastique afin de créer une sorte de carburant de contrebande pour faire rouler les voitures et les camions... Ces feux sont principalement entretenus par des enfants», témoigne une autre employée de l’ONG, souhaitant rester anonyme.
Cogat, l’autorité israélienne en charge d’administrer les territoires palestiniens occupés, affirme à Reporterre mener des projets d’assainissement dans l’enclave, «notamment en coordonnant l’enlèvement des déchets et l’entrée d’équipements spécialisés». Quant à l’aide humanitaire, elle assure qu’«Israël s’engage à respecter pleinement son obligation de transférer les camions», et que chaque jour «des centaines de camions entrent dans la bande de Gaza» avec des denrées.
Air, sols, mer, nappes phréatiques: alors que l’ensemble des écosystèmes Gazaouis sont contaminés, l’espoir vient des quelques terres agricoles encore debout, de projets qui visent à nettoyer la terre. Les Gazaouis ont devant eux le travail d’une vie.
Photo: Des Palestiniens travaillant sur des machines qui extraient du carburant à partir de plastique recyclé près du port de Gaza, le 13 novembre 2025. - © Majdi Fathi / NurPhoto / NurPhoto via AFP
Par Philippe Pernot
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Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Philippe Pernot - 26 novembre 2025
Source : https://reporterre.net/