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Planète - France: Yann Arthus-Bertrand «J’ai arrêté de faire la leçon aux autres»



Planète - France: Yann Arthus-Bertrand «J’ai arrêté de faire la leçon aux autres»




Le grand entretien. L’auteur de «La Terre vue du ciel» vient d’ouvrir au domaine de Longchamp, à Paris, la fondation GoodPlanet (*), un lieu «dédié à l’humanisme et à l’écologie». Franc et sans détours, le photographe revient pour nous sur son engagement personnel, ses erreurs passées, son côté «écolo-/bobo» et sa perception des évolutions du monde.

- Vous avez installé en mai dernier, au cœur du bois de Boulogne, la fondation GoodPlanet. Que représente cet endroit pour vous?

Yann Arthus-Bertrand: «On a voulu créer un lieu consacré à l’écologie et à l’humanisme, parce que ce sont deux valeurs qui sont intimement liées. En fait, cet endroit regroupe tout ce que j’aime: la nature, le partage, la découverte de l’autre. Il y a des expositions, des ateliers, on accueille des ONG... C’est un lieu où l’on parle d’amour, de vivre ensemble, ou je veux qu’on se débarrasse de ce scepticisme ambiant, de cette manie qu’on a de ne croire en rien.»

«UN MEC COMME NICOLAS HULOT FERA UN TRÈS BON MINISTRE»

- Avez-vous l’impression que la question écologique est enfin intégrée au débat politique?

«Je n’en suis pas vraiment sûr. Mais je pense qu’un mec comme Nicolas Hulot fera un très bon ministre. Parce qu’il va avaler des couleuvres, qu’il va s’emmerder sur des dossiers, mais qu’il ira jusqu’au bout. Il n’a pas attendu d’être en position de changer les choses pour s’aplatir à la première difficulté.»

- Vous-mêmes, avez-vous été approché? Pourriez-vous vous lancer en politique?

«Oui, mais je ne suis pas fait pour ça. Un ancien ministre m’a dit récemment «La méchanceté est une qualité chez un homme politique.» Voilà...»

- Ressentez-vous une prise de conscience des enjeux écologiques et humains au sein de la population?

«J’ai au contraire l’impression que les gens ne sont pas dans le vrai. Qu’ils pensent que tout cela est un mauvais moment à passer. Que la biodiversité va être sauvée, que le réchauffement va être stoppé, qu’on a la solution à tout. Alors que nous vivons la sixième extinction des espèces! Ce qui est étonnant c’est que tout ce qui arrive aujourd’hui était prévu: la surpêche, le réchauffement climatique, les réfugiés... On était au courant de tout cela et on a laissé faire.

- Imaginiez-vous que le phénomène des migrants, sur lequel vous travaillez, pourrait prendre une telle ampleur?

«Oui, mais peut-être pas dans ces proportions. Or, je pense que ça va être bien pire, qu’on vit aujourd’hui quelque chose qui n’est rien par rapport à ce qui va arriver, avec des gens qui vont se déplacer par millions. Parce que tout le monde va vouloir vivre dans un pays comme le nôtre, qui est un paradis, où on a la démocratie, la santé, l’éducation, la protection... Evidemment, quand on n’a pas tout ça, on part. On ferait tous pareil! Depuis que le monde est monde, c’est la ronde infernale des gens qui vont chercher mieux ailleurs. Et c’est encore plus compliqué quand on est sept, huit, neuf milliards. Quand je suis né, on était deux milliards d’êtres humains, vous vous rendez compte?»

- Votre film Human, actuellement projeté à la fondation, donnait la parole à 2.020 personnes interviewées dans 60 pays. Lequel de ces témoignages vous revient spontanément en mémoire?

«Il y en a plein. Mais je pense à celui d’un petit garçon, un «enfant sorcier» que sa famille accuse de porter le mauvais œil, qui a été chassé et vit donc dans la rue, auquel on demande quel est le sens de la vie. Et il répond: «On a tous une mission sur Terre. A moi de trouver la mienne.» C’est tellement fort, tellement brillant... Si on avait tous cette conception de la vie, on changerait le monde!»

- Vous croyez qu’on peut le changer de cette manière?

«Je crois que l’amour peut changer les choses et les gens. Et plus je vieillis, et plus j’aime les gens.»

- Normalement, on devient un tantinet misanthrope en vieillissant...

«Moi, c’est le contraire. J’ai envie de devenir meilleur. Et en aimant les gens, on devient meilleur.»

«J’AI FAIT DES CONNERIES, COMME AVEC LE QATAR»

- Avez-vous l’impression que cette approche est partagée par le plus grand nombre?

«Non, mais c’est parce que les gens n’ont pas compris. Pas compris qu’en donnant à l’autre on se fait aussi du bien à soi. Pas compris qu’on reçoit autant qu’on donne. Après, peut-être que je le vis comme ça parce que j’ai eu la chance de voyager, de réussir professionnellement, d’être financièrement à l’aise. J’ai cette chance-là, c’est vrai. C’est aussi pour ça que j’ai arrêté de faire la leçon aux autres.»

- Vous bénéficiez, avec Nicolas Hulot et quelques autres, d’un «traitement de faveur» de la part de certains militants et médias qui vous accusent de faire de « l’écologie business». Comment le prenez-vous?

«Je me suis rendu compte que ce discours moralisateur que je tenais, qui consistait à dire «Moi je fais, vous vous ne faites rien», n’était pas la bonne façon d’aborder les choses. Le journaliste qui m’interroge, qui est un peu cynique, un peu désabusé, qui ne gagne pas bien sa vie, ça va le gonfler et ça va se ressentir. En ce qui concerne les militants écolos purs et durs, c’est différent. Ils me haïssent parce que je travaille avec la BNP et d’autres grandes boîtes, quand eux sont dans la décroissance. Mais je les respecte pour ça, parce qu’ils vivent leur décroissance. Ils font quelque chose. Donc, ils ont le droit de me critiquer. Et puis je dois reconnaître aussi que j’ai fait des conneries, comme avec le Qatar, alors que je croyais bien faire (1).»

- Parlez-nous de votre projet Woman, qui donne la parole à des femmes du monde entier?

«75 % des gens les plus pauvres dans le monde sont des femmes, 75 % des illettrés sont des femmes, quand une femme travaille elle donne 90 % de son salaire à sa famille alors qu’un homme en reverse 40 %... Et tout cela perdure, alors que les pays où la parité est respectée sont ceux où l’indice de bonheur est le plus élevé. On s’avance dans un monde de plus en plus compliqué, et je crois qu’il faut qu’on ait plus de femmes au pouvoir. Parce qu’elles ont le sens du devoir et du courage, peut-être aussi moins d’égo que les hommes... D’ailleurs, faire ce film m’a amené à regretter de ne pas avoir plus parlé à ma mère. Pour m’excuser de ne pas avoir compris à quel point elle était importante chez moi. Pour moi, c’était mon père qui dirigeait, alors qu’en réalité c’était elle. Et je ne l’ai pas compris.»


(1) Il avait soutenu la candidature du Qatar, par ailleurs sponsor du film Human, à l’organisation de la Coupe du Monde de football en 2022, avant de regretter publiquement ce choix.

(*) Fondation GoodPlanet, carrefour de Longchamp, Paris 16. www.goodplanet.org. Entrée gratuite du lundi au dimanche.

Photo: «Je crois que l’amour peut changer les choses et les gens. Et plus je vieillis, et plus j’aime les gens» (photo Erwann Sourget)

Paris Normandie



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