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Planète (Afrique) - Dans le sud du Cameroun, la difficile cohabitation entre les hommes et les animaux sauvages




Planète (Afrique) - Dans le sud du Cameroun, la difficile cohabitation entre les hommes et les animaux sauvages


Aux abords du parc national de Campo-Ma’an, les villageois se plaignent des éléphants, chimpanzés, gorilles ou perroquets qui dévastent leurs champs.

André Métee zigzague entre des plants de cacao aux branches arrachées et enjambe des troncs de bananiers plantains et d’avocatiers renversés. Armé d’une machette, l’agriculteur avance en pestant contre ces «bêtes sauvages qui détruisent tout sur leur chemin».

«J’ai pris des années pour composer ce champ de plus d’un hectare. Il avait beaucoup de valeur. Il a été dévasté en une seule nuit par des éléphants», souffle le quadragénaire, également cartographe, le regard perdu. Il y a deux mois, André se rendait à sa plantation comme tous les matins lorsqu’il a découvert «le massacre». Choqué et découragé, il a pris la décision de ne plus «jamais» y retourner, jusqu’à cette visite avec Le Monde Afrique.

A Nazareth, village situé dans la région du Sud, au Cameroun, André n’est pas le seul dans cette situation. «Tous les champs des habitants subissent les destructions des animaux. Ça dure depuis plus de dix ans. On est à bout. On a perdu des millions de francs CFA», enrage Jean-René Mbili, le chef de ce bourg qui jouxte le parc national de Campo-Ma’an, à la frontière avec la Guinée équatoriale.

Dans cette aire protégée créée en 2000, on dénombre plus de 2.500 espèces de plantes et d’animaux, dont certaines sont menacées comme le pangolin géant ou encore l’éléphant d’Afrique. Une richesse inestimable pour la biodiversité, mais qui a généré au fil des années des tensions entre les populations et les gestionnaires du parc.

- Les attaques de pachydermes ont «explosé»

D’après des habitants de trois villages situés aux alentours de Campo-Ma’an, le conflit hommes/faune a toujours existé. Mais avant la création du parc, «on tuait les animaux destructeurs, ce qui faisait fuir les autres. On utilisait des gourdins ou des cailloux pour les effrayer», se rappelle un notable.

A en croire cet agriculteur, les attaques de pachydermes ont «explosé» ces derniers mois à cause de l’installation de Cameroun vert (Camvert), une société agro-industrielle spécialisée dans le palmier à huile qui ambitionne de s’étendre sur 60.000 hectares. Plus de 1.000 ont déjà été rasés.

«Les éléphants ne peuvent plus divaguer dans ces endroits. Ils se rabattent vers nos champs et on n’a même pas le droit de les tuer ou les blesser», soupire cet homme de 72 ans au visage tanné par le soleil. Au Cameroun, le braconnage des espèces protégées est passible d’emprisonnement.

«Ici, les animaux sont plus protégés qu’un être humain», précise avec amertume Alphone Daudet Endaman, un agriculteur de Nazareth. La veille, son champ de deux hectares de concombres, de taro, de courges et de bananiers plantains a été mis à sac par un troupeau d’éléphants, assure-t-il.

- Des conflits «pressants et difficiles à gérer»

Un énième dégât pour cet homme qui égrène ses «malheurs»: un champ de maïs «dévoré en un temps record par des guenons», ses safoutiers «picorés par une nuée de perroquets», son hectare de manioc «rongé à la racine par des bêtes sauvages», ses arbres fruitiers «adorés par les chimpanzés et les gorilles»…

Près de lui, Théodore Ango Mba, 77 ans, peine à contenir sa colère: «Des villageois ne dorment plus parce qu’il faut veiller toute la nuit sur les champs et les maisons. Ça ne peut plus durer.» Au fil des années, le sous-préfet, des ONG et le conservateur du parc ont fait plusieurs visites dans ces villages. «A la fin, ils nous disent toujours qu’ils ne peuvent pas nous indemniser, comme si un animal pouvait développer un pays» parce qu’il protège l’eau et la forêt, s’offusque Alphonse Daudet.

Selon Jean-Robert Onana, responsable de la communication au ministère des forêts et de la faune, le conflit entre les hommes et les animaux sauvages n’est pas reconnu par le législateur camerounais. Face à ce vide juridique, les nuisances et les destructions sont rangées, selon leur gravité, «dans le même registre que les inondations». Or, compte tenu de la croissance démographique, ces conflits «deviennent pressants et difficiles à gérer». Les cas se multiplient à travers le pays.

En 2019 et en 2020 dans le département du Mbam-et-Kim dans la région du Centre, des lions ont décimé des cheptels bovins, ruinant de nombreux éleveurs et terrorisant la population. Dans les régions du Sud et de l’Est, les communautés autochtones baka ou bagyeli, premières habitantes des forêts, sont doublement affectées. Vivant de la pêche, de la chasse et de la cueillette, elles rencontrent d’énormes difficultés à accéder aux aires protégées.

- Braconnage

Au cœur de ces tensions, les écogardes sont régulièrement pointés du doigt et accusés de nombreux abus. En 2016, l’ONG Survival International avait déposé une plainte auprès de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) contre le Fonds mondial pour la nature (WWF) pour destructions de campements baka, violences physiques, menaces et humiliations.

Le WWF apporte un soutien financier et technique aux écogardes de nombreux parcs nationaux du Cameroun. Depuis, la plainte a été abandonnée, mais les peuples autochtones continuent de se dire victimes d’exactions au nom de la protection de la nature.

Dans les bourgades voisines du parc national de Campo-Ma’an, des habitants dénoncent les complicités des gardes forestiers avec «certains braconniers venus d’ailleurs» et leur corruption. «Quand ils t’attrapent avec un gibier, ils exigent que tu leur donnes de l’argent afin qu’ils te libèrent , rapporte un habitant du village Mvini.

Phanuella Djanteng, cheffe de projet au sein du Service d’appui aux initiatives locales et de développement (Saild), une ONG dédiée à l’appui des populations rurales, a essayé de comprendre «l’origine» du conflit «hommes/faune» dans les aires protégées. Elle relève un défaut d’information des riverains lors de la création des parcs: faute d’être réellement sensibilisés sur les impacts sur leur vie future, ils découvrent «du jour au lendemain» qu’ils ne peuvent plus aller dans les zones où ils avaient leurs habitudes.

- En finir avec les animaux envahisseurs

Phanuella Djanteng recommande de revoir tout le processus, car «si dès la base, les habitants ne comprennent pas l’utilité ou l’importance sur tous les plans de ces espèces qu’on veut protéger, ils n’auront aucune gêne à vouloir envahir ces endroits ou détruire pour leurs besoins».

Dans la cour d’une chefferie où flotte le drapeau aux couleurs nationales, des agriculteurs partagent leurs «astuces» pour en finir avec les animaux envahisseurs. «Tuer un éléphant n’est pas difficile: vous prenez du formol, vous l’injectez dans les bananes plantains qu’ils mangent. Vous en mettez sur au moins quinze régimes. Ils vont manger, avoir la diarrhée et mourir», détaille l’un.

Pas compliqué non plus d’assassiner un gorille ou un chimpanzé, appuie un autre agriculteur: «Je mets du poison dans les bananes mûres et je m’en vais les déposer où ils viennent dévaster nos champs de manioc et bananes». Un troisième tempère en leur demandant d’attendre le gouvernement qui peut «encore trouver la solution» et les ONG qui projettent de construire des ruches autour des champs et habitations. Selon les études, les abeilles sont les bêtes noires des éléphants.



Photo: Deux gorilles dans le parc national de Campo-Ma’an, au sud du Cameroun. FACEBOOK DU PARC NATIONAL DE CAMPO-MA’AN

Josiane Kouagheu (Nazareth, Mvini, Cameroun, envoyée spéciale)
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