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Peut-on rompre avec le régime rentier '



Peut-on rompre avec le régime rentier '
samirbellal@yahoo.frDans le débat économique national, la question de l'usage qui doit être fait des revenus pétroliers ne suscite curieusement pas beaucoup d'intérêt. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la mobilisation de la rente à des fins économiquement utiles est un sujet qui ne mobilise pas beaucoup. Pourtant, la manière dont cette ressource continue aujourd'hui d'être utilisée n'est pas sans susciter de légitimes inquiétudes sur la capacité du pays à se défaire de sa dépendance vis-à-vis du secteur des hydrocarbures, et sur son aptitude à définir un remède à ce qui s'apparente à une incurable intoxication pétrolière.Si les études consacrées à l'évaluation de l'expérience algérienne de développement ont toutes (ou presque) souligné la médiocrité de ses résultats, peu d'analyses lient cette situation à l'incapacité du pays à générer des compromis sociaux (ou institutionnels) en adéquation avec les nécessités de l'évolution de la situation économique et sociale, en particulier celles se rapportant au dépassement du caractère rentier du régime de croissance et, du même coup, à une insertion active dans la division internationale du travail. La construction d'un compromis social nouveau apparaît de ce point de vue comme un impératif immédiat dans l'évolution de l'économie algérienne vers une configuration productive et diversifiée.La formulation d'une problématique de réforme ne peut faire abstraction de ce qui fait la particularité du régime de croissance en vigueur dans le pays depuis au moins quatre décennies : son caractère rentier. La question se pose toujours de savoir pourquoi en Algérie, en dépit des effets conjugués et récurrents des chocs et contre-chocs pétroliers et des mutations profondes qui sont à l'œuvre dans son environnement externe, les compromis sociaux fondateurs du régime d'accumulation restent fondamentalement les mêmes, dans le sens où leurs configurations concrètes respectives ne sont toujours pas de nature à permettre l'émergence d'une dynamique productive indépendante de la rente. Pourquoi ces compromis ne laissent-ils pas place à une nouvelle régulation économique et sociale ' Pourquoi la transition institutionnelle, qui devrait en l'occurrence conduire à une sortie du régime rentier, semble-t-elle bloquée ' Des questions qui précèdent, il s'ensuit que c'est, en fait, la question de l'avènement d'un nouveau régime d'accumulation qui demande à être posée, et ce, au travers de la recherche d'un compromis social global, assumé par des régulations institutionnelles partielles formant système, pouvant favoriser l'émergence d'un nouveau régime d'accumulation dont, il est vrai, on ne connaît pas a priori la forme et la nature exactes, mais dont on sait néanmoins qu'il doit reposer sur la réhabilitation et le développement des activités productives.Telles sont, nous semble-t-il, les interrogations auxquelles le débat économique national devrait, de manière urgente, apporter des réponses crédibles.Le circuit de la renteSi les analyses diverses qui se sont intéressées à la question du changement économique et social dans les pays rentiers ont toutes souligné l'incapacité des régulations économiques partielles adaptées au régime rentier à répondre aux changements requis, elles relèvent aussi que, au-delà de la sphère politique qui, très souvent, n'est pas étrangère à ce blocage, c'est la dépendance de ces régulations institutionnelles par rapport au circuit de la rente qui interdit, ou rend difficile, la transformation du régime économique interne.En effet, à défaut d'un volontarisme politique à même de rompre le cordon ombilical qui lie les régulations institutionnelles au circuit de la rente, l'évolution du régime économique dans le sens d'une réhabilitation des activités productives, simultanément à un épuisement progressif des incitations aux comportements de recherche de rentes, demeurera, à coup sûr, problématique. Schématiquement, la dépendance des régulations économiques partielles par rapport au circuit de circulation de la rente se lit en particulier dans des configurations institutionnelles spécifiques que l'on retrouve dans presque toutes les économies «rentières»: surévaluation, en termes réels, de la monnaie nationale ; prééminence d'un rapport salarial de type clientéliste, notamment dans le secteur public ; une répartition des dépenses publiques s'inscrivant davantage dans une logique «politique» de redistribution que dans une logique économique de soutien à l'accumulation, etc.Cette configuration institutionnelle est à l'origine de l'instauration d'un système de captage des rentes. Est-ce à dire pour autant que l'économie de rent seeking est organiquement liée au régime rentier ' Répondre à la question par l'affirmative, c'est admettre que tout régime rentier sécrète nécessairement les comportements de recherche de rente et qu'inversement, ce type de comportements n'apparaît que là où il y a un régime rentier.Par-delà le discours sur le caractère fataliste de la malédiction des ressources, il convient de voir dans la prédominance des comportements de captage de rente une excroissance du régime rentier, ce qui signifie que le phénomène peut se développer dans le cadre de tout autre régime d'accumulation en vigueur dans les pays à économie de marché, pour peu qu'il y ait, par exemple, limitation de la concurrence. Dans cette hypothèse, on rejoint l'idée que c'est le mode de régulation qui serait à l'origine de la prédominance de la logique rentière dans le comportement des acteurs et des agents économiques, cette logique pouvant contaminer à son tour le fonctionnement d'ensemble de l'économie et provoquer, à plus ou moins longue échéance, sa crise. La persistance des comportements rentiers interpelle donc l'Etat dans son rôle de régulateur. Le comportement rentier des agents est tout ce qu'il y a de rationnel et il serait vain de vouloir s'y attaquer sans modifier la structure incitative que véhicule le mode de régulation de l'économie nationale. Le comportement rentier, objet d'une condamnation morale récurrente dans l'espace public, est en effet une résultante de l'environnement institutionnel. Usant d'une image devenue célèbre, D. North(1), prix Nobel d'économie, écrit que si l'activité la plus rentable dans une économie est le piratage, on peut s'attendre à ce que les agents et acteurs investissent dans les compétences et les connaissances qui feront d'eux de meilleurs pirates. Telle semble être la difficulté première de l'activité productive dans un pays rentier comme l'Algérie : comment faire pour que les hauts rendements soient le fait de la production ' Autrement dit, comment faire pour que les acteurs s'orientent vers les activités de production en lieu et place des activités spéculatives ou de services 'La régulation en questionEn termes de modalités pratiques de transition institutionnelle, l'hypothèse précédente implique qu'il faut – «et il suffit de», serions-nous tentés d'ajouter — réformer le contenu des régulations économiques partielles pour supprimer les sources de captation de rentes. Celles-ci étant faciles à localiser, le problème reviendrait à identifier les facteurs, souvent d'ordre extra-économique, qui favoriseraient (ou bloqueraient) une telle transition.La sortie du régime rentier est un processus long qui nécessite une politique économique volontariste, forcément impopulaire, et dont la perspective temporelle est nécessairement le long terme. Ces éléments, réunis, rendent le processus hypothétique et improbable.Quantitativement, cette sortie peut être observée à travers l'évolution d'un certain nombre d'indicateurs simples qui constitueraient les éléments d'un tableau de bord de la conduite d'une politique économique de rupture, indicateurs parmi lesquels on doit retrouver la contribution du secteur pourvoyeur de rente (hydrocarbures) dans la formation de la richesse produite (PIB), sa part dans la structure des recettes fiscales de l'Etat (fiscalité pétrolière) et son apport dans les recettes d'exportation du pays.L'expérience historique récente des pays qui ont réussi l'entreprise de sortie du sous-développement (Corée du Sud, Chine, Inde, Indonésie, Brésil”?) montre clairement que la transition économique s'est toujours opérée selon le modèle basé sur la séquence «taylorisation primitive — fordisme périphérique — fordisme autonome». Dans un pays à régime rentier, la question n'est cependant pas tant de savoir si, pour réussir, la transition économique doit emprunter le chemin qu'une telle séquence indique, mais plutôt de savoir si une telle transition est possible.Dans cette perspective, il peut sembler permis de penser que la disponibilité d'une rente externe est de nature à permettre, lorsque la configuration des rapports d'emploi correspond à celle que le complexe de machines requiert, une atténuation de l'intensité du taux d'exploitation du travail, ne serait-ce qu'à travers la prise en charge d'une partie du salaire indirect. De toute évidence, la présence de la rente externe n'est, en principe, pas antinomique avec l'instauration d'un rapport salarial de type «taylorien». Elle peut même la favoriser sachant que dans le contexte de la configuration actuelle de la division internationale du travail (DIT), caractérisée par une exacerbation sans précédent de la concurrence entre nations, il est de plus en plus inenvisageable pour un pays pauvre et attardé, comme le nôtre, de déclencher le processus d'augmentation de la productivité (seul moyen de s'insérer activement dans la DIT) autrement que par un sursaut du taux d'exploitation du travail.L'instauration d'une configuration «taylorienne» des rapports de travail, préalable incontournable à la réhabilitation du travail comme variable essentielle dans la régulation économique et sociale, n'est cependant qu'un élément constitutif du degré de compétitivité internationale d'une économie ambitionnant de s'insérer de manière active dans la DIT. Dans une économie rentière comme la nôtre, d'autres éléments, non moins importants, interviennent dans la construction de l'avantage compétitif, éléments parmi lesquels la question du taux de change de la monnaie nationale occupe une place centrale. Les régulations partielles étant liées par un principe de complémentarité, il est, par exemple, illusoire de vouloir améliorer la compétitivité de l'économie nationale en instaurant une configuration flexible des rapports de travail si, en parallèle, on ne s'attaque pas simultanément à la surévaluation, en termes réels, de la monnaie nationale, à l'ouverture outrancière des frontières économiques nationales, aux dysfonctionnements générés par un système administré des prix, etc.Peut-on prèner la rupture avec le régime rentier sans en souligner le caractère inéluctable et nécessairement douloureux des sacrifices ' La réponse est non.Pour le moment, force est d'observer que la présence d'une rente d'origine externe et qui plus est, est à la disposition exclusive de l'Etat, rend, pour des raisons qui relèvent davantage du politique que de l'économique, l'éventualité qu'une telle rupture survienne plus qu'incertaine.En l'absence d'une implication forte du politique, et donc de l'Etat, il est improbable, ce qui peut paraître paradoxal, qu'un compromis crédible favorable à l'accomplissement de la rupture avec le régime rentier soit trouvé. Les possibilités de transition institutionnelle à même de permettre de dépasser le fondement rentier du régime de croissance dépendent donc davantage du contenu des stratégies à l'œuvre que du degré de libéralisation. Une libéralisation incontrèlée risque, si ce n'est déjà fait, d'enfoncer encore davantage le pays dans «le syndrome hollandais». Une libéralisation contrèlée, conciliant le temps des apprentissages nécessaires et la nécessité de casser des rentes, peut, par contre, permettre, comme le montrent de nombreuses expériences qui ont réussi le décollage économique, de mettre le pays en capacité d'articuler ses mécanismes internes de régulation économique et sociale avec les contraintes et opportunités qui naissent de son insertion internationale.De ce point de vue, la trajectoire économique récente du pays indique clairement que l'Etat privilégie l'objectif d'assurer, sur le court terme, une certaine stabilité au régime rentier en place. Or, cette stabilisation, qui se résume en fait à une consolidation temporaire de la position financière extérieure du pays, à travers une accumulation inédite de réserves de change, n'est pas de nature à permettre la prise en charge des problèmes économiques et sociaux qui se posent à l'échelle interne, dont les plus importants sont le chômage, la dépendance alimentaire et technologique, le déclin de l'industrie.Pour conclure, on ne peut ne pas rappeler, encore une fois, que si la sortie du régime rentier nécessite un remède dont les principes ont un contenu économique, sa mise en œuvre est une tâche éminemment politique. «La crise de la rente, écrit à ce propos D. Liabès, a une dimension politique-institutionnelle, parce qu'il s'agit, à travers les nécessaires arbitrages dans la répartition, de redessiner la configuration des principaux rapports sociaux, en d'autres termes, la transformation profonde et pour une période durable, des modes de régulation sociale»(2). D. Liabès conclut son analyse en soulignant que la crise du régime rentier pose avant tout le dilemme du passage d'un système de légitimité à l'autre.S. B.(*) : Maître de conférences – Université de Boumerdès.1) North D. (2005). Le processus du développement économique. Editions d'Organisation, Paris.2) Liabès D. (1986), Rente, légitimité et statu quo : quelques éléments de réflexion sur la fin de l'Etat-providence, Cahiers du CREAD, n° 6, 2e trimestre.


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