Algérie - Revue de Presse


Le comprimé fit son effet, le sommeil est lourd et le réveil est difficile. La journée est sérieusement entamée. Je décide d'accompagner mon frère à l'hôpital. Pour raison de visite ministérielle de circonstance, l'entrée y est interdite à un grand nombre de gens.
Elle n'est libérée qu'en début d'après-midi, après la visite annoncée du ministre. A l'intérieur, dans le service des urgences, nous rencontrons un élu RND. Cet ex-sympathisant FIS, avec une indifférence sublime, nous dit comprendre ce qui s'est passé. Il explique que le chauffeur du bus avait été menacé de mort plus d'une fois et qu'il n'en avait, semble-t-il, pas tenu compte. Il ne dit pas que c'était bien fait pour lui, mais c'est tout comme ! Pas un seul mot de compassion pour les victimes. Sidérant ! Effarant ! Terrible et gratuit ! Je demande à quitter Médéa. Mon frère se libère et nous voilà, lui, son épouse et moi, sur la route d'Alger. Au niveau du chantier yougoslave, un barrage de gendarmes est dressé. Le bus cramé est sur le côté gauche. La Golf a disparu, seul le bitume en garde les traces.
Vingt passagers d'un microbus brûlés vifs…
Les gorges de la Chiffa sont pénibles à traverser tellement elles sont «riches» en événements terribles. Là c'était une dizaine de véhicules et de camions calcinés à l'entrée du village fantôme. Là, c'est la forêt qu'on brûlait volontairement pour déloger les «égarés». Ici, en contrebas, plusieurs familles dans leur totalité ont été égorgées. Là, par contre, ce fut un car de voyageurs entièrement décimé par une horde sauvage. Ici, ce fut un convoi officiel mitraillé. Là, encore, des paysans tués puis étêtés dans leur sommeil. Là, l'auberge a été saccagée puis brûlée. En face, de l'autre côté de la route, deux cadavres gisaient près d'une flaque de sang frais. Là, encore, c'était vingt passagers d'un microbus brûlés vifs, alors qu'ils partaient faire la prière du «Taraouih» dans le village voisin. Et ici ! Et làbas ! Paroxysme de l'horreur ! Quand elle nous ouvre la porte, mon épouse ne se doute de rien. Elle n'avait pas, fort heureusement, écouté les informations de la veille ni ceux du matin. Elle est prise en charge, très vite, par ma belle-sœur et mon frère dès qu'elle remarque que mon état n'avait rien de normal. Moi, je me dirige vers le salon, m'allonge sur un canapé et laisse couler le temps. Les journaux qu'on me ramène dans l'heure qui suit mon arrivée réservent leur Une au faux-barrage. Les informations ont été certainement ramassées à la hâte. Je lis qu'une 505 taxi, en plus de l'autocar et de la Golf, a été aussi brûlée. Le nombre des assaillants, celui des victimes, le lieu et les circonstances diffèrent d'un journal à un autre. Dans certains, je suis mitraillé dans mon véhicule et y meurs calciné. C'est tout à fait conforme à ce qui se transmet, à une vitesse folle, de bouche à oreille. A Alger, chez moi, tout est fait pour m'aider. En plus des paroles réconfortantes des parents et amis, mon épouse et mes enfants me couvent véritablement. Tout ce que je veux est réalisé dans les secondes qui suivent. La chaleur humaine m'inonde et me réconforte. Un cocon de soie ! Un week-end bien tranquille et heureux. Le samedi 6, je me déplace au siège d' El Watan et raconte ma version. Elle est publiée le lendemain sous le titre «Faux-barrage de Médéa, tout s'est passé très vite». Bien que le journaliste ait un peu arrangé les choses, l'écrit est conforme à ce que j'ai vécu. Deux jours après, dans un article de synthèse du même journal, je prends connaissance du bilan macabre. 18 sur les 20 corps calcinés ont été identifiés dont un bébé, deux fillettes et douze femmes. Sur les vingt terroristes estimés, quatre sont rattrapés et tués. Le chiffre de vingt me paraît exagéré. Ils n'étaient pas si nombreux. Six ou sept, pas plus ! Les mois qui suivirent, je remonte à Médéa souvent. Pratiquement une fois (au moins) par semaine. Beaucoup à faire, la déclaration à la gendarmerie, le dépôt du dossier à la Wilaya pour le remboursement du véhicule brûlé, le suivi de la liquidation de l'entreprise familiale et plein d'autres choses. A la gendarmerie, une semaine après le faux-barrage, je croise dans le couloir qui sert de salle d'attente, deux autres rescapés, aussi hagards que moi. Nous n'échangeons pas un seul mot. Que des regards furtifs comme si nous avions honte d'être encore vivants.
La Golf du Vieux est remboursée à 100% de son prix au marché
Le gendarme préposé au rapport tire deux papiers carbone gris, les place entre trois feuilles de papier 21-27, les ajuste dans sa machine à écrire d'un autre âge puis nous écoute en aparté l'un après l'autre. Je reraconte mon histoire dans les moindres détails. Ma mémoire est sollicitée de manière plus prononcée pour tout ce qui se rapporte à la riposte des services de sécurité. Je reviens plusieurs fois après, pour retirer une copie de la déclaration qui, j'espère, va me permettre de refaire les papiers que j'ai laissés dans la Golf. Se noue alors une amitié particulièrement appréciable avec certains gendarmes. Comme ce caporal qui, dans le fond du trou qui fait office de café, en face de la gendarmerie, s'est laissé aller à certaines confidences. Le magnifique et noble métier qu'il exerçait, l'horreur qu'il croisait quotidiennement, ces «égarés» qu'il protège aujourd'hui alors qu'il les combattait il n'y a pas si longtemps et qui seront, peut-être, ses collègues demain, les amis qu'il a perdus, comme ça ! La satisfaction amère d'avoir fait son devoir mais aussi l'envie, de plus en plus forte, de s'en aller comme ses amis, comme ça ! Et ne plus voir l'horreur. Ne plus entendre le «qui-tue-qui '» des biens-pensants. Ne plus sentir ces odeurs particulièrement prenantes, de sang chaud et de chair brûlée, qui suivent les carnages. Dans la Wilaya, le service qui s'occupe des victimes des actes de terrorisme est vite trouvé. A droite en entrant, au fond du couloir. Le chef de service est un ami de longue date. Journaliste talentueux à la RTA dans les années 70, il revient au bercail dans les années 80 comme chargé de la mission «arabisation». Je le retrouve, donc, en fin de carrière dans un semblant de bureau exigu, envahi de dossiers et de poussière. Il m'explique comment obtenir le remboursement du véhicule détruit. Je dépose le dossier demandé. Peu de temps après, la Golf du Vieux est remboursée à 100% de son prix au marché. La liquidation de la société familiale, par contre, c'est une autre histoire. Un livre que j'écrirai peut-être un jour !
A suivre
Pour témoigner : patriotes90@hotmail.fr





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