Algérie - Biodiversité

Planète - Les animaux et nous: Les animaux malades de l'espèce humaine




Planète - Les animaux et nous: Les animaux malades de l'espèce humaine




La journaliste Elizabeth Kolbert est une spécialiste de la disparition des espèces, qu'elle observe en parcourant la planète. Elle dénonce l'attitude mortifère de l'homme. Et alerte sur la sixième extinction imminente.

C'est beau, un monde qui disparaît. Elizabeth Kolbert admire la vue tous les jours de sa fenêtre. Le ciel bas, les arbres s'accrochant à leurs dernières feuilles, la montagne qui résiste au loin. On se croirait un peu dans le décor de la série Les Revenants, au détail près qu'ici ceux qui partent ne reviennent jamais. Il y a trois cents ans, aux alentours de Williamstown (Massachusetts), «la forêt était remplie d'animaux. Aujourd'hui elle se vide, beaucoup d'espèces se sont éteintes. La faune et la flore s'amenuisent, je le constate tous les jours». Une fois par an, la journaliste américaine, plume réputée du New Yorker, visite une grotte à quelques kilomètres de chez elle – où 90 % des chauves-souris ont disparu en moins de dix ans – et dresse le bilan du carnage. Son métier consiste à répertorier les victimes, puis à donner un peu de sens à tout cela, si possible en racontant des histoires.

Elle s'y est rendue la première fois en 2008, découvrant sous ses semelles des centaines de cadavres de volatiles, victimes d'un champignon importé de l'étranger. Elle venait de lire, dans le National Geographic kids de ses fils – des jumeaux, aujourd'hui âgés de 17 ans –, qu'un phénomène comparable décimait les grenouilles du Panama. Depuis, elle s'est renseignée, a proposé un reportage pour son journal, et s'est ainsi retrouvée à traverser la forêt amazonienne «à coups de machette» pour traquer les amphibiens évaporés. Très vite, sa curiosité a changé d'échelle: au fil de ses lectures, elle est tombée sur cette étrange notion (pour ne pas dire terrifiante) de «sixième extinction», qui deviendra bientôt le titre de son livre, un best-seller mondial (200.000 exemplaires aux Etats-Unis, plus de douze traductions, prix Pulitzer du meilleur essai en 2015, des éloges de Bill Gates, de Barack Obama et une pleine page dans le New York Times signée par Al Gore !).

10 % de la faune risque de s'éteindre sur vingt ans

Pour rappel, la planète a connu cinq extinctions majeures d'espèces animales. La première a eu lieu il y a quatre cent cinquante millions d'années. La troisième (deux cent cinquante millions) «a failli provoquer l'élimination pure et simple de toute forme de vie sur terre». La dernière remonte à soixante-six millions d'années (c'est celle-là qui a anéanti les dinosaures). Ensuite, plus rien – la trêve –, jusqu'à ces récentes disparitions d'animaux, d'une rapidité inédite (cent fois plus vite que par le passé), qui pourraient figurer les prémices d'une sixième extinction, causée par l'activité de l'homme, et qu'Elizabeth Kolbert s'est piquée d'analyser au microscope pendant cinq ans. Le résultat est on ne peut plus alarmant: un tiers des amphibiens seraient menacés de mort, un quart des mammifères, un sixième des oiseaux, etc. En tout, plus de dix pour cent de la faune actuelle s'éteindrait en une génération. Un tel événement se produit en général tous les cent millions d'années, et beaucoup plus lentement, et voilà que nous avons la (mal)chance d'«y assister en direct», relève la reporter dans un demi-sourire.

Elizabeth Kolbert – «Betsy», comme l'appellent ses proches – est elle-même une espèce rare. Journaliste passionnée, rigoureuse, aventurière et vorace. Pour son enquête, elle a lu deux cent onze ouvrages scientifiques, rencontré quantité de chercheurs, appris à maîtriser les subtilités du jurassique et du crétacé, à déchiffrer les fossiles d'ammonites. Elle a aussi voyagé dans le monde entier pour vérifier sur place, comme elle a appris à le faire au New York Times (où elle a officié pendant quatorze ans, au service politique puis au bureau d'Albany). En Amérique du Sud, elle a croisé des singes hurleurs et des tarentules. Sur la Grande Barrière de corail australienne, elle a aperçu des concombres de mer «de la taille de traversins» et des tortues aussi «grosses que des baignoires». Elle a plongé au large de Naples, en janvier, «par un froid glacial», pour étudier l'acidification de l'eau. A mâché des feuilles de coca au Pérou et interrogé, à San Diego, une zoologue qui masturbait sous ses yeux une corneille d'Hawaï !

Elle-même a quelque chose d'aquilin, un profil sec, anguleux. C'est une sorte d'oiseau perché sur sa chaise qui répond à nos questions sur son travail (colossal), aussi angoissant sur le fond que divertissant dans sa forme, avec des développements savoureux sur Darwin ou Cuvier (le premier à avoir eu l'intuition des phénomènes d'extinction). Du pur journalisme narratif à l'anglo-saxonne où l'analyse la plus pointue est contrebalancée par le récit fantasque de ses expéditions auprès de chercheurs « à la fois drôles et tragiques, héroïques et impuissants, d'une détermination admirable ».

“La politique écologique américaine est encore aujourd'hui un désastre.” Elizabeth Kolbert

Le journaliste David Remnick l'a justement embauchée au New Yorker en 1999 pour cet «esprit mordant», pince-sans-rire. Betsy ne dit pas le contraire: «Je suis une grande fan d'humour noir, j'adore les comédies désenchantées.» Avec notre planète, elle est servie. A l'origine, elle devait simplement écrire des portraits de ministres ou de sénateurs du pays. La question de l'environnement – son actuelle spécialité – s'est imposée plus tard, lorsque le gouvernement Bush a refusé de signer le protocole de Kyoto (en 2005) sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. «Je commençais à me lasser du journalisme politique, où les infos étaient périmées d'une semaine sur l'autre, je voulais écrire des histoires qui s'inscrivaient dans la durée. L'attitude choquante du président Bush, niant l'impact de l'homme sur le climat, a été un déclic.» Elle qui s'est forgé une conscience écolo au lycée («J'ai monté un projet de recyclage de canettes à la cafétéria!») s'est envolée vers l'Arctique pour constater d'elle-même les dégâts causés par le réchauffement climatique. Elle en a tiré une retentissante série en trois volets, ainsi qu'un essai (Field Notes from a catastrophe, 2006), multirécompensé.

«A l'époque, je pensais un peu naïvement que la prise de conscience de l'opinion publique pourrait faire fléchir la politique du gouvernement. Or je suis devenue plus sceptique. En dix ans, notre société a été informée de la situation et rien n'a bougé: la politique écologique américaine est encore aujourd'hui un désastre.»

Barack Obama a lu son livre cet été, pendant les vacances, et en a dit le plus grand bien autour de lui.

«A la toute fin de son second mandat, il semble enfin avoir un peu de considération pour l'environnement ; j'aime penser que mon livre y est peut-être pour quelque chose, mais je ne me fais pas trop d'illusions. Les lobbys du charbon, du pétrole et du gaz sont encore très puissants, et les républicains qui se préparent pour l'élection présidentielle sont encore pire que ceux de la période Bush – Trump, c'est un retour à la préhistoire!»

Il y a un lien incontestable entre l'activité humaine et l'actuel déclin de la biodiversité. Déforestation, pollution des océans, surpêche, engrais chimiques, émissions de gaz carbonique, etc. Si les dinosaures ont disparu à cause de la chute d'un astéroïde, entraînant une importante modification du climat, l'homme porte cette fois la responsabilité de sa propre extinction.

«Aujourd'hui, nous sommes l'astéroïde», résume la journaliste.

Sa maison donne sur le mont Greylock, le point culminant du Massachusetts (1.064 mètres). Du sommet, on peut voir cinq Etats (du Vermont au Connecticut en passant par New York et le New Hampshire). Ce n'est pas vertigineux mais suffisant pour prendre de la hauteur. Elizabeth Kolbert n'en manque pas. Lucide, fataliste jusqu'au sarcasme, elle refuse de basculer dans le discours militant. «Je n'ai pas de programme, aucune solution à proposer, il faudrait cent ans pour résoudre le problème. Je décris simplement la situation. Mon rôle consiste à mettre les gens au courant. Le savoir est une fin en soi. Pour l'action, il revient à d'autres de prendre le relais.» Elle pense notamment à Christiana Figueres, vaillante secrétaire des Nations unies sur le changement climatique, qu'elle a suivie en Allemagne au printemps dernier pour un portrait dans le New Yorker («The woman who could stop climate change»). C'est là-bas qu'elle a appris l'annonce du Pulitzer (l'équivalent de notre prix Albert-Londres) ; des amis l'ont prévenue par mail, alors qu'elle regardait un épisode des Simpsons seule dans sa chambre d'hôtel ! La récompense, alliée à un passage télé décapant dans le Daily show de Jon Stewart, a ensuite fait s'envoler les ventes.

“Le monde n'est pas uniquement fait pour nous, les humains” Elizabeth Kolbert

Depuis, elle est partie un an en Italie pour accompagner son mari, John Kleiner, professeur de littérature médiévale, spécialiste de Dante. Avant de revenir très récemment au calme, dans leur contrée des Berkshires, où ils habitent depuis vingt-cinq ans. Il n'est jamais loin d'elle (précisément dans la pièce voisine, en train de regarder un match de foot). Elle dit avoir écrit le livre «avec lui et pour lui». Originaires de Larchmont (banlieue nord de New York), tous deux enfants de médecins (dans le Bronx), diplômés de Stanford (lui) et de Yale (elle), ils partagent ce goût pour la littérature – qu'il enseigne au prestigieux Williams College – et la nature. Cette double passion semble le fruit d'une tradition locale. Herman Melville a écrit Moby Dick à quelques kilomètres d'ici. Le mont Greylock a également inspiré Nathaniel Hawthorne (auteur de La Lettre écarlate) et Henry David Thoreau, philosophe naturaliste qui a théorisé la vie simple et la désobéissance civile. Pendant que John annote Virgile et Shakespeare, Betsy relit Rachel Carson (la première biologiste à avoir dénoncé l'utilisation des pesticides dans les années 1960). Sa science de l'écriture – mélange d'ironie douce et de précision chirurgicale – est l'une des forces de son essai.

«Elle a une faculté hors du commun à emporter le lecteur avec elle», reconnaît le paléontologue Pascal Tassy, qui lui a fait visiter le Muséum national d'histoire naturelle à Paris pour son enquête. Chaque jour, elle observe la dizaine de poules du jardin (les fermiers voisins élèvent des alpagas), puis se met au travail, profitant de pouvoir s'exprimer avant une autre extinction, qui serait celle de la presse. «Je n'ai qu'un seul message à faire passer: le monde n'est pas uniquement fait pour nous, les humains. Pourquoi une seule espèce pourrait priver les autres d'exister?»

En nous raccompagnant à notre voiture, garée à côté de la sienne (une Toyota Prius, hybride, évidemment), elle dit une dernière chose: «Faites attention aux skieurs!» En levant les yeux, on aperçoit effectivement une trentaine de sportifs sur la route, perchés sur d'étranges rollers, vêtus d'un gilet jaune de sécurité, poussant sur des bâtons. La scène est absurde, presque irréelle. Si l'on en est réduit à pratiquer le ski de fond sur des roulettes, faute de neige, n'est-ce pas le signe qu'il commence à y avoir un sérieux problème avec le climat?

A lire

La 6e Extinction. Comment l'homme détruit la vie, éd. La Librairie Vuibert, 352 p., 21,90 €.





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