Algérie - Revue de Presse


Le dialogue entre un sociologue et un lecteur de banlieue est riche d?enseignements. Il ouvre des horizons insoupçonnés et déstabilise de nombreuses certitudes. Younès Amrani et Stéphane Beaud ont rendu la sociologie animée. Bourdieu n?est jamais loin. « Cher monsieur, je me permets de vous écrire pour vous remercier. J?ai terminé votre enquête 80 % au bac. C?est un livre qui m?a ému, j?ai souvent eu des larmes aux yeux et été en colère contre moi-même. C?est incroyable à quel point les vies que vous avez décrites ressemblent à la mienne ». Le livre de correspondance électronique entre le sociologue Stéphane Beaud, auteur de 80% au bac et après ?, et Younès Amrani, l?un de ses lecteurs. Très vite, on comprend que l?échange d?e-mails prend une tournure sociologique. Younès, 28 ans, employé dans une bibliothèque, prend de plus en plus d?assurance. Son regard s?affûte, courriel après courriel. Les confessions, souvent très intimes, débouchent sur un regard lucide sur la société et la politique. Aiguillonné par Stéphane Beaud, Younès entre dans un processus d?analyse libérateur. Sa rencontre avec Pierre Bourdieu est à la fois comique et dramatique. « Au départ, c?est un peu lourd et le prof commence à faire de nous des stats par rapport à l?école, style le nombre d?enfants d?ouvriers, etc. Là, j?ai commencé à m?intéresser mais négativement. Je me disais : qu?est-ce qu?il nous veut, ce Bourdieu ! Il veut nous démoraliser ou quoi ! (...) il faut que j?en sache plus sur ce Bourdieu qui veut nous ?descendre??... » Le sociologue et le banlieusard La correspondance a duré plus d?un an. Younès a un regard lucide, sa capacité de discernement et d?analyse est impressionnante. Ni sauvageon ni ange, il a grandi en banlieue lyonnaise qu?il n?a jamais réussi à quitter totalement. Sa brève coupure à cause de ses études universitaires a tourné court. « Je suis détaché à fond du quartier, car je sais qu?il n?y a rien à en tirer, pourtant je suis nostalgique de nos discussions interminables dans les allées le soir d?hiver ». La relation avec l?espace dépasse le stade géographique. Le quartier est devenu une identité collective et individuelle. Younès se raconte avec beaucoup d?humour et quelquefois désabusement. Il se moque de la politique : « J?ai une position politique très claire, mais qui se situe en marge de tous les partis. » Il montre la faille des partis de gauche qui ont délaissé depuis longtemps les banlieues pour se concentrer sur la classe moyenne. Pays de malheur ! est un microscope social où le sujet d?étude est acteur. Il nous renvoie à nos propres contradictions, à nos lâchetés et aussi au fiasco total des politiques d?intégration. Car Younès est intégré. C?est la société qui l?ignore, le rejette à sa banlieue. Un livre à mettre entre les mains de tous les hommes politiques.
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