Algerie - Randonnées

Planète (France/Europe) - Santé mentale: la randonnée comme «processus de guérison»


Planète (France/Europe) - Santé mentale: la randonnée comme «processus de guérison»
Autour de Marseille, le projet En passant par les calanques organise des randonnées avec des personnes socialement isolées ou souffrant de troubles psychiques. De quoi se reconnecter aux autres et leur redonner confiance en elles.

Les 1.001 vertus de la randonnée [2/4] En montagne comme en bord de mer, pour (re)découvrir plantes, animaux... ou soi-même, la randonnée est un inépuisable outil d’émancipation et de reconnexion au vivant.

Cassis (Bouches-du-Rhône), reportage

Ici, pas besoin de grimper pendant des heures avant d’apercevoir le paysage grandiose. Sur le belvédère au départ de la randonnée, tandis que certains s’étalent de la crème solaire, les autres admirent la vue sur la baie de Cassis. Depuis les falaises, les eaux turquoise de la mer Méditerranée s’étendent en contrebas, encadrées par les plages de Cassis et les reliefs escarpés des calanques de Port-Miou et de Port-Pin, au loin.

«Ça va être encore plus beau ensuite», promet Alexandra, formatrice en santé communautaire et fondatrice d’En passant par les calanques. Depuis 2022, ce projet propose à des personnes isolées socialement, vivant avec des troubles psychiques — dépression, stress post-traumatique — ou qui préfèrent simplement marcher en groupe plutôt que seules, de faire des randonnées dans les calanques, entre 4 et 6 fois par mois.

Porté par l’association marseillaise Just, le dispositif repose sur l’idée que la nature et l’aventure aident les personnes à se reconnecter aux autres. Cet hiver, un séjour en raquettes a aussi été organisé près de Gap (Hautes-Alpes).

. Jean-Claude, le guide de la randonnée, ouvre le chemin devant Maria et Murielle. © Marine Guizy / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

Ce samedi de mi-juin, elles et ils sont une quinzaine de marcheurs, qui se sont acquittés d’un prix d’entrée de 3 euros — les personnes ne pouvant pas payer ne sont pas tenues de le faire. Au programme de ces 5 km, «il y aura des montées et des descentes, ça va être un peu les montagnes russes et il va faire chaud», prévient Jean-Claude, membre du Club alpin français, qui encadre la sortie.

- Retrouvailles entre habitués

Avant de se mettre en route, Mathieu, éducateur spécialisé, sociologue et membre de l’association, invite tout le monde à choisir une image parmi les cartes proposées pour exprimer son émotion. «L’idée aujourd’hui est de se demander quelles capacités avons-nous développées avec En passant par les calanques? Et quelles capacités souhaiterions-nous davantage renforcer?» précise-t-il.

. Les participants à la randonnée cherchent une carte qui définit leur émotion au début de la journée. © Marine Guizy / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

Le thème donné, chaque marcheur se trouve un binôme et s’élance. La plupart se connaissent déjà, Christophe vient presque à chaque session depuis le mois de février. En dépression depuis deux ans, c’est son psychiatre qui lui a conseillé de participer à En passant par les calanques. «Avant, j’étais très sportif, je faisais de l’escalade et des randonnées seul, mais depuis ma dépression, c’est très compliqué. Rien que planifier un parcours et préparer mon sac… Tout ça me paraissait insupportable jusqu’à que je vienne ici», raconte l’homme de 39 ans.

«Venir ici fait partie de mon processus de guérison»

Depuis qu’il ne travaille plus, il vit «en ermite, à part quand [il est] avec [ses] enfants». Ces marches sont ainsi l’un des seuls moments où il voit du monde. Et elles lui font beaucoup de bien: «Ça m’aide à reprendre confiance en moi. L’autre fois, j’ai emmené mes enfants, mon grand de 8 ans a adoré. Petit à petit, je me remets à marcher avec eux.»

Après quelques minutes entre les pins et les genévriers, vient la première pause au cap Canaille, «nous sommes sur des falaises parmi les plus hautes d’Europe!» indique Jean-Claude, alors qu’il surplombe la mer Méditerranée de près de 400 mètres. Le soleil tape de plus en plus fort. Après quelques photos, c’est l’heure de se remettre en route et arrive la première montée. Les uns encouragent les autres, chacun est patient: ici, ce n’est pas à celui qui ira le plus vite.

- Tolérance du groupe

Arthur, lui, n’a aucun mal à grimper. À 35 ans, cet ancien militaire s’est retrouvé en dépression et vit avec un syndrome de stress post-traumatique, souffrant depuis de phobie sociale. Ces randonnées sont aussi pour lui l’occasion de fréquenter d’autres personnes. «Les gens sont bienveillants, il n’y a pas de jugement. Ça m’a aidé à me sortir de ma coquille, venir ici fait partie de mon processus de guérison», sourit le jeune homme.

. Maria et Arthur discutent lors d’une pause à l’ombre des pins. © Marine Guizy / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

La tolérance du groupe, c’est aussi ce qui plaît à Maria, à l’aise dans les montées malgré son gros sac à dos. Lorsque la trentenaire est arrivée à Marseille sans connaître personne après une séparation et sans avoir d’emploi, elle a rapidement rejoint des clubs de randonnée. «Mais à chaque fois, les gens me demandaient ce que je faisais dans la vie et je sentais leur malaise quand je leur racontais, c’était excluant», se souvient-elle.

Depuis qu’elle a commencé à randonner avec En passant par les calanques, Maria a retrouvé un emploi au Cofor, le Centre de formation au rétablissement de Marseille, qui propose des formations gratuites pour les personnes concernées par les difficultés psychiques. © Marine Guizy / Reporterre

. «Ces sorties me procurent une confiance énorme, car ici, on n’est pas renvoyé à notre rôle de malade, dit celle qui vit également avec un syndrome de stress post-traumatique. Au contraire, on est responsabilisés: on nous transmet des capacités et des savoirs que l’on peut ensuite diffuser à d’autres. On devient force de proposition.»

- Créer des liens avec l’environnement naturel

Rompre l’isolement, retrouver confiance en soi, reprendre des initiatives et ainsi se remettre dans des démarches comme la recherche d’emploi… c’est tout l’objectif d’En passant par les calanques. Le projet s’inspire de l’intervention psychosociale par la nature et l’aventure, un concept développé au Québec dans les années 2000. Cette approche permet aux personnes de s’engager activement dans la poursuite d’apprentissages ou de changements à travers des activités d’aventure réalisées en groupe dans la nature.

. En passant par les calanques a été créée en 2022 et a depuis organisé près de 100 journées d’activités. © Marine Guizy / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

«Marcher en pleine nature sort les personnes de leur zone de confort et les amène à se dépasser tout en développant de nouvelles connaissances qu’elles pourront ensuite mobiliser dans leur vie quotidienne», explique Mathieu. «Alors que, souvent, avant de venir, elles redoutent de ne pas être assez en forme, elles réalisent à la fin qu’elles sont capables de beaucoup plus que ce qu’elles imaginaient, constate Alexandra. Dans ce contexte d’aventure, la coopération est nécessaire, cela incite à travailler sur sa relation aux autres.»

En passant par les calanques a aussi une dimension écologique. Au-delà de sortir de son environnement urbain et d’admirer la beauté du paysage, «l’idée est de considérer la nature comme un espace qui permet de nouer des relations avec d’autres acteurs, que ce soit les oiseaux que l’on écoute, les arbres que l’on touche, la mer que l’on voit au loin. C’est l’occasion de créer de nouveaux liens avec son environnement social en même temps que naturel», ajoute Mathieu.

. En réunissant des groupes, En passant par les calanques permet à certains participants de rompre leur isolement social. © Marine Guizy / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

Murielle tient une feuille de romarin à la main. Ce lien à la nature, elle en a besoin. «Ici, je me concentre sur les sensations physiques comme toucher le sol, sentir les odeurs de la garrigue, écouter le bruit des vagues... C’est une façon de me recentrer sur moi plutôt que de repartir dans mon anxiété», dit-elle d’une voix douce.

Partir seul à l’aventure dans la nature peut aussi être effrayant. Bechir et sa compagne Samia, venus avec leurs enfants, sont là simplement car ils préfèrent faire des randonnées organisées en groupe. «Quand tu ne connais pas les coins, avec les cinq enfants, tu ne te lances pas. En plus, il y a toujours un guide, c’est rassurant», estime Bechir, membre du collectif d’entraide des habitant·e·s organisé·e·s du 3e arrondissement de Marseille.

- Besoin de nouveaux financements

Fred aussi cherchait un groupe de rando, car «tout seul, [il tournait] un peu en rond». À 59 ans, le comédien au chômage participe aux sorties depuis fin mars. «Ce que j’aime ici, c’est que chacun a ses petits soucis, mais il n’y a pas de jugement, on est plus sincère, ça permet plus de libertés», dit-il. Un peu plus tôt dans la montée, il a cru ne pas y arriver. «Je voulais m’arrêter, mais on m’a soutenu et, maintenant, j’ai le sentiment d’avoir accompli un effort. J’ai rempli mon contrat», dit-il.

. Fred, ici en train de lire le texte qu’il a écrit sur ce qu’il recherche en participant aux randonnées, dit sa fierté d’avoir gravi les 142 m de dénivelé entre le Vieux-Port de Marseille et la basilique Notre-Dame-de-la-Garde. © Marine Guizy / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

Comme Fred, elles et ils sont de plus en plus nombreux à rejoindre En passant par les calanques. «Cette année, déjà 120 personnes ont participé, pour un total de 335 participations cumulées, car les gens reviennent. Et nous n’avons fait que la moitié des 40 journées prévues jusqu’à la fin de l’année 2025. En tout, depuis 2022, c’est un développement exponentiel, avec plus 1.300 participations en tout pour presque 100 journées d’activités», précise Mathieu.

Malgré le succès, l’avenir du projet est incertain, faute d’argent. «On a eu des baisses de subventions. Les randonnées vont continuer jusqu’à la fin de l’année au moins, on est en train de tout faire pour trouver un modèle viable, mais le contexte est compliqué, on a besoin de soutien», dit Mathieu. Le coût réel estimé pour une journée de randonnée est de 1.200 euros, ce qui correspond au temps de travail de préparation et d’organisation des deux accompagnateurs. Pour permettre au projet de perdurer, une cagnotte a été lancée.

Une autre association, En passant par la montagne, basée à Servoz (Haute-Savoie), propose depuis 1995 des sorties similaires dans les Alpes.

«Les 1.001 vertus de la randonnée»: tous les épisodes

- [1 / 2] Randonner entre femmes: marcher sans se faire marcher dessus (Voir photo sur site ci-dessous)

Une association organise des randonnées entre femmes dans les Pyrénées. Souvent déçues par leurs excursions avec des hommes à l’état d’esprit trop compétitif et égoïste, ces amoureuses de la montagne sont conquises par la démarche.

- [2 / 2] Santé mentale: la randonnée comme «processus de guérison» (Voir photo sur site ci-dessous)

Autour de Marseille, le projet En passant par les calanques organise des randonnées avec des personnes socialement isolées ou souffrant de troubles psychiques. De quoi se reconnecter aux autres et leur redonner confiance en elles.

Photo: Mathieu, éducateur spécialisé, avec Louis et Christophe, deux participants à une randonnée organisée par En passant par les calanques, le 14 juin 2025. - © Marine Guizy / Reporterre

Voir l'article dans son intégralité: https://reporterre.net/Sante-mentale-la-randonnee-comme-processus-de-guerison

Par Jeanne Cassard et Marine Guizy (photographies)

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