Algérie - Biodiversité

Planète - Le monde vivant s’effondre et nous regardons ailleurs



Planète - Le monde vivant s’effondre et nous regardons ailleurs


La 14e «COP» de la biodiversité se tient du 17 au 29 novembre à Charm el-Cheikh, en Égypte. Longtemps, la politique de protection de la nature s’est intéressée principalement aux grands mammifères sauvages, aux oiseaux migrateurs, aux baleines et aux tortues marines parmi d’autres espèces emblématiques, ainsi qu’à leurs habitats et aux milieux naturels de grande richesse écologique.

Le concept de biodiversité, bien plus englobant, n’est apparu qu’au cours des années 1980. Il a trouvé sa traduction juridique à l’échelle de la planète dans la Convention sur la diversité biologique (CDB) de 1992 et, en France, dans une loi de 2016. Il vise, au-delà des espèces et milieux emblématiques, à se préoccuper de l’ensemble du vivant, des bactéries aux écosystèmes.

La politique de protection de la nature a connu ses succès, avec le sauvetage de nombre d’espèces et la création de parcs et réserves, et ses échecs, notamment la disparition d’espèces de grands mammifères sauvages en Afrique. Quant à la biodiversité, elle a tardé à trouver sa concrétisation en termes de politiques publiques.

Une érosion (un peu) moins silencieuse, mais…

Des publications scientifiques récentes montrant l’effondrement de populations d’insectes, d’oiseaux communs, de batraciens, de reptiles, de papillons… ont eu un certain écho dans l’opinion, qui semble aujourd’hui plus sensible à cette érosion silencieuse, qui se déroule loin des caméras. Car la biodiversité animale et végétale recule partout, avec ses réactions en chaîne.

De la dégradation des organismes vivants dans la terre à la quasi-disparition des insectes sur les pare-brise, on arrive à la raréfaction des oiseaux de nos campagnes ; de la mort des coraux à la diminution du stock de poissons, etc. Cette perte du vivant fragilise et dégrade la chaîne alimentaire, sur terre et dans la mer. Au final, l’ensemble des ressources et services que la planète procure à l’humanité est impacté, sans oublier les effets néfastes pour le climat de cette dégradation de tous les écosystèmes.

L’échec des Etats est chronique

Les impacts s’observent partout, mais ils sont le plus souvent peu visibles, multiples et protéiformes, difficilement quantifiables. La perte de la biodiversité est bien plus complexe à mesurer que le changement climatique et les émissions de gaz à effet de serre. Cette complexité ne saurait toutefois être un prétexte pour ne pas avancer, d’autant que les connaissances scientifiques dans ce domaine apportent des arguments solides. Les États ne rechignent d’ailleurs pas à se donner des objectifs ambitieux pour protéger la biodiversité, si multiforme soit-elle, si complexes soient les enjeux. Mais ils ne parviennent pas à les atteindre, et l’échec est chronique.

Les enjeux de Charm el-Cheikh

Poser les bases d’un nouveau fonctionnement de la gouvernance internationale de la biodiversité est du coup indispensable. C’est le chantier auquel s’attaqueront en Egypte ces deux prochaines semaines les délégations présentes à la 14e Conférence des Parties (COP) signataires de la Convention sur la diversité biologique (CDB). Cette COP14 doit permettre de lancer l’élaboration du cadre qui succèdera aux Objectifs d’Aichi, que les États s’étaient fixés lors de la COP de 2010 à Nagoya (Japon). Ce qui va se discuter en Égypte en ce mois de novembre est donc majeur.

Il faut transformer les modes de production, d’aménagement et de consommation

En effet, les «maladies» dont souffre la biodiversité sont bien connues: surexploitation des ressources, pollutions, changement d’occupation des sols, invasions d’espèces et changement climatique. Leurs causes renvoient en grande partie à nos modèles de production et de consommation: surpêche, intensification agricole, extension des surfaces cultivées, croissance urbaine non maîtrisée, etc.

De même, les leviers d’action sont clairement identifiés: transformer ces modes de production, d’aménagement et de consommation. Cela passe par des pratiques agricoles respectueuses des sols, avec beaucoup moins d’intrants chimiques, par un contrôle de l’étalement urbain et de l’artificialisation des sols, par l’engagement des entreprises à ne pas éroder davantage la nature ou à la restaurer, ou encore par des changements de pratiques dans la consommation alimentaire ou de produits industrialisés. C’est en partie parce que ces changements ne sont pas ou insuffisamment engagés que la biodiversité continue de se dégrader.

Des discussions à cadrer d’urgence

Comme pour le climat, les scientifiques ne cessent sonner l’alarme. Il est temps que la mobilisation s’amplifie, à tous les niveaux, des citoyens aux entreprises, en passant par les ONG. Cette mobilisation doit irriguer les négociations internationales, et atteindre les gouvernements et décideurs politiques. Il faut que les États s’impliquent et y soient représentés au plus haut niveau, sans attendre la publication, ces prochains mois, de deux rapports importants1 qui confirmeront la gravité de la situation.

Il n’y a toujours pas de projet concret sur la table des négociations

Face à l’échec annoncé de l’atteinte des cibles actuelles2, il faut que les discussions de Charm el-Cheikh permettent d’identifier les principaux obstacles auxquels ont fait face les approches mises en œuvre jusqu’à maintenant, les activités et les secteurs en cause dans la perte de biodiversité et cibler les transformations à y apporter.

Elles doivent permettre de clarifier comment chaque État s’engage pour cesser la dégradation de sa propre biodiversité terrestre, de celle qu’il «importe» par la mondialisation des échanges et de celle qu’il provoque dans les océans. Les décisions devront être validées lors de la COP15 à Beijing en 2020. Il ne reste que deux ans, mais il n’y a toujours pas de projet concret sur la table des négociations. La COP14 en Égypte est donc cruciale pour cadrer au maximum les discussions et en délimiter les contours. Ce n’est pas demain, c’est aujourd’hui.


Aleksandar Rankovic, coordinateur Gouvernance internationale de la biodiversité post-2020 à l’IDDR et Yann Laurans, directeur du programme biodiversité à l’IDDRI.


1. L’évaluation mondiale de l’état de la biodiversité sera publiée par l’IPBES au printemps 2019, et celle du Global Biodiversity Outlook 5 par la CBD au printemps 2020.

2. Les objectifs adoptés en 2010 visaient entre autres pour 2020 : réduire au moins de moitié, ou lorsque c’est possible à près de zéro, le taux de perte d’habitats naturels, y compris les forêts ; protéger 17 % des zones terrestres et des eaux continentales et 10 % des zones marines et côtières.



ALEKSANDAR RANKOVIC ET YANN LAURANS
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