Algérie - Photo

PHOTOGRAPHIE : Dans la peau d’un spotter, ces passionnés de l’extrême


PHOTOGRAPHIE : Dans la peau d’un spotter, ces passionnés de l’extrême
Prendre de belles photos d’avions, c’est tout ce qui importe pour Amine qui risque à tout moment de se faire arrêter pour espionnage ou de se faire attaquer par des animaux sauvages.


Il écrivent l’histoire de l’aviation à travers les photos inédites d’avions dans le ciel qu’ils prennent. C’est le spotting. Une activité-métier non cadrée actuellement, bien que de nombreux jeunes la partiquent depuis plus de dix ans, y compris en Algérie.


Amine nous fixe rendez-vous un après-midi ensoleillé de mars à une des terrasses de la forêt de Bouchaoui, à l’ouest d’Alger. Au menu, test de l’équipement flambant neuf reçu la veille de l’étranger. L’appareil photo, car c’est de cela qu’il s’agit, affiche des performances herculéennes et permet à son utilisateur de prendre des photos nettes à presque un kilomètre de distance. Amine a du mal à cacher sa joie et son impatience à commencer les tests.

Habillé en «civil», sacoche en bandoulière, il ne donne aucunement l’impression de faire partie d’un club des plus dangereux et des plus secrets d’Algérie. Celui des spotters. Par définition, un spotter (ou spotteur) est un photographe spécialisé dans la prise de vue d’avions, civils ou militaires, en vol, en roulage sur le tarmac, ou statiques. En règle générale, ce passionné chasse les photos exotiques d’avions atypiques ou de compagnies aériennes étranges, il collectionne aussi les photographies des appareils et de leurs numéros d’immatriculation.

Hobby assez répandu en Occident et en Russie, le professionnel du spot a généralement au moins une image de chacun des avions de sa compagnie nationale, et au moins une de chaque type d’avion militaire. «En Algérie, nous vibrons pour la cocarde, ce drapeau circulaire qui se trouve sur la queue et les ailes des avions militaires», nous explique Rachid, alias Isatis, véritable vétéran dans le domaine. Selon lui, «prendre un avion de chasse ou de transport en photo, dans une position parfaite, provoque une véritable poussée d’adrénaline». «Chaque image inédite d’un appareil de l’armée de l’air est un véritable trésor pour ma collection, mais la vraie consécration est d’être publiée dans

Airliners

Un site spécialisé ou un magazine d’aviation. En Algérie, nous sommes les seuls à réussir cet exploit en Afrique et dans le monde arabe», ajoute-t-il. Il cache par pudeur le fait qu’il ait été le premier à réussir une entrée dans le site Airliners, véritable saint des saints de la profession. «Ce fut en 2006, avec une prise parfaite d’un hélicoptère de la gendarmerie. Les gendarmes venaient de recevoir leurs premiers appareils et jusque-là personne n’avait réussi à en avoir un.»

Depuis Isatis, d’autres Algériens ont réussi leur entrée dans le cercle fermé des publiés d’Airliners. Beaucoup ont aussi alimenté des livres ou des magazines tels qu’Air Forces Monthely, Air Fan ou Flight International. Retour à Bouchaoui avec Amine qui, après avoir jugé bon au service son nouvel équipement, souhaite nous montrer sa botte secrète, l’arme absolue qui, selon ses dires, lui vaut tous ses succès. Il l’appelle affectueusement Messaouda, il s’agit d’un petit poste de radio qu’il a soigneusement modifié pour pouvoir capter les communications entre les avions en approche et la tour de contrôle. «Cela me permet de savoir s’il y a des appareils particuliers qui arrivent et s’il y a quelque chose en préparation. Messaouda me donne un avantage certain, car je maîtrise l’espace et le temps», raconte fièrement Amine, l’antenne de sa radio discrètement déployée.

Interdit

La discrétion est de mise, car le risque de se faire prendre est grand, un gendarme, un policier, un militaire ou un agent de sécurité en patrouille peut à tout moment faire basculer la vie du spotter, qui est constamment sur ses gardes, le risque étant de se faire arrêter, perdre son équipement photographique, voire se retrouver poursuivi en justice pour des motifs aussi graves que trahison ou espionnage. «Je n’arrive toujours pas à comprendre cette culture de l’interdit. Même lors des journées portes ouvertes de l’armée, ils nous interdisent de photographier les matériels et équipements qu’ils exposent, comme s’il s’agissait de prototypes secrets fabriqués en Algérie.

Pire encore, cette culture a contaminé tout le monde, le moindre policier dans les rues et même parfois de simples citoyens nous menacent de dénonciation à la police s’ils voient un jeune qui sort un appareil photo reflex. Au marché de Boufarik, un groupe de citoyens nous a littéralement chassés, alors que nous étions simplement en train de prendre des photos des avions en vol et non un quelconque édifice ou base militaire», rajoute Amine qui, malgré cela, brave l’interdit. Et d’ajouter : «Pour prendre quelques belles et inoffensives photos d’hélicoptère à Alger, je dois marcher longtemps à travers les bois avec le risque de tomber sur des sangliers ou des chiens errants. Faute d’équipement inabordable, je dois me placer au plus près tout en évitant que les gardes sur les guérites ne me voient.»

Cette discipline n’est pas réservée aux seuls Algérois, à Oran, Ouargla, Constantine, Oum El Bouaghi ou Khenchela, c’est toute une génération de spotters qui a vu le jour ces dix dernières années. Ils ont leur star, Fulcrum à Oran, qui avait à l’époque réussi à avoir les premières photos de Mig 29 et qui détient par exemple l’unique preuve que nos forces aériennes ont loué des Su 27 à l’Ukraine. Une photo de qualité moyenne, mais qui montre l’avion dans le ciel d’Oran avec l’emblème national. Idem à Khenchela où un certain T800 avait réussi en mars 2008 à prendre en photo le premier Su 30, quasiment lors de son premier vol. Leurs photos ont fait le tour d’internet et ont même fini sur papier glacé en Angleterre et aux USA.

Les 26 février, la plupart des membres de cette communauté se sont réunis à Alger pour enterrer l’un des leurs, Lamine Kara, à peine 29 ans, arraché à la vie par une foudroyante crise cardiaque à Paris. Il a fait partie des premiers de la deuxième génération de spotters, structurés au tour du noyau dur Forces DZ. Les présents du groupe étaient unanimes à dénoncer le caractère injuste de cet interdit non-dit de photographier librement en Algérie.

Météo

«Le spotting est devenu une obsession qui captive des milliers de personnes à travers le monde. Nous écrivons l’histoire de l’aviation en Algérie, nous archivons et documentons cette saga qui mérite d’être racontée. Notre pays est, non seulement par ses dimensions, une terre d’aviation, mais c’est aussi un des rares endroits au monde où il y a une telle diversité d’équipement. On y voit voler des plus archaïques aux plus modernes avions et la cocarde algérienne est devenue au fil du temps une des cocardes les plus exotiques au monde, bien plus que celles de Corée du Nord ou de Birmanie. C’est en partie du fait de l’isolationnisme de notre armée de l’air qui ne participe que très rarement aux exercices internationaux», explique Rachid, qui photographie des avions depuis plus de 20 ans, qui se rappelle bien que pendant les années 1990 à Blida, trouver un photographe qui acceptait de développer une pellicule contenant des images d’avions de l’armée était une véritable gageure.

«L’astuce que j’avais adoptée était de toujours intercaler dans cette pellicule d’autres photos, familiales ou prises dans la nature, pour noyer le poisson et ne pas éveiller la suspicion», ajoute-t-il, confirmation des spotters présents, «toujours avoir une carte mémoire pleine de photos familiales, en cas d’arrestation, ne jamais montrer que l’on porte un intérêt quelconque au domaine, feindre la curiosité et courber l’échine, tels sont les maîtres-mots de la profession». A Amine de rajouter que ce qui fait la différence en l’amateur et le professionnel était la préparation : «Les veilles de spotting, je me renseigne sur la météo exacte, le sens et la force du vent, si le ciel est dégagé ou non, mais aussi s’il y a des exercices planifiés dans une région ou si l’on a signalé un appareil venant d’une autre base. Sur place, il m’est arrivé d’étaler des canettes de bière vides autour de moi, dans les bois à côté de bases aériennes, il valait mieux passer pour un ivrogne que pour un spotter.»

Profitant du fait qu’ils soient pratiquement tous regroupés, nous leur demandons ce qu’il faudrait faire pour développer cette activité ? Les réponses furent unanimes : «Lever l’interdit, ouvrir les portes des bases, nous laisser nous regrouper en association afin que nous soyons identifiés et reconnus par les autorités et enfin nous aider à créer un magazine spécialisé qui, vu le nombre d’inscrits dans les forums militaires (plus de 10 000), aura sa place dans le paysage médiatique.» Et d’ajouter : «Nous sommes nombreux en Algérie et dans le monde, nous n’hésitons pas à faire des safaris photos en Russie, en Europe, au Moyen-Orient, aux USA et même en Asie, presque partout, nous le faisons à l’aise, nous avons de la peine à ne pas pouvoir le faire librement sur notre propre sol. A Paris, les spotters ont des badges qu’ils retirent en une journée de la préfecture de police qui leur permettent de faire ce qu’ils veulent. Ils ont même des endroits aménagés pour pratiquer leur art.»



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