Algérie

Peinture mystique




Hommage à Al-Nachar Abdel-Rahmane Al-Nachâr, peintre de la lointaine Egypte, aura été un mystique et un chercheur de l’essentiel à travers la couleur et sa lumière. Notre première rencontre remonte à dix ans, presque jour pour jour -quelques années plus tard, il s’éteindra-; c’était lors d’une exposition: il avait atteint là le sommet de son art; il s’était installé dans une démarche toute personnelle. Devant cette peinture phosphorescente, dynamique, rythmée, répétitive et surtout d’une grande unité, j’avais tenté la qualification: peinture de la mystique moderne; et lui de dire: «On pourrait me demander: vers où te conduit cette voie? Je répondrais que je vais (avec mes outils, traits et couleurs) dans la constance et la louange... priant Dieu; dans l’effort sur soi-même et l’espoir, dans la croyance en l’Unique et seul créateur... Partant de là où je suis arrêté, je vais vers des horizons d’abstraction pour intégrer le plus possibles de choses nouvelles de la civilisation de notre époque».C’est au bout d’une quête qui a duré 30 ans que Al-Nachâr en était arrivé là, n’hésitant jamais de se livrer aux expériences de composition les plus audacieuses. Il passera par une période d’expressionnisme dans les années soixante puis par une période surréaliste dans les années soixante-dix, pour ensuite aborder ce qui sera sa première période abstraite (1975-1980), phase dans laquelle il se conformera encore au support habituel, c’est-à-dire de forme rectangulaire et à la surface plate; il représentera là des univers statiques, de formes géométriques aux couleurs presque unies, amples. C’est vers le début des années 80 que, dans le mode abstrait toujours, Al-Nachar, apportera des transformations majeures à la couleur, les dimensions des unités géométriques et au support surtout. L’ensemble des innovations va s’accorder pour donner une nouvelle peinture. Personnelle. C’est cette peinture-là qui nous a saisi alors même que nous rencontrions Al-Nachâr pour la première fois. Dans cette peinture, les surfaces du support ne sont pas plates. Tout en relief, elles sont subdivisées en plusieurs unités contiguës, les unes saillantes, les autres en creux, planes ou incurvées. Il s’agit en fait d’éléments de bois, de formes et de dimensions variées, avec chacun son relief propre. Sur ces surfaces, sont collés des morceaux de toile sur lesquels ont été réalisés les dessins. Ainsi, les couleurs semblent s’étaler sur un relief tout en ondoiements et en ruptures, en creux et en bosses. Par conséquent, le regard est sollicité par plusieurs niveaux de profondeurs du fait non pas d’une perspective mais des stratifications chatoyantes du support, ce qui nous entraîne dans une doukha mystique. Le peintre est même allé plus loin: il crée ce qu’il appelle «le vide de l’expression picturale face à la vie», en opposition à «l’expression picturale du néant», le néant comme forme extrême de la vie qu’on retrouve aujourd’hui dans certaines peintures occidentales (représenté par exemple par la blancheur totale du tableau). Dans ce cas comme dans l’autre, nous sommes en présence d’un nouveau traitement plastique, celui de la multiplicité dans l’unité. L’ensemble des couleurs du tableau participe au même dessein et s’organisent dans une certaine unité. Les formes géométriques ou organiques, sont chacune répétées suivant un mouvement qui s’apparente à une prolifération rythmée, comme si elles naissaient d’une même forme originelle et qu’on les a regroupées approximativement autour d’elle, après un éclatement. L’élément organique chez Al-Nachar est proche des éléments végétaux ou minéraux cristallins ou alors de motifs pharaoniques, bien qu’il s’agisse parfois d’objets de la vie pratique comme une clé, un loquet, etc. Ce procédé est à la base de l’art oriental qui consacre le dévoilement de l’Un à travers ses épiphanies. En corollaire, chez l’artiste, la prolifération des formes, presque mêmes et différentes à la fois, obéit au flux vital intérieur et non à une simple volonté de reproduction de la nature dans ses cycles. Un mariage de la vision et du concept, de la préméditation et de la spontanéité réussit grâce à un double travail d’architecte et de joaillier que commande un infaillible instinct d’unité. Aucune source, aucun foyer de lumière dans les travaux d’ Al-Nachâr. Il en émane un rayonnement changeant et mobile qui multiplie nos perceptions optiques du Même dans le même tableau. Le tout se présente sans cesse différemment: à la fois immuable, insaisissable et qui ne se laisse jamais entamer. Un mystérieux dosage de teintes et un mariage subtil de couleurs sont parfois à la base de ses effets. Mais c’est surtout l’utilisation du doré qui permet de donner aux tableaux, en même temps, lumière et mysticisme. C’est la façon qu’a choisie Al-Nachâr pour donner forme à la lumière intérieure des choses. Une lumière mobile, qui se manifeste à nous selon notre rapport au tableau: elle peut annoncer une naissance ou représenter une énergie cachée. Tous les procédés utilisés concourent à décentrer le regard: lumière et formes sont réparties en plusieurs régions, voire dans toutes les régions, aussi petites soient-elles, en profondeur et en surface. Nous oscillons entre le tangible et l’illusoire, entre l’harmonie et la dualité, le visible et le caché d’abord, le tout contenu dans un univers uni, cohérent. Devant les tableaux d’Al-Nachâr, nous réalisons, le temps d’un regard, le voyage initiatique, complexe des hommes. Sans rien pour nous orienter si ce n’est cette lumière intérieure qui soudain naît en nous.
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