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Planète (Afrique) - Au Soudan du Sud, les «réfugiés climatiques» affluent à Bor


Planète (Afrique) - Au Soudan du Sud, les «réfugiés climatiques» affluent à Bor


Le Soudan du Sud sous les eaux (2/3). Selon les Nations unies, près de 700.000 habitants ont été chassés par les inondations et ne peuvent pas rentrer chez eux.

Aker Chuol chasse une chèvre qui lorgne son seau de semences en agitant la bêche qu’elle utilise pour retourner son potager. En août 2020, la veuve quinquagénaire, dont les deux fils sont morts, a dû fuir la crue du Nil qui a dévasté sa terre natale. Originaire de Jalle, à 60 km au nord de Bor, la capitale de l’Etat du Jonglei, elle vit aujourd’hui plus au sud, dans le camp de déplacés de Malual Agorbar, comme les 3.270 habitants de son village. «Ce lopin de terre, c’est tout ce que j’ai. S’il continue de pleuvoir, je récolterai quelque chose», dit-elle sans grand enthousiasme avant de reprendre son labeur.

Dans cette région du Soudan du Sud bordant le Nil, le changement climatique a déjà des effets dévastateurs. Plus ravageur que les traditionnelles crues saisonnières, un cycle d’inondations sans précédent a démarré en 2019 et continue, année après année, de noyer le nord du Jonglei ainsi que les Etats voisins d’Unité et du Haut-Nil. Selon les Nations unies, près de 700.000 Sud-Soudanais ont été chassés par les eaux et ne peuvent toujours pas rentrer chez eux. Une situation qui s’ajoute à la crise humanitaire que traverse le plus jeune Etat au monde, où plus de 85 % de la population est en situation d’insécurité alimentaire.

- Épisode 1: A Bor, une lutte sans fin contre les inondations

A Malual Agorbar, des pousses de sorgho et d’autres céréales entourent les habitations. Mais ces quelques parcelles cultivées pourraient ne pas suffire, s’inquiète Samuel Manyuon, un des responsables du camp. «Nous avons reçu les rations alimentaires de septembre, mais nous risquons de ne pas en obtenir pendant les prochains mois», explique-t-il. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a en effet annoncé mi-septembre un «gel temporaire de l’aide alimentaire» du fait de «limitations budgétaires» dans certaines zones du pays moins «prioritaires» que d’autres où la famine menace.

- «La digue de John Garang»

«Nous pensions que nous ne resterions pas longtemps, continue Samuel Manyuon. C’est pour ça que nous n’avons pas entamé de discussion avec la communauté hôte pour pouvoir cultiver à plus grande échelle. Notre seul espoir, c’est de réparer la digue et de retourner au village, où nous cultivions librement, avions des vaches et ne dépendions de personne.»

Construite de Jalle à Kongor sur une cinquantaine de kilomètres entre 2003 et 2006, alors que la seconde guerre civile soudanaise (1983-2005) n’était pas totalement terminée, cette structure que les habitants appellent «la digue de John Garang» – du nom du chef de file des rebelles sud-soudanais, natif de la région, qui en avait initié la construction – n’a jamais été entretenue. «On a vécu à l’abri de la digue pendant près de quinze ans, et puis en février 2020 l’eau est montée. On a essayé de la renforcer mais c’était trop tard. Dix personnes sont mortes lorsque l’eau a envahi le village», raconte Isaïa Ayuen, le chef de la communauté.

Martha Nyankuoi Ajak, la soixantaine, a pu sortir de sa maison à temps grâce à l’aide de sa co-épouse, plus jeune et capable de l’aider à monter dans le canoë. «J’ai perdu tout ce que je possédais: chèvres, poules, ustensiles de cuisine, dit-elle. Je suis venue seulement avec mon mari et mes enfants.» Depuis, elle vivote. Le quotidien du camp n’est pas riant, au point que sa fille est repartie à Jalle, sur l’«île» de Wunchung (une zone de terre épargnée par les eaux), pour accoucher. Là-bas, «il n’y a ni le gouvernement ni les ONG, mais les gens arrivent à survivre par eux-mêmes grâce à la pêche», explique la grand-mère.

Les dérèglements climatiques et les conflits qu’a connus la zone au cours des dernières décennies ont profondément affecté les modes de vie de ces peuples agropastoraux. Suivant les saisons et les crues du Nil, les Dinka, comme leurs voisins les Nuer, avaient l’habitude de migrer vers les marécages en lisière du fleuve lors de la saison sèche pour faire paître leurs troupeaux, puis de se replier vers leurs villages pour cultiver lors de la saison des pluies. Les inondations actuelles, bien plus fortes que les crues saisonnières habituelles, ont privé ces communautés de leurs pâturages et de leurs troupeaux. «Nos aïeux dépendaient du lait des vaches, ils meurent car nous n’en avons plus! Notre mode de vie a connu un grand changement», déplore Samuel Manyuon.

- «Toutes mes vaches se sont noyées»

«Ici, nous n’avons que l’humanitaire pour survivre», abonde Chol Kuoirot, tout tremblant à cause d’un fort paludisme non traité. Handicapé, cet enseignant à la retraite ne peut guère se rendre à la clinique en ville. A Jalle, il possédait 17 vaches. «Toutes se sont noyées lorsque la digue a rompu», raconte-t-il. Son frère, installé à Juba, lui a envoyé une grande tente dans laquelle il a hébergé d’autres familles qui n’avaient pas encore d’abri. Il y vit toujours. Des formules mathématiques sont inscrites à la craie sur la toile, car il tâche de continuer l’éducation de ses enfants.

Tout près du Nil, en bordure du camp, un espace d’«apprentissage temporaire» accueille en outre 650 enfants de déplacés sous des bâches, avec des boîtes de conserve vides en guise de chaises.

A Jalle, ceux dont le bétail avait été évacué dans les jours précédant la rupture de la digue n’ont pas été épargnés non plus. «Nos vaches ont été emmenées à Bor, puis par bateau à Juba, mais ensuite elles sont mortes de maladies», regrette Samuel Manyuon, le leader du camp. Environ 8.000 têtes de bétail du village auraient ainsi péri. Pour tâcher de compenser l’absence des troupeaux et de leur apport vital de lait quotidien, des rouleaux de fil de pêche ont été distribués par les agences humanitaires aux déplacés.

Mais «ils n’ont pas de canoë et ne savent pas tisser les filets», regrette Samuel Kuol, un déplacé qui sert d’intermédiaire entre les habitants et les autorités. «Ici, il n’y a pas de jobs, pas d’usines, les jeunes jouent aux cartes toute la journée… Comment vont-ils faire pour gagner quoi que ce soit?», s’interroge-t-il. «Nous ne savons pêcher que dans les marécages», corrobore Akuot Garang, un représentant des jeunes du camp: «Nous voulons que la digue soit réparée pour que nous puissions rentrer dans nos villages. Il n’y a pas d’espoir ici.»



Photo: Une jeune fille va chercher de l’eau dans le Nil au camp de déplacés de Malual Agorbar, près de Bor. FLORENCE MIETTAUX

Florence Miettaux (Bor, Soudan du Sud, envoyée spéciale)
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